Pacte Dutreil : les précisions de Bercy sont publiées
L’administration fiscale vient de publier ses commentaires des dispositions relatives au pacte Dutreil de la loi de finances pour 2024 et intègre plusieurs jurisprudences récentes. Elle met ainsi à jour sa doctrine concernant la définition de la holding animatrice, les conditions d’éligibilité des holdings mixtes, l’engagement post-mortem ou encore les biens affectés à l’entreprise individuelle.
L’administration fiscale vient de mettre à jour sa doctrine relative au pacte Dutreil suite aux évolutions apportées par l’article 23 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 (JORF n° 0303 du 30 décembre 2023) applicables aux transmissions intervenues à compter du 17 octobre 2023. Ce texte a précisé le champ des activités éligibles à l’exonération partielle de droits. Publiée le 30 mai 2024, la doctrine administrative apporte des précisions utiles (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10).
La définition de la holding animatrice
Le dispositif Dutreil, codifié sous l’article 787 B du Code général des impôts (CGI) prévoit l’exonération des droits de mutation à titre gratuit de 75 % de la valeur des entreprises transmises par décès ou donation. De nombreuses conditions entourent le bénéfice de ce régime de faveur, parmi lesquelles la nature de l’activité exercée par l’entreprise. Le dispositif Dutreil s’applique aux entreprises dont l’activité principale est industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Les activités commerciales sont définies par référence directe aux articles 34 et 35 du CGI. Toutefois, la loi exclut expressément des activités éligibles « l’exercice par une société d’une activité de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier ». De la sorte, elle clôt le débat sur l’éligibilité de la location meublée, activité visée par l’article 35 du CGI.
Par ailleurs, la loi reconnaît l’éligibilité des holdings animatrices de groupe, en considérant comme exerçant une activité commerciale « la société qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe constitué de sociétés contrôlées directement ou indirectement, exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, et auxquelles elle rend, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers ». La loi reprend ici la définition élaborée au gré de la jurisprudence.
Bercy précise la notion de contrôle
Dans ses commentaires, Bercy indique que cette définition confirme celle retenue par la jurisprudence et qu’au sens de cette définition, « le contrôle de la holding sur ses filiales pour lui permettre de conduire la politique du groupe s’apprécie au regard, d’une part, du pourcentage de capital détenu et des droits de vote et, d’autre part, de la structure de l’actionnariat, et non des dispositions de l’article L. 233-3 du Code de commerce », lequel texte renvoie à une majorité des droits de vote aux assemblées générales.
Dans l’arrêt du 13 juin 2018 auquel fait référence le Bofip, le Conseil d’État se prononce pour la première fois sur la notion d’holding animatrice de groupe et considère que si l’activité d’animation doit être exercée à titre principal, une société holding peut être animatrice de son groupe tout en détenant des participations minoritaires non animées (CE, 13 juin 2018, n° 395495).
Holding mixte et les actifs affectés
La loi de finances pour 2024 a également validé l’éligibilité au dispositif des holdings dites mixtes, c’est-à-dire aux holdings qui exercent aussi une activité éligible, à la condition que l’activité éligible soit l’activité principale. Bercy précise cette notion : « Le caractère principal de l’activité d’animation de groupe d’une société holding doit être retenu notamment lorsque la valeur vénale des actifs affectés à son activité d’animation de groupe, parmi lesquels les titres de ses filiales animées exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, les biens mis à leur disposition ou affectés aux prestations de service délivrées au sein du groupe et la trésorerie affectée à l’activité du groupe, représente plus de la moitié de son actif total » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 55). Ce faisant, l’administration reprend la définition qu’en a retenu la Cour de cassation, qui avait jugé que la prépondérance de l’activité d’animation de groupe est caractérisée notamment lorsque la valeur vénale des titres des filiales détenus par la holding représente plus de la moitié de son actif total (Cass. com., 14 oct. 2020, n° 18-17955).
