Responsabiliser les intermédiaires fiscaux
Le point sur les nouvelles règles de transparence pour les intermédiaires fiscaux prévues par la directive DAC 6 qui imposent aux professionnels voire aux contribuables eux-mêmes de déclarer les dispositifs de planification fiscale qu’ils mettent en place.
La directive n° 2018-822 du 25 mai 2018, dite DAC 6, sera transposée en France par voie d’ordonnance, d’ici le 31 décembre 2019, comme le prévoit l’article 22 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. Elle impose de nouvelles obligations de transparence aux professionnels du conseil fiscal, tels que les conseillers fiscaux, les comptables, les banques et les avocats, qui conçoivent et font la promotion des dispositifs de planification fiscale pour leurs clients. Les nouvelles obligations de déclaration entreront en vigueur le 1er juillet 2020 mais pourront concerner des opérations plus anciennes à partir du moment où leur première étape de mise en œuvre sera intervenue à compter du 25 juin 2018.
Lutter contre la fraude fiscale
Une étude récente réalisée par le Parlement européen a estimé que l’évasion fiscale représentait un manque à gagner pour les budgets publics compris entre 50 et 70 milliards d’euros par an, tandis qu’une autre étude a estimé qu’un montant total de 173 milliards d’euros avait été éludé uniquement à l’aide des dispositifs dévoilés par les « Panama Papers ». Les nouvelles règles s’inscrivent dans le cadre du programme de la Commission Juncker visant à lutter contre les pratiques fiscales abusives et à assurer une fiscalité plus juste au sein de l’UE.
L’Union européenne s’est fixée comme objectif de renforcer la transparence fiscale et de remédier aux lacunes entraînant une évasion fiscale à grande échelle. La Commission a également mis en place une stratégie concernant les pays tiers qui refusent de respecter les règles du jeu en matière d’imposition et une liste noire commune de l’UE recensant les paradis fiscaux a récemment été publiée. Ces nouvelles mesures contraignantes signifient que l’UE s’attaque désormais également au rôle central joué par les intermédiaires dans l’évasion et la fraude fiscales internationales, mis notamment en lumière dans l’affaire des Panama Papers et des Paradise Papers.
La plupart des services fournis par des intermédiaires, tels que les conseillers fiscaux, les comptables, les institutions financières et les cabinets d’avocats sont légitimes. Toutefois, certains intermédiaires conçoivent, promeuvent et vendent activement des dispositifs dans le but précis d’aider leurs clients à éluder l’impôt. La Commission avait souligné qu’il était urgent d’accroître la transparence et la responsabilité dans ce domaine dès juillet 2016 et confirmé qu’elle proposerait des règles à l’échelle de l’UE. Le Conseil et le Parlement européen ont également sollicité l’adoption de mesures par l’UE contre ceux qui rendent possible ou encouragent la planification fiscale agressive. Certains États membres (Royaume-Uni, Irlande et Portugal) disposent déjà de régimes de déclaration obligatoire pour les intermédiaires et ces règles se sont avérées très efficaces pour lutter contre les pratiques fiscales abusives au niveau national. De plus, le projet BEPS de l’OCDE a recommandé que les pays introduisent des exigences relatives à la communication obligatoire d’informations pour les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif. Les mesures convenues ce jour garantiront que tous les États membres ont la même supervision des activités de ceux qui se livrent à la planification fiscale, et qu’ils coopèrent pour empêcher le recours à des dispositifs de planification fiscale à caractère agressif. Pour Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne pour l’euro et le dialogue social, également chargé de la stabilité financière, des services financiers et de l’union des marchés des capitaux, « l’Union européenne est pionnière en matière de renforcement de la transparence dans le monde de la planification fiscale agressive. Les mesures mises en place portent déjà leurs fruits. Aujourd’hui, nous proposons de mettre devant leurs responsabilités les intermédiaires qui créent et vendent des dispositifs d’évasion fiscale. Au bout du compte, les recettes fiscales des États membres s’en trouveront accrues ».
De nouvelles mesures contraignantes
La directive DAC 6 vise à lutter contre la planification fiscale agressive en intensifiant le contrôle exercé autour des activités inédites de planification fiscale et de conseils fiscaux. Pierre Moscovici, commissaire pour les Affaires économiques et financières, la Fiscalité et les Douanes, a déclaré à ce sujet : « Nous continuons à mettre en œuvre notre stratégie en matière de transparence fiscale. Aujourd’hui, nous nous concentrons sur les professionnels qui encouragent les pratiques fiscales abusives. Les administrations fiscales devraient disposer des informations dont elles ont besoin pour contrecarrer les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif ».
