Quelles évolutions pour l’impôt sur les sociétés ?
Changement de taux et de l’assiette, rendement budgétaire et impact des négociations internationales : le point sur l’évolution de l’impôt sur les sociétés en France.
Les gouvernements britannique et américain ont annoncé vouloir augmenter le taux de leur impôt sur les sociétés (IS). Cette politique marque une rupture avec plusieurs décennies de baisse du taux de cet impôt. Au Royaume-Uni, une remontée du taux de l’IS à 25 % d’ici à 2023 a été annoncée début mars 2021. De son côté, l’administration américaine envisage d’augmenter le taux de l’IS à 28 %, ce qui situerait les États-Unis dans la fourchette haute des pays développés, avec le Portugal, l’Australie ou le Mexique, dont les taux d’IS s’établissent à 30 %, la moyenne de l’OCDE se situant autour de 25 %. En France, le gouvernement s’est engagé à limiter le taux de cet impôt à 25 % en 2022. Surtout, en octobre 2021, pas moins de 136 pays, représentant 90 % du PIB mondial se sont accordés sur un taux minimal d’IS pour les multinationales, fixé à 15 %. Plus de 150 milliards de recettes fiscales sont attendues d’après les simulations de l’OCDE. « Un accomplissement majeur, décisif », pour le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, pour qui cet accord est « une véritable révolution fiscale pour le XXIe siècle ».
Des décennies de concurrence fiscale
Portant sur une assiette susceptible d’être facilement délocalisée, les bénéfices des entreprises, l’IS fait l’objet d’une très vive concurrence fiscale entre les États. Il en est résulté, depuis les années 1980, une tendance à la réduction des taux et à la contraction du produit de l’impôt sur les bénéfices dans les économies développées, analyse le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), (CPO, Quel taux pour l’impôt sur les sociétés en France, juillet 2021).
Au niveau mondial, le taux nominal moyen d’imposition des bénéfices a ainsi été ramené de 40,4 % en 1980 à 24,2 % en 2019. La concurrence fiscale portant sur les taux de l’IS s’est montrée particulièrement vive au sein de l’Union européenne, les diverses tentatives d’harmonisation de l’IS n’ayant pu aboutir. « Les taux nominaux d’imposition des bénéfices y sont ainsi passés en moyenne de 32 % en 2000 à 21,9 % en 2018. Il résulte de cette pression générale à la baisse de l’IS une contraction des marges de manœuvre des États sur la fiscalité des entreprises », constate le CPO.
La place de la France
La France a longtemps eu un taux nominal de l’IS élevé en comparaison avec l’international. En effet, le maintien du taux nominal français à 33 % jusqu’en 2018 a contrasté avec la tendance à la baisse observée en Europe. Ce reflux des taux nominaux d’imposition s’est accompagné d’une tendance à la convergence de ces mêmes taux. Pour le Conseil, l’écart-type des taux nominaux d’imposition s’est en effet réduit sur la période, augmentant d’autant l’écart entre le taux français et ceux de la plupart des États membres de l’UE. « L’écart entre le taux français et la moyenne de l’OCDE va toutefois se résorber dans les prochaines années, avec la baisse du taux de l’IS français à 25 % prévue pour 2022, tandis que d’autres pays ont annoncé leur volonté de relever progressivement le taux d’imposition des bénéfices afin de faire face aux conséquences budgétaires de la crise sanitaire », résume le CPO. Le taux normal de l’IS a été modifié par la loi de finances initiale pour 2018, qui a prévu une baisse progressive, de 33,3 % en 2017 à 25 % en 2022. La baisse programmée du taux d’IS français aboutira à le rapprocher de la moyenne de l’OCDE. Le Conseil des prélèvements obligatoires préconise donc de « poursuivre la stratégie visant à rapprocher le taux nominal de l’IS français de la moyenne de nos grands partenaires de l’UE et de l’OCDE, en tenant compte du contexte des finances publiques ».
Le calendrier de la réforme
Le calendrier de la réforme a certes été aménagé pour financer les mesures sociales décidées en décembre 2018, mais l’objectif d’un taux de 25 % en 2022 a été maintenu. Une première baisse du taux nominal est intervenue pour l’exercice 2019 avec un taux à 28 % pour les entreprises dont le résultat fiscal est inférieur à 500 000 € ; ce taux est de 31 % ou de 33,3 % pour la fraction de bénéfice supérieure à ce seuil, respectivement pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 250 millions d’euros et supérieur à 250 millions d’euros. En 2021, le taux d’imposition a été fixé à 26,5 % pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 250 millions d’euros et à 27,5 % pour les autres (ce dernier taux passera à 25 % en 2022). Le champ d’application du taux réduit est élargi avec un plafond de chiffre d’affaires relevé de 7,63 à 10 millions d’euros.
