Relaxe dans l’affaire Wildenstein
Le tribunal correctionnel a jugé que la preuve n’avait pas été apportée que les trusts utilisés par la famille Wildenstein étaient fictifs. Dès lors, la fraude fiscale n’est pas avérée. Dans cette même affaire, le Conseil constitutionnel a validé le principe des doubles poursuites pénales et fiscales dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par les avocats des héritiers Wildenstein.
Le tribunal correctionnel de Paris vient de rendre un jugement de relaxe dans l’affaire Wildenstein1. Le parquet national financier a fait appel de cette décision le 13 janvier dernier, estimant indispensable « un nouvel examen de l’affaire par la cour d’appel ».
Une plainte pour fraude fiscale
À l’origine de l’affaire Wildenstein, une succession orageuse, celle du marchand d’art mondialement connu Daniel Wildenstein, qui s’est soldée par un déchaînement de plaintes et de redressements fiscaux. Ce sont d’abord les héritiers qui se sont déchirés. Puis Bercy est entré en scène et en 2011, l’administration fiscale a réévalué le montant de la succession, prononcé un premier redressement fiscal et déposé plainte pour fraude fiscale. En 2012, après avoir lancé un nouveau redressement fiscal, l’administration fiscale a déposé une seconde plainte pour fraude fiscale concernant une autre succession, celle d’Alec Wildenstein, le fils de Daniel Wildenstein. En 2012, Guy Wildenstein, le fils aîné de Daniel Wildenstein, Alec Wildenstein junior et Liouba Stoupakova, qui a épousé Alec Wildenstein senior ont été mis en examen pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, avec trois de leurs conseils ainsi que deux établissements bancaires mis en examen pour leur participation à l’élaboration de la fraude fiscale présumée. Bercy estimait que la famille Wildenstein avait frauduleusement dissimulé une partie de sa fortune dans des trusts discrétionnaires et irrévocables lui permettant d’éluder des droits de succession se chiffrant en centaines de millions d’euro. L’administration fiscale a réintégré les biens placés dans ces trusts dans la succession litigieuse, considérant que lesdits trusts étaient frauduleux puisqu’ils avaient financé le train de vie des héritiers par différents moyens, dont des prêts. Cette affaire a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité qui a permis au Conseil constitutionnel de préciser que le cumul des poursuites pénales et fiscales ne porte pas atteinte à la Constitution, à la condition que la procédure pénale pour fraude fiscale s’applique aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt (v. infra encadré : La double poursuite validée par le Conseil constitutionnel).
Sept trusts mis au point par la famille Wildenstein
Au total, pas moins de sept trusts ont été constitués par Daniel et Alec Wildenstein, Daniel Trust, Sons Trust, David Trust, Sylvia Trust, AW Trust, Drawdale Trust, Louve Trust. Ces trusts détiennent le plus souvent, par le biais de sociétés constituées ad hoc, des biens très divers : un ranch au Kenya, des immeubles à New York, une île dans les Caraïbes, et de très nombreux tableaux liés à l’activité de marchand d’art de la famille Wildenstein. Or la notion de trust est mal appréhendée par le droit français qui n’a commencé à l’encadrer qu’à partir de l’année 2011, les faits reprochés aux héritiers Wildenstein étant, quant à eux, intervenus entre 2001 et 2008. Jusqu’en 2011, les trusts, institutions très répandues en droit anglo-saxon, n’avaient pas d’existence légale en France. Ils sont définis au niveau international par l’article 2 de la convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance. Selon cet article, le terme de trust vise les relations juridiques créées par une personne, le constituant par acte entre vifs ou à cause de mort, lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d’un trustee dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé. Cependant, si la France a signé la convention de La Haye, elle ne l’a pas ratifiée et ne l’a donc pas intégrée dans son droit. En l’absence de règles d’imposition précises en droit français, il était possible de recourir à des trusts irrévocables et discrétionnaires à des fins d’évasion fiscale. Des constituants ou des bénéficiaires pourraient conserver, en pratique, la maîtrise des actifs du trust au travers de montages complexes ou de lettres confidentielles autorisées par certains États tout en paraissant avoir aliéné leur patrimoine du point de vue des autorités françaises. La première loi de finances rectificative pour 2011 est venue remédier à cette lacune. Bercy a précisé le champ des obligations déclaratives pesant sur les