Les dispositifs transfrontières de planification fiscale qui comportent certains marqueurs et sont à l’origine de pertes potentielles de recettes pour les pouvoirs publics devront désormais faire automatiquement l’objet d’une déclaration aux autorités fiscales avant qu’ils ne soient utilisés. La Commission a recensé les principaux marqueurs, y compris l’utilisation des pertes pour réduire la charge fiscale, le recours à des régimes fiscaux spéciaux favorables ou à des dispositifs mis en œuvre par l’intermédiaire de pays qui ne répondent pas aux normes internationales de bonne gouvernance. L’obligation de déclarer un dispositif transfrontière comportant un ou plusieurs de ces marqueurs incombera à l’intermédiaire qui a fourni le dispositif transfrontière pour qu’il soit mis en œuvre et utilisé par une entreprise ou un particulier, au particulier ou à l’entreprise destinataire du conseil, quand l’intermédiaire fournissant le dispositif transfrontière n’est pas établi dans l’UE ou lorsque l’intermédiaire est tenu au secret professionnel, au particulier ou à l’entreprise mettant en œuvre le dispositif transfrontière lorsqu’il est mis au point par des avocats ou des conseillers fiscaux en interne. Les États membres échangeront automatiquement les informations qu’ils reçoivent sur les dispositifs de planification fiscale au moyen d’une base de données centralisée, ce qui leur permettra de détecter suffisamment tôt les nouveaux risques d’évasion et de prendre des mesures pour neutraliser les dispositifs dommageables. L’obligation de déclarer un dispositif ne signifie pas nécessairement qu’il est dommageable, mais seulement qu’il mérite d’être examiné par les autorités fiscales. Toutefois, les États membres seront tenus d’appliquer des sanctions efficaces et dissuasives aux entreprises qui ne respectent pas les mesures de transparence, ce qui aura sur celles qui encouragent ou facilitent les pratiques fiscales abusives un effet dissuasif tant nouveau que puissant. Les nouvelles règles sont exhaustives, car elles couvrent tous les intermédiaires, tous les dispositifs potentiellement dommageables et tous les États membres. Les informations détaillées relatives à chaque dispositif fiscal comportant un ou plusieurs marqueurs devront être communiquées à l’autorité fiscale d’origine de l’intermédiaire dans un délai de cinq jours à compter de la mise à disposition dudit dispositif auprès d’un client.
Le champ d’application de la directive
La directive a le champ d’application le plus large possible et couvre tous les intermédiaires et tous les types d’impôts directs (impôt sur le revenu, sur les sociétés, sur les plus-values, droits de succession, etc.). Toute entreprise ou tout professionnel qui conçoit ou promeut un dispositif de planification fiscale ayant une dimension transfrontière et comportant l’un des marqueurs énoncés dans la directive est concerné. Le champ d’application de la directive inclut les avocats, les comptables, les conseillers fiscaux et financiers, les banques et les consultants.
Les intermédiaires seront tenus de déclarer tout dispositif transfrontière comportant un ou plusieurs des « marqueurs » énumérés dans la directive. Ces marqueurs sont des éléments ou caractéristiques d’un dispositif de planification fiscale susceptible de permettre l’évasion fiscale ou des pratiques fiscales abusives. Les marqueurs tiennent compte des éléments généralement présents dans les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif. Ils sont aussi vastes que possible pour éviter toute lacune ou omission susceptible d’être exploitée par ceux qui se livrent à la planification fiscale agressive. Lors de la sélection des marqueurs, la Commission s’est inspirée des dispositions de l’OCDE sur la communication obligatoire d’informations (action 12 du projet BEPS), de la législation des États membres en la matière et d’autres études et rapports concernant les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif. Il s’agit par exemple de dispositifs comportant un paiement transfrontière en faveur d’un bénéficiaire résidant dans un pays à fiscalité nulle ou quasiment nulle, concernant une juridiction disposant d’une législation sur la lutte contre le blanchiment de capitaux mal ou peu appliquée, créés pour éviter de devoir déclarer des revenus en application des règles de transparence de l’UE, établissant un lien direct entre les honoraires facturés par l’intermédiaire et les économies réalisées par le contribuable grâce à l’évasion fiscale, garantissant que les déductions pour le même amortissement d’un actif sont demandées dans plus d’une juridiction, demandant un allègement au titre de la double imposition pour le même revenu ou capital dans plus d’un pays… Les intermédiaires devront donc se familiariser avec l’ensemble des marqueurs figurant dans la législation afin de s’assurer qu’ils respectent pleinement leurs obligations de déclaration.