L’administration fiscale précise les éléments qui peuvent être pris en compte. Elle admet retenir comme étant affectée à l’activité d’animation de la holding, « la valeur vénale des immeubles ou parties d’immeubles qu’elle détient (ou la fraction de la valeur vénale des titres qu’elle détient dans une filiale foncière qu’elle contrôle, représentative des immeubles ou parties d’immeuble) et qui sont donnés en location exclusivement pour l’exercice de l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale d’une filiale animée du groupe ». En revanche, elle exclut « les immeubles ou parties d’immeuble loués à une société non contrôlée du groupe ou qui n’exerce pas une activité opérationnelle, ou encore à une société tierce ». Et de donner l’exemple d’une holding qui détiendrait à 100 % une société civile immobilière (SCI) qui donne en location un immeuble à une société du groupe contrôlée et animée pour l’exploitation de l’activité industrielle de cette société, dont la holding détient 80 %. Dans ce cas « la fraction de la valeur vénale des parts de la SCI représentative de l’immeuble loué est retenue à hauteur de 100 %, et non de 80 % ». Ce faisant, Bercy intègre la tolérance qui permet de retenir comme étant affectée à l’activité d’animation la valeur vénale des immeubles détenue par elle ou une filiale foncière et donné en location à une filiale opérationnelle.
L’engagement post-mortem
Parmi les conditions posées au bénéfice de l’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit, les associés doivent prendre des engagements de conservation de titres de la société transmise : ce sont les fameux pactes Dutreil.
En principe, les titres doivent faire l’objet d’un engagement collectif de conservation de deux ans minimum. Cet engagement doit porter sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote pour les sociétés non cotées et il doit être en cours au moment de la transmission. Ensuite, les bénéficiaires des titres transmis sous le bénéfice de l’exonération partielle doivent chacun prendre l’engagement individuel de conserver les titres pendant quatre ans à compter de l’expiration de l’engagement collectif. Cet engagement prend place dans la déclaration de succession ou dans l’acte de donation. La loi a été adaptée pour tenir compte de situation non anticipée, typiquement le décès précoce du chef d’entreprise, avant qu’il n’ait pu mettre en place un pacte Dutreil. Dans ce cas, les héritiers peuvent bénéficier du pacte Dutreil post-mortem, qui, en toute logique, ne nécessite pas l’existence d’un engagement collectif. En revanche, dans les six mois à compter du décès, les héritiers des titres de l’entreprise doivent conclure entre eux, ou avec d’autres associés, un engagement collectif de conservation. Dans ses commentaires réactualisés, Bercy apporte la précision suivante : « De même, les parts ou actions détenues au décès par une société interposée dans une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale peuvent faire l’objet d’un engagement collectif de conservation conclu par ladite société interposée avec d’autres associés dans les six mois du décès » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 220).
Entreprise individuelle et biens affectés à l’exploitation
Au sujet des entreprises individuelles, Bercy intègre la solution dégagée par la Cour de cassation en 2022 (Cass. com., 9 févr. 2022, n° 20-10753) sur les biens affectés à l’exploitation. En effet, l’exonération Dutreil (CGI, art. 787 C) ne peut s’appliquer qu’aux éléments nécessaires à son exploitation. De plus, si des liquidités peuvent être prises en compte dans la base servant au calcul du ratio d’exonération, elles ne doivent pas dépasser les besoins normaux en trésorerie de l’entreprise.
Sur ce point, Bercy rappelle que « la transmission à titre gratuit doit porter sur la totalité ou une quote-part indivise de l’ensemble des biens meubles et immeubles, corporels ou incorporels, qui sont affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle dont l’activité principale est industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ». Il précise que « si, en ce qui concerne les entreprises individuelles, l’inscription des biens meubles et immeubles, corporels ou incorporels au bilan, ou leur mention sur le document en tenant lieu, en fait présumer le caractère affecté à l’exploitation de l’entreprise, l’administration a la faculté de rapporter la preuve qu’ils ne sont pas nécessairement et effectivement affectés à celle-ci » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, § 10).
Entreprise individuelle et location-gérance
Bercy apporte également une précision sur les activités données en location-gérance. Depuis 2006, l’on sait que l’exonération partielle des droits de mutation prévue par l’article 787 C du CGI ne s’applique pas à un fonds de commerce donné en location-gérance à une société d’exploitation (Rép. Min Giro, JOAN 15 août 2006, n° 85780). Dans le schéma visé, les biens faisant l’objet d’une donation sont loués (location-gérance pour le fonds de commerce) à une société à responsabilité limitée qui en assure déjà l’exploitation. Bercy avait considéré que les biens en cause, qui ne sont déjà plus affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle, n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 787 C du CGI. Dans sa mise à jour du Bofip, Bercy ajoute la précision suivante : « En revanche, le dispositif de faveur prévu à l’article 787 C du CGI s’applique, toutes autres conditions par ailleurs satisfaites, lors de la transmission du fonds de commerce préalablement donné en location-gérance à l’un de ses héritiers, donataires ou légataires » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, §15).
Référence : AJU014q3