Patrimoine : un nouveau statut pour les professionnels indépendants

Publié le 04/05/2022
Freelance, entrepreneur
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La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante crée un statut unique de l’entrepreneur indépendant et prévoit la séparation des patrimoines professionnel et personnel par défaut.

Elle fait partie du plan en faveur des indépendants annoncé le 16 septembre 2021 par le président de la République : la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante (JORF n° 0038 du 15 février 2022), entérine le volet juridique de la réforme. Au menu : un statut unique de l’entrepreneur individuel et une meilleure protection du patrimoine personnel. Plusieurs codes sont modifiés : le Code de commerce, le Code des procédures civiles d’exécution et le Code de la consommation. À noter que le volet fiscal a pris place dans la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 (JORF n° 0304 du 31 décembre 2021), et les mesures sociales dans la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la Sécurité sociale pour 2022 (JORF n° 0299 du 24 décembre 2021).

Statut unifié de l’entrepreneur individuel

Le Code de commerce est modifié et l’entrepreneur individuel fait désormais l’objet d’une statut unique (C. com., art. L. 526-22). L’article 1er de la loi donne en effet une définition de l’entrepreneur individuel : « une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes ».

Par une dérogation expresse au droit commun des articles 2284 et 2285 du Code civil qui consacrent le droit de gage général du créancier sur le patrimoine du débiteur, la loi prévoit, sans création d’une personne morale distincte, la scission du patrimoine de l’entrepreneur individuel entre patrimoine professionnel et patrimoine personnel. Ces deux patrimoines sont d’ailleurs définis. Le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est constitué des « biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes ». Ce patrimoine ne peut être scindé.

Les contours exacts de la notion de biens utiles à l’activité professionnelle seront définis par décret. De même que les textes réglementaires devront traiter du sort des biens communs entre l’entrepreneur et son conjoint, du sort des biens de nature « mixte » (inclus pour partie dans le patrimoine professionnel et pour partie dans le patrimoine personnel), ainsi que du sort du patrimoine détenu en numéraire, en l’absence d’obligation faite à l’entrepreneur individuel d’ouvrir un compte distinct pour les besoins de son activité professionnelle. Le patrimoine personnel est constitué des « éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel ».

Protection du patrimoine par défaut

Désormais, le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel est par défaut insaisissable par les créanciers professionnels. Jusqu’à présent seule la résidence principale était protégée. En cas de défaillance professionnelle, seuls les éléments nécessaires à l’activité professionnelle de l’entrepreneur peuvent être saisis. Le gouvernement ayant voulu limiter le formalisme, cette séparation des patrimoines s’effectue automatiquement, sans démarche administrative, ni information des créanciers, lesquels ont dès lors la responsabilité de s’informer, par tous moyens, de la consistance de leur droit de gage général sur le patrimoine professionnel ou sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

Toutefois, la loi prévoit expressément la possibilité de prendre des sûretés conventionnelles. La renonciation au bénéfice de cette scission par l’entrepreneur est également possible pour un engagement spécifique, en particulier pour obtenir un crédit bancaire (C. com., art. L. 526-25). L’engagement « doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable ». Cette renonciation doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par décret, et ne peut intervenir avant l’échéance d’un délai de réflexion de sept jours francs à compter de la réception de la demande de renonciation, délai qui peut être ramené à trois jours francs.

L’article 3 de la loi adapte l’article L. 161-1 du Code des procédures civiles d’exécution à la réforme du statut d’entrepreneur individuel, en posant la règle selon laquelle une procédure d’exécution à l’encontre de l’entrepreneur individuel ne peut porter que sur le patrimoine sur lequel le créancier dispose d’un droit de gage général (patrimoine personnel, professionnel, ou ensemble du patrimoine). Par ailleurs lorsque l’entrepreneur individuel a renoncé au bénéfice de la scission de son patrimoine, et s’il établit que les biens qui constituent son patrimoine professionnel sont d’une valeur suffisante pour garantir le paiement de la créance, il peut demander au créancier que l’exécution soit en priorité poursuivie sur ces derniers.

Transfert du patrimoine professionnel

L’article 1er de la loi facilite le transfert du patrimoine professionnel puisque l’entrepreneur a droit de vendre, de donner ou d’apporter en société une partie ou l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à sa liquidation. Ces conditions qui s’apparentent à celles d’une transmission universelle de patrimoine sans liquidation. Les modalités de transfert du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, et celles du droit d’opposition ouvert aux créanciers sous le contrôle du juge seront prévues par décret.

Prérogatives des administrations fiscale et sociale

L’article 4 de la loi prévoit un droit de gage étendu en faveur de l’administration fiscale (LPF, art. L. 273 B) et des organismes de sécurité sociale (CSS, art. L. 133-4-7) à l’égard de l’entrepreneur individuel. Tout d’abord la loi consacre l’inopposabilité de la scission du patrimoine de ce redevable en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées de ses obligations au regard de la législation fiscale et sociale et l’abandon de la saisine préalable du juge judiciaire destinée à faire constater ces manquements.

Ensuite, pour certains impôts et contributions susceptibles de mêler étroitement sphère personnelle et sphère professionnelle (impôt sur le revenu, taxe foncière afférente aux biens nécessaires à l’activité professionnelle, CSG et CRDS), la loi prévoit un droit de gage sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel, même hors le cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées.

Extinction de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL)

Institué par une loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), cesse progressivement. Ce statut jugé complexe, n’a pas rencontré un grand succès (moins de 100 000 EIRL en juin 2021). Il continue de régir les EIRL existantes à la date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle, mais il n’est plus possible d’en créer et la poursuite de leur activité après le décès de l’entrepreneur est nettement dissuadée.

Professions libérales réglementées et artisanat : des réformes reportées

La loi autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance pour clarifier, simplifier et mettre en cohérence les règles relatives aux professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé. En effet, il peut être nécessaire de préciser les règles communes qui leur sont applicables, et d’adapter les différents régimes juridiques leur permettant d’exercer sous forme de société. L’habilitation prévoit aussi de permettre de faciliter le développement et le financement des structures d’exercice de ces professions libérales. De même, la réforme de l’artisanat est confiée au gouvernement, qui doit dans les 18 mois suivant la publication de la loi procéder à la complète refonte de la partie législative du Code de l’artisanat par voie d’ordonnance.

Entrée en vigueur de la loi

La réforme concerne toutes les créations d’entreprises trois mois après la promulgation de la loi (15 février 2022). Pour les entreprises déjà créées avant la réforme, la dissociation des patrimoines ne s’applique qu’aux nouvelles créances.

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