Comment déclarer
En pratique, les intermédiaires devront déclarer tout dispositif transfrontière de planification fiscale qu’ils conçoivent ou dont ils font la promotion si celui-ci comporte l’un de ces marqueurs spécifiques. Ils doivent effectuer cette déclaration auprès de leurs autorités fiscales dans les trente jours suivant le jour où le dispositif mis à disposition, est sur le point d’être mis en œuvre ou a été mis en œuvre après la première étape, selon ce qui se produit en premier. Les États membres auprès desquels ces dispositifs sont déclarés doivent automatiquement partager ces informations tous les trois mois avec tous les autres États membres par l’intermédiaire d’une base de données centralisée. Un format standardisé sera établi pour l’échange de ces informations, qui comprendra entre autres des informations détaillées sur l’intermédiaire, le ou les contribuables concernés et les caractéristiques du dispositif fiscal. La Commission aura accès à certains éléments des informations échangées entre les États membres de sorte qu’elle puisse assurer un suivi de la mise en œuvre des règles.
Les nouvelles obligations de déclaration entreront en vigueur le 1er juillet 2020 et les États membres de l’UE seront tenus d’échanger les informations tous les trois mois. Le premier échange aura lieu au plus tard le 31 octobre 2020. Les intermédiaires ou les contribuables concernés, selon le cas, transmettront les informations sur les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration et dont la première étape a été mise en œuvre entre la date de l’entrée en vigueur de la directive soit, 20 jours après sa publication au Journal officiel de l’UE et sa date d’application de directive, le 1er juillet 2020). La transmission sera achevée au plus tard le 31 août 2020. Les États membres doivent s’assurer que des sanctions efficaces et dissuasives sont en place pour les intermédiaires qui ne respectent pas ces obligations de déclaration. Il revient aux États membres de déterminer la nature exacte de ces sanctions et chacun d’entre eux doit décider de ses propres sanctions nationales à appliquer. Ces dernières peuvent notamment prendre la forme d’amendes ou de sanctions administratives. Les obligations de déclaration proposées auront aussi un effet dissuasif en ce qui concerne la conception et la commercialisation de dispositifs de planification fiscale à caractère agressif, puisque ceux-ci pourront rapidement être neutralisés par les autorités. La législation de l’UE ne peut pas être étendue pour couvrir les intermédiaires qui ne sont pas établis dans l’UE. Il serait impossible de faire respecter les règles et de sanctionner le non-respect de celles-ci par les intermédiaires n’ayant pas une présence suffisante dans l’UE. Par conséquent, si l’intermédiaire n’est pas situé dans l’UE ou est lié par les règles relatives au secret professionnel, l’obligation de déclarer le dispositif fiscal incombe alors au contribuable. Les obligations de déclaration sont conçues afin d’éviter de faire peser des charges excessives sur le secteur.
Pour ce qui est des déclarations aux autorités fiscales, les intermédiaires peuvent réutiliser les résumés sur les dispositifs de planification fiscale qu’ils rédigent pour leurs clients. En outre, les mesures respectent les règles nationales en matière de secret professionnel étant donné que dans ces cas, l’obligation de déclaration n’incombe plus à l’intermédiaire, mais au contribuable. Bien qu’il n’existe pas de seuil minimal pour la divulgation d’informations, les marqueurs donnant lieu à une déclaration permettent généralement de déterminer des situations à haut risque qui font intervenir des dispositifs élaborés. Ce type de conseils fiscaux sophistiqués ne devrait pas, en principe, être financièrement à la portée de petites entreprises ou de particuliers. Dans la pratique, l’obligation de déclaration concernerait principalement de grandes entreprises ou des particuliers très fortunés. Les États membres qui appliquent déjà les règles de communication obligatoire d’informations, comme le Royaume-Uni, n’ont pas constaté de retombées négatives sur le secteur à la suite de l’introduction des obligations de transparence.