Solidarité fiscale des ex-époux : comment en être déchargé ?

Publié le 07/06/2023
Divorce, séparation, maison, domicile, époux, patrimoine, famille
annebel146/AdobeStock

Un ex-époux ou ex-pacsé peut, à l’administration fiscale, être déchargé de l’obligation au paiement solidaire des dettes fiscales communes. Il doit faire valoir une disproportion marquée entre sa situation patrimoniale et le montant de la dette fiscale. La décharge de la solidarité fiscale des ex-époux est limitée et ne peut pas s’appliquer à la totalité de l’imposition mise à la charge du foyer fiscal.

Quelles sont les règles de solidarité fiscale entre les ex-époux ? Comment en être déchargé ? Dans quelles conditions et proportions ? Si les ex-époux sont solidaires de certaines dettes fiscales contractées par le couple, y compris après leur séparation, la loi fiscale prévoit des possibilités d’y déroger.

La solidarité fiscale pendant l’union

Les époux et les partenaires de pacte civil de solidarité (pacs) forment un foyer fiscal. De ce fait, ils sont soumis à l’obligation de remplir une déclaration commune pour leurs revenus soumis à l’impôt sur le revenu et pour leur patrimoine soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), selon l’article 1691 bis du Code général des impôts (CGI). Ces impôts sont dans ce cas considérés comme des dettes fiscales communes. Il en va de même pour la taxe d’habitation s’ils vivent sous le même toit. En revanche, il en va différemment des prélèvements sociaux.

En conséquence : les époux et les pacsés sont solidairement responsables du paiement de ces dettes fiscales. La circonstance qu’ils soient soumis régime matrimonial de séparation des biens n’y change rien. La solidarité est totale cela signifie que l’administration fiscale peut demander à un époux de payer l’intégralité de la dette fiscale, et pas seulement la part qui serait calculée par ses seuls revenus ou patrimoine.

Que se passe-t-il en cas de divorce ou séparation ?

La séparation du couple n’est pas un événement qui met fin à la solidarité fiscale liant les deux membres du couple. Même pendant l’instance de divorce et après le divorce ou la rupture du pacs, les deux contribuables sont encore solidaires des dettes fiscales communes, c’est-à-dire contractées pendant leur union, tant qu’ils étaient soumis à déclaration commune. En revanche lorsque la séparation est complètement actée, les ex-conjoints (ou ex-partenaires) font l’objet d’une imposition séparée et la solidarité ne joue pas sur les dettes fiscales nouvelles contractées.

Cette solidarité qui perdure peut faire peser une dette fiscale sur un des deux époux très longtemps après la vie commune, et de laquelle il n’est pas personnellement responsable. La situation peut le confronter à une dette élevée à laquelle il ne peut pas faire face, ou encore à une dette qu’il trouve injuste d’avoir à honorer, par exemple en cas de fraude fiscale commise par l’ex-conjoint, en cas d’insolvabilité organisée par l’ex-conjoint, ou autres manœuvres frauduleuses.

Demander une décharge aux services des impôts

Depuis 2008, la loi offre aux personnes divorcées ou séparées la possibilité de solliciter une décharge de paiement auprès de l’administration fiscale.

À la date de la demande, leur situation doit correspondre à l’un de quatre cas de figure suivants :

• le jugement de divorce ou de séparation de corps a été prononcé ou la convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats a été déposée au rang des minutes d’un notaire ;

• la déclaration conjointe de dissolution du pacte civil de solidarité établie par les partenaires ou la signification de la décision unilatérale de dissolution du pacte civil de solidarité de l’un des partenaires a été enregistrée au greffe du tribunal judiciaire ;

• les intéressés ont été autorisés à avoir des résidences séparées ;

• l’un ou l’autre des époux ou des partenaires liés par un pacte civil de solidarité a abandonné le domicile conjugal ou la résidence commune.

Les conditions entourant la demande en décharge

Le bénéfice de la décharge n’est pas automatique. Le législateur a prévu trois conditions : la rupture de la vie commune, le respect des obligations fiscales du demandeur et la disproportion entre la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale du demandeur.

« La décharge de l’obligation de paiement est accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur ».

Cette dernière notion, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur, correspond à sa capacité de remboursement au regard des ressources dont il dispose à la date de la demande. Les charges prises en compte comprennent les impôts et taxes de l’année courante, le montant du loyer ou les mensualités de remboursement, les pensions alimentaires, les factures d’énergie, les frais de garde et de scolarité des enfants et, de façon générale, toutes les charges de vie courante.

Quant à la disproportion marquée, l’administration fiscale l’apprécie au niveau du contribuable qui fait la demande de décharge. Or jusqu’en 2022, il arrivait qu’elle examine la capacité de remboursement de demandeur sur des durées particulièrement longues, jusqu’à dix ans. Cette situation était source de détresse pour les contribuables de bonne foi endettés, et source d’incompréhension et de contentieux.

Pour y remédier, la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de Finances pour 2022 a encadré la durée sur laquelle l’administration fiscale évalue la capacité de remboursement du demandeur la limitant à trois ans.

La demande peut faire l’objet d’un rejet. Dans ce cas, ainsi qu’en l’absence de réponse dans le délai de six mois, le demandeur peut former un recours hiérarchique auprès de l’administration fiscale sans condition de délai. Il peut encore former un recours contentieux, en justice, dans le délai de deux mois à compter de la date d’expiration du délai de six mois ou de la date à laquelle lui a été notifiée la décision prise sur la demande en décharge.

L’étendue de la décharge

La loi fixe les contours de l’étendue de la décharge que l’administration peut accorder au demandeur. Elle n’est en effet pas totale.

Pour l’impôt sur le revenu, la décharge est égale à « la différence entre le montant de la cotisation d’impôt sur le revenu établie pour la période d’imposition commune et la fraction de cette cotisation correspondant aux revenus personnels du demandeur et à la moitié des revenus communs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité ». Les revenus des enfants mineurs du demandeur non issus de son mariage avec le conjoint ou de son union avec le partenaire de pacte civil de solidarité sont ajoutés aux revenus personnels du demandeur. La moitié des revenus des enfants mineurs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité est ajoutée à la moitié des revenus communs