Un taux réduit pour les petites et moyennes entreprises
Les TPE et PME bénéficient en France d’un taux réduit de 15 % sur la tranche de leur bénéfice inférieure à 38 120 €. En 2015, moins d’un tiers des pays membres de l’OCDE disposaient d’un régime de taux réduit pour les PME. Certains ont mis en place une modulation du taux d’imposition en fonction du bénéfice imposable sans pour autant conditionner ce dispositif à la taille de l’entreprise, comme aux Pays-Bas, en Belgique, et de manière plus marginale, au Luxembourg, où le taux normal est fixé à 21 % mais les bénéfices inférieurs à 15 000 € sont taxés au taux de 20 %. L’Espagne a réservé cette possibilité aux nouvelles entreprises dans le cadre d’une réforme menée en 2014. Après avoir supprimé son taux réduit d’IS en 2015, le Royaume-Uni s’apprête à le réintroduire. D’après les annonces du gouvernement, le taux actuel de 19 % serait maintenu pour les PME, recréant ainsi un taux réduit pour cette catégorie d’entreprises. Le Conseil souligne cependant qu’au plan national « le taux réduit applicable aux PME n’est pas un outil suffisant pour assurer la compétitivité de cette catégorie d’entreprises ». Il recommande donc de « mieux accompagner les PME dans le contexte économique de sortie de crise sanitaire et de transformation numérique, en privilégiant les mesures d’aide ciblées en faveur de l’investissement et de la capitalisation, tout en maintenant à son niveau actuel de 15 % le taux réduit en leur faveur ».
Élargir l’assiette
Le modèle français d’imposition des bénéfices fait face à une critique récurrente, celle de privilégier les grandes entreprises au détriment des PME et des ETI, qui ont des taux de taxation implicites beaucoup plus élevés. Il se caractérisait historiquement par des taux élevés et une base relativement étroite en raison des nombreuses dépenses fiscales et dispositifs dérogatoires qui lui sont rattachés. À cet égard, le CPO souligne « un effort visant à élargir l’assiette de l’IS, malgré des crédits d’impôt en hausse au cours de la décennie ». Cette évolution tend à rapprocher l’IS français de la moyenne de l’OCDE.
Des recettes relativement faibles
Le rendement budgétaire de l’IS français apparaît plus modeste qu’à l’étranger. Son assiette est grevée par d’importantes dépenses fiscales destinées à orienter les comportements des entreprises mais dont l’évaluation est rarement assurée. En outre, les recettes n’ont toujours pas rejoint leur niveau d’avant la crise de 2008. Elles ont alors diminué de plus de 20 milliards d’euros (- 40 %). Si elles ont ensuite repris une progression en ligne avec la croissance, elles n’avaient pas retrouvé leur niveau d’avant-crise en 2019, à 48,2 milliards d’euros, avant de connaître une forte baisse en 2020, à 36,3 milliards d’euros du fait de la crise sanitaire, tendance confirmée en 2021 selon les dernières prévisions du gouvernement à 28,4 milliards d’euros. « Cette faiblesse se confirme lorsqu’on rapporte les recettes d’IS à la totalité des recettes fiscales ; le ratio qui en résulte est parmi les plus faibles du monde. Sur 88 pays du cadre inclusif de l’OCDE, l’IS représente moins de 5 % des recettes fiscales pour seulement cinq d’entre elles, dont la France en 2016 », souligne le CPO. C’est pourquoi, il préconise de « préserver le rendement budgétaire de l’IS, en poursuivant les efforts de rationalisation de l’assiette, en limitant strictement le recours à des dépenses fiscales nouvelles et en évaluant systématiquement les mesures les plus importantes, telles que le crédit d’impôt recherche ».
Les conséquences de l’accord sur la taxation des bénéfices des multinationales
L’accord intervenu au G7 de Londres, en juin dernier, sur le principe d’un taux minimal de taxation des bénéfices des multinationales à 15 % constitue un pas décisif pour une fiscalité plus transparente et plus juste. Il est le résultat d’années de négociation. (CPO, Les enjeux pour la France des négociations à l’OCDE sur la taxation des bénéfices des multinationales, juillet 2021). Le plan d’action relatif à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting – BEPS) propose de nouvelles normes internationales de taxation sur la base d’une proposition articulée en deux piliers. Le premier pilier répartit les droits à imposer entre le pays de siège d’une entreprise multinationale et les pays ou juridictions dits de marché, où l’entreprise mène effectivement son activité économique. Le deuxième pilier vise la mise en place d’une imposition minimale des bénéfices par l’ensemble des pays, à un taux qui s’est stabilisé à 15 % après que des taux de 12,5 % et de 21 % ont été évoqués dans les négociations.
Un surcroît de recettes attendu
D’après les travaux menés en 2020 par le CPO, dans le cadre de son rapport intitulé : « Adapter la fiscalité des entreprises à une économie mondiale numérisée », si un accord sur le premier pilier devrait avoir un impact réduit sur les recettes fiscales en France, un accord sur le second pilier pourrait avoir un effet budgétaire substantiel, se situant dans une fourchette de 1,5 milliard à 7 milliards d’euros. Le CPO a depuis ajusté ces chiffres et estime désormais que le surcroît de recettes lié au second pilier serait de l’ordre de 5 milliards pour la France.
Référence : AJU002o2