administrateurs de trusts (CGI, art. 1649 AB). L’administrateur d’un trust doit déposer une déclaration relative à la constitution, à la modification ou l’extinction ainsi qu’aux termes du trust et procéder tous les ans à une déclaration de la valeur vénale des biens, droits et produits placés dans le trust au 1er janvier. Le champ du prélèvement sui generis sur les trusts a également été précisé (CGI, art. 990 J). Doivent ainsi être déclarés, lorsque le constituant du trust ou l’un au moins des bénéficiaires réside fiscalement en France, tous les biens et droits du trust situés en France et hors de France, et cela même s’ils sont exonérés d’ISF. Lorsque le constituant du trust et l’ensemble des bénéficiaires sont tous non-résidents, les biens et droits du trust situés en France doivent être déclarés, y compris ceux exonérés d’ISF, à l’exception des placements financiers au sens de l’article 885 L du CGI. Certes, au moment des faits, il n’existait pas d’obligations de déclaration pour les trusts. Cependant, en matière de droits de mutation à titre gratuit (DMTG), si les biens placés dans un trust irrévocable ont effectivement quitté le patrimoine du défunt ou du donateur et ne peuvent donc être taxés, il n’en est pas de même dans le cas d’un trust révocable. Et selon l’instruction de cette affaire, menée par les juges Guillaume Daïeff et Serge Tournaire, les trusts paraissaient avoir un caractère révocable, et dès lors, pouvoir être considérés comme fictifs.
Une décision qui a créé la surprise
La décision du tribunal correctionnel a été très commentée et a été peu comprise. La majorité des commentateurs se sont étonnés d’une décision de relaxe dans une affaire où la fraude paraissait caractérisée. « Cette décision est susceptible de heurter le sens commun » a d’ailleurs averti le président de la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris, Olivier Géron, avant d’annoncer la relaxe de Guy Wildenstein et de ses co-inculpés. Le parquet national financier avait requis quatre ans de prison dont deux ans de sursis contre Guy Wildestein, six mois de prison avec sursis à l’encontre d’Alec Wildenstein, et un an de prison pour Liouba Stoupakova, qui a épousé en secondes noces un Wildenstein, 187 500 € d’amende pour complicité de fraude fiscale à l’encontre des deux établissements bancaires abritant les trusts litigieux, trois ans de prison dont deux avec sursis et un million d’euros d’amende pour l’avocat suisse de la famille, deux ans de prison avec sursis et 37 500 € d’amende pour le notaire qui s’est chargé de rédiger les déclarations de succession et deux ans de prison, dont un an avec sursis ainsi que 500 000 € d’amende assortie d’une interdiction d’exercer toute profession juridique pendant trois ans pour leur conseiller fiscal. Des réquisitions d’une grande sévérité pour « une fraude fiscale d’une gravité exceptionnelle », d’après la formule de la procureure Monica d’Onofrio.
Pour Olivier Géron, qui a détaillé pendant un peu plus d’une heure le raisonnement qui l’a conduit à prononcer cette décision de relaxe, « le patrimoine a été clairement dissimulé, sur plusieurs générations, avec une claire intention d’évasion patrimoniale ». Cependant, si l’enquête a mis en évidence de fortes présomptions que les trusts soient fictifs, elle n’a pas apporté de preuve de ce caractère fictif, notamment en raison des difficultés rencontrées à enquêter dans les territoires où ces entités sont situées : Îles anglo-normandes ou Caraïbes. Or selon les règles du procès pénal rappelées par les avocats de Guy Wildenstein, « la charge de la preuve est imputable au parquet, et la certitude doit être absolue. Un tribunal ne peut conclure à l’imposture en l’absence de preuves directes », a conclu Olivier Géron. Dans ces conditions aucune fraude fiscale ne peut être reprochée aux héritiers Wildenstein ce qui justifie la décision de relaxe.
Notes de bas de pages
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1.
T. corr., 12 janv. 2017, Wildenstein.
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2.
Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90001, Wildenstein – Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90005, Cahuzac.
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3.
Cons. const., 24 juin 2016, nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC.
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4.
CEDH 4 mars 2014, n° 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, Grande Stevens c/ Italie, et CEDH, 27 nov. 2014, n° 7356/10, Lucky Dev c/ Suède.
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5.
CEDH, 15 nov. 2016, n° 24130/11 et 29758/11.