Philanthropie : quelles stratégies appliquer pour une transmission de patrimoine

Publié le 15/11/2016

Leg universel avec charges, don sur succession, donation temporaire d’usufruit, autant d’outils juridiques à privilégier pour transmettre une partie de son patrimoine à la cause de son choix tout en préservant les intérêts patrimoniaux de ses proches. Des options précieuses pour des donateurs particulièrement généreux.

« La générosité des Français représente 2,7 milliards d’euros de dons par an », rappelle Françoise Sampermans, présidente de France générosités, à l’occasion de la communication autour de la publication du Baromètre annuel de la générosité1. Et plus d’un Français sur deux déclare soutenir financièrement un organisme caritatif. « La collecte 2015 est marquée par un maintien de la croissance des dons, +1,73 % par rapport à 2014. Malheureusement on s’aperçoit que les nouveaux donateurs sont de moins en moins nombreux et qu’il est important de sensibiliser les jeunes générations notamment à l’importance du don », poursuit Françoise Sampermans. Cette communication s’effectue à un moment crucial puisqu’un grand volume des dons se rattache au dernier trimestre de l’année civile. « En 2015, 41 % des dons ont été effectués au cours du dernier trimestre de l’année », précise Nolwenn Poupon, responsable des Études et de la communication France générosités. La moitié de ces dons effectués en fin d’année s’est d’ailleurs effectuée au cours du mois de décembre. (v. encadré infra : Les grands chiffres du don). Pour les grands donateurs qui souhaitent allouer une partie de leur patrimoine à soutenir une cause qui leur est chère, une stratégie à plus long terme doit être privilégiée.

La donation temporaire d’usufruit

Première solution à privilégier, la donation temporaire d’usufruit (DTU) qui permet au philanthrope de soutenir une fondation dans la durée tout en réduisant sa facture fiscale au regard de l’impôt sur le revenu et de l’impôt de solidarité sur la fortune. « La donation temporaire d’usufruit (DTU) connaît un succès croissant car elle ne lèse pas le donateur qui reste propriétaire de son bien tout en permettant à la Fondation reconnue d’utilité publique (FRUP) qui en bénéficie de recevoir des revenus pérennes pendant une période donnée », analyse Céline Ponchel-Pouvreau, responsable libéralités et fiducie à la Fondation pour la recherche médicale. En optant pour une donation temporaire d’usufruit le donateur accepte de confier à un organisme d’utilité publique les revenus d’une partie de son patrimoine. Ce patrimoine donné temporairement peut prendre la forme d’un immeuble ou d’un portefeuille de valeurs mobilières. La fondation percevra alors les loyers ou les dividendes selon la nature de celui-ci qui lui permettront d’assurer le financement des projets relevant de sa mission sociale.

La donation temporaire d’usufruit s’effectue sous forme notariée. Elle est effectuée pour une durée de trois ans au minimum et peut être renouvelée. La donation doit porter sur des actifs contribuant de façon effective à la réalisation de l’objet du bénéficiaire, fondation reconnue d’utilité publique (FRUP), association reconnue d’utilité publique, association cultuelle, établissement d’enseignement supérieur ou artistique à but non lucratif agréé, etc. L’opération doit en outre assurer la préservation des droits de l’usufruitier.

D’un point de vue fiscal, le bien sort du patrimoine taxable du donateur, que ce soit au regard de l’impôt sur le revenu et de l’impôt de solidarité sur la fortune. Les loyers et les dividendes qui seront générés par ce bien ne seront plus imposés à l’impôt sur le revenu. Ils ne seront pas non plus soumis aux prélèvements sociaux (CSG/CRDS). En outre, le bien donné à la fondation sort du patrimoine taxable à l’ISF. En effet, au regard des règles fiscales, l’ISF est à acquitter par l’usufruitier du bien et non par le nu-propriétaire de ce bien conformément à l’article 885-V du Code général des impôts. « Il est conseillé d’agir avant le 31 décembre 2016 pour diminuer l’assiette taxable de l’année 2016. Une donation temporaire d’usufruit est une démarche qui demande une signature devant notaire et dont le délai de mise en place peut prendre entre 2 à 3 semaines », ajoute Céline Ponchel-Pouvreau. Pour les héritiers du donateur, la donation temporaire d’usufruit présente également d’autres avantages fiscaux. En cas de décès de ce dernier, ceux-ci bénéficieront d’un abattement de 23 % sur les droits de succession à acquitter et retrouveront la pleine propriété du bien donné à l’issue de l’opération.

Legs universel avec charge

Autre outil patrimonial, le legs universel avec charge permet de désigner un organisme, une fondation reconnue d’utilité publique (FRUP) par exemple, comme légataire universelle, à charge pour elle de délivrer un legs particulier, net de frais et droits, à un légataire déterminé. Pour Céline Ponchel-Pouvreau, « il s’agit d’une technique successorale de plus en plus utilisée par les testateurs. C’est une stratégie pertinente et utile pour gratifier des proches plus ou moins taxés, tout en soutenant la recherche médicale ». La transmission du patrimoine après décès nécessite une réflexion en amont au moment de la rédaction d’un testament. Il est d’autant plus nécessaire de réfléchir aux meilleurs modes de transmission possible lorsque le testateur n’a pas d’enfant et souhaite transmettre une partie de ses biens à des cousins, des neveux, ou des amis. « En effet, ces héritiers devront alors s’acquitter d’importants droits de succession qui, dans cette hypothèse, peuvent atteindre jusqu’à 60 % du montant du legs attribué, analyse Céline Ponchel-Pouvreau. Il est cependant possible de déplacer la charge de cette taxation et d’en faire supporter le paiement au légataire universel par le biais d’une clause testamentaire habilement rédigée ». Ainsi, un legs universel peut être consenti en faveur d’une Fondation avec pour charge de délivrer à une personne définie une somme déterminée qui sera effectivement celle qui sera remise au légataire. Ce sera alors la Fondation qui acquittera, pour le compte du légataire, le montant de ses droits de succession. « Dans ce cas, et comme la Fondation est reconnue d’utilité publique, elle ne supportera, pour sa part, aucun droit de mutation », explique Céline Ponchel-Pouvreau. Ce montage respecte l’esprit du Code général des impôts, précise la spécialiste. « La seule limite posée à ce montage est de respecter le barème imposé par l’administration fiscale. En effet, si le Code général des impôts assujettit un non-parent à une taxation à hauteur de 60 %, cela signifie, in fine, que l’administration fiscale ne lui permet d’appréhender que 40 % de ce qui lui est légué. Un montage dans le legs universel avec charge ne changera pas cette obligation fiscale. Il permettra en revanche au testateur d’orienter une partie de l’impôt successoral vers un projet philanthropique », conclut Céline Ponchel-Pouvreau.

Prenons l’exemple de Monsieur X, sans descendant, disposant d’un patrimoine de 500 000 € qui souhaite laisser une somme à son filleul, fils de son meilleur ami, et soutenir la recherche avec une partie de son patrimoine. Première solution : il lègue l’intégralité de son patrimoine à son filleul. Sans lien de parenté, ce dernier devra reverser 60 % de la somme reçue au Trésor public, soit 300 000 €. Le patrimoine transmis est donc au final de 200 000 €. Deuxième solution, il gratifie une fondation reconnue d’utilité publique. Il désigne cette bénéficiaire comme légataire universelle avec charge pour elle de délivrer 200 000 € nets de frais et droits à son filleul. La Fondation reçoit le patrimoine de 500 000 € de M. X. Elle reverse 200 000 € à son filleul et paie au Trésor public les droits de succession qu’il doit sur cette somme, soit 120 000 € (60 % des 200 000 €). Il reste à la Fondation 180 000 € sur lesquels, en tant que FRUP, elle n’a aucun droit à payer. Dans les deux hypothèses, le filleul perçoit la somme de 200 000 € nets de frais et droits. Dans l’hypothèse 2, M. X crée une fondation abritée qui porte son nom et qui conformément à ses souhaits soutient la recherche contre le cancer.

La solution du don sur succession

Codifié par l’article 788-III du Code général des impôts, le don sur succession se développe en France depuis la loi relative au mécénat de 2003. Le don sur succession consiste à donner tout ou partie d’un héritage à une fondation reconnue d’utilité publique. Les biens concernés sont alors exonérés de droits de mutation à titre gratuit. « Ce dispositif permet de faire son choix dans un patrimoine et d’avoir l’assurance d’un don utile », analyse Céline Ponchel-Pouvreau,. Ce dispositif simple et sécurisé s’effectue par un acte notarié qui doit être signé dans les six mois suivant le décès. « Dans ce cadre, nos équipes peuvent accompagner l’héritier, en collaboration avec son notaire, afin de faciliter les démarches successorales, dans le laps de temps imparti », précise Céline Ponchel-Pouvreau.

Prenons l’exemple de Madame X, retraitée qui dispose d’un patrimoine conséquent et hérite d’une grand-tante d’un appartement à Paris et de placements financiers. Madame X, qui ne se rend quasiment jamais à Paris, ne souhaite pas hériter de cet actif immobilier. Si elle l’accepte, elle devra s’acquitter de droits de succession, d’autant plus élevés qu’il s’agit d’un héritage en ligne collatérale. Elle devra ensuite le vendre et supporter, dans l’intervalle les frais afférents à la détention de ce bien immobilier, et ce pendant plusieurs mois (taxe foncière, etc.). En outre, la possession de cet appartement la rendra éligible à l’ISF. Madame X peut bien entendu refuser cette succession, mais en conséquence elle devra également renoncer aux placements financiers.

« Le don sur succession lui permet de faire sa sélection dans un patrimoine successoral. Elle pourra ainsi recevoir les placements financiers, tout en décidant de faire don d’un appartement qu’elle ne souhaite pas conserver, à la Fondation pour la recherche médicale (FRM) », détaille Stéphanie Clément-Grandcourt, responsable philanthropie et fiducie à la Fondation pour la recherche médicale. Grâce à ce don, Madame X bénéficiera d’un abattement sur la part successorale finalement recueillie puisqu’elle ne paiera pas de droits de succession sur l’appartement et permettra à la cause de son choix d’accroître ses moyens d’action. « Un tel geste permet bien souvent de prolonger la volonté d’un défunt qui souhaitait faire œuvre utile de son patrimoine », conclut Stéphanie Clément-Grandcourt.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Baromètre France générosités – Kantar TNS – sur les grandes tendances de la générosité en France.