Quel coût budgétaire pour les contentieux fiscaux ?

Publié le 19/02/2021

Le point sur le risque budgétaire associé aux contentieux fiscaux, un phénomène en augmentation notamment au regard des contentieux de série et de l’impôt sur les sociétés. L’impact des intérêts moratoire vient en majorer le coût pour les finances publiques.

Depuis plusieurs années, le coût budgétaire associé aux contentieux fiscaux est en augmentation. Il fait désormais l’objet d’un suivi systématique et a motivé la création d’une mission d’information de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui a rendu ses conclusions en octobre 2018 sur ce sujet (AN, Rapport d’information n° 1310 du 17 octobre 2018). En 2019, on avait observé un net recul de ce coût par rapport aux deux années précédentes, du fait de l’extinction du contentieux de la taxe de 3 % sur les dividendes. En 2020 et en 2021, les conséquences des contentieux fiscaux devraient repartir à la hausse sous l’effet d’une part, de décaissements opérés dans le cadre de contentieux de série anciens et d’autre part, d’un contentieux unitaire à très fort enjeu, dont les conséquences budgétaires pourraient être défavorables à l’État. En 2020, les dépenses contentieuses pourraient ainsi atteindre 3,9 Md € au titre des contentieux de série, auxquels s’ajouteraient 2,6 Md € au titre d’un contentieux exceptionnel portant sur l’impôt sur les sociétés. En 2021, la dépense relative aux seuls contentieux de série atteindrait 2,5 Md €.

Évaluation de la provision pour litige

Cette année, la provision pour litiges liés à l’impôt dépasse encore les 20 Md €. Le risque de décaissement fait l’objet d’une provision enregistrée dans le compte général de l’État. Cette provision est réévaluée chaque année. Au 31 décembre 2019, la provision pour litiges fiscaux enregistrée dans le compte général de l’État s’établissait à 20,8 Md €. En matière de comptabilisation des provisions, le risque est évalué en fonction du montant des droits contestés, auxquels l’administration fiscale applique un taux de dégrèvement. Plus l’éventualité d’un dénouement favorable pour l’État est élevée, plus le risque est faible, et plus le montant provisionné sera bas. L’administration évalue statistiquement le risque pour les finances publiques à partir de la base informatique ERICA, qui recense l’ensemble des contentieux fiscaux en cours.

Les contentieux sont répartis en trois catégories, qui font chacune l’objet d’une évaluation spécifique. Il s’agit tout d’abord des contentieux à forts enjeux, où les montants contestés sont supérieurs ou égaux à 50 Md €. Pour ces contentieux, le risque est évalué individuellement, pour chaque affaire. Viennent ensuite les contentieux de série pour lesquels l’administration fiscale évalue le risque global que représente l’ensemble des affaires relevant du même type de contentieux, et applique un taux de dégrèvement identique à toutes ces affaires. Enfin, doivent être évalués les autres contentieux pour lesquels l’administration dispose de séries statistiques qui lui permettent d’évaluer le taux de dégrèvement appliqué de manière historique. Ce taux est appliqué mécaniquement, pour l’ensemble de ces contentieux. Si cette méthodologie permet une centralisation, agrégée et a posteriori, de l’information, elle ne rend que partiellement compte du risque encouru, car elle ne comptabilise que les requêtes déjà déposées, tandis que le provisionnement de certains contentieux est tardif.

Concept de coût budgétaire
Golden Sikorka/AdobeStock

Des facteurs d’incertitudes

Si la méthodologie adoptée par l’administration fiscale paraît rigoureuse, il n’en reste pas moins que les dépenses budgétaires associées aux contentieux fiscaux sont par nature difficiles à prévoir. En effet, il faut tenir compte de plusieurs acteurs dont l’action combinée détermine le montant des contentieux à venir. Il s’agit tout d’abord du juge de l’impôt dont l’administration fiscale ne peut prévoir quand il va se prononcer, ni, dans quel sens. Des incertitudes pèsent donc sur les cas les plus compliqués et les plus litigieux. Il s’agit ensuite du justiciable, qui doit monter un dossier de réclamation nécessitant la production de pièces attestant qu’il remplit bien les conditions d’éligibilité au remboursement, une opération qui peut être complexe. Il peut donc être difficile d’évaluer le nombre de contribuables concernés in fine par des contentieux de série. Enfin, il faut également prendre en compte le rôle de l’administration fiscale et sa capacité de traitement des affaires dans le cadre d’un contentieux de série qui peut conduire à un allongement des délais pour finaliser les dossiers de réclamation. Ainsi, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2019, 2,6 Md € ont été prévus au titre d’un contentieux exceptionnel dont le dénouement était attendu avant la fin d’année. Le jugement n’étant pas intervenu, ces crédits ont de nouveau été ouverts l’année suivante, toujours au moyen d’une loi de finances rectificative. Le jugement définitif devrait être rendu sous peu, mais il n’est toutefois pas certain que les éventuels décaissements, qui seraient à opérer en cas de condamnation de l’État, soient réalisés avant 2021.

Le poids des contentieux de série

L’essentiel du coût budgétaire associé aux contentieux fiscaux est concentré sur un nombre limité de contentieux de série à fort enjeu. En 2020, il pourrait connaître une forte augmentation, et atteindre 3,9 Md € dont 2 Md € au titre du contentieux OPCVM, 1,5 Md € au titre du contentieux Précompte, qui serait ainsi soldé, 115 M € au titre du contentieux Stéria et 100 M € au titre du contentieux CSPE/Messer. La prévision initiale s’établissait à 2,6 Md €. La réévaluation s’explique pour l’essentiel par la réévaluation des dégrèvements prévus dans le cadre du contentieux OPCVM (+ 0,9 Md €). En effet, les travaux d’expertise du risque associé aux demandes d’OPCVM établis hors de l’Union européenne, dont l’essentiel émane d’OPCVM américains, conduits par la DGFiP se sont achevés au début de l’année 2020. Ils ont permis de réévaluer à la hausse le coût attendu du contentieux. Dès la fin du mois d’août dernier, 1,1 Md € avaient déjà été décaissés au titre de ce contentieux. En 2021, le coût budgétaire associé aux contentieux fiscaux devrait reculer, mais se maintenir à des niveaux élevés, du fait de la poursuite de certains de ces contentieux. Ont ainsi été prévus 2 Md € au titre du contentieux OPCVM, 120 M € au titre du contentieux relatif aux retenues à la source subie par des sociétés d’assurance-vie et 100 M € au titre du contentieux CSPE/Messer. Le niveau très élevé des restitutions opérées en 2020 et 2021 s’explique notamment par le dénouement des réclamations encore pendantes dans le cadre du contentieux Précompte, qui serait soldé, et par l’accélération du traitement des réclamations déposées dans le contentieux OPCVM.

La part des intérêts moratoires

Depuis 2017, les contentieux à fort enjeu portant sur l’impôt sur les sociétés représentent des montants significatifs, qu’il s’agisse de restitutions d’impôts sur les sociétés suite à des contentieux individuels ou de série ou des transactions. En 2020, le montant des dégrèvements d’impôts sur les sociétés pourrait atteindre 4,2 Md €. Les dépenses associées aux intérêts moratoires présentent également un coût très élevé. Ils sont dus par l’État lorsque le dégrèvement résulte d’une condamnation de l’État par une juridiction, où d’une décision de l’administration, à la suite d’une réclamation présentée par le contribuable, et tendant à la réparation d’une erreur commise dans l’assiette ou le calcul de l’impôt contesté. Leur taux est égal aux intérêts de retard, dus par le contribuable au titre de toute créance n’ayant pas été acquittée dans le délai légal. Le coût des intérêts moratoires est attendu en forte augmentation en 2020, notamment en raison du niveau important de remboursements opérés sur certains contentieux de série, notamment le contentieux OPCVM et unitaires, et de l’ancienneté des millésimes d’imposition concernés. Ce coût est estimé à 1,3 Md€ en 2021. Rappelons qu’au 31 décembre 2019, la provision comptable associée aux intérêts moratoires représentait une part significative de la provision pour litiges fiscaux : 20 % de la provision totale, et jusqu’à 26 % dans le cas des contentieux de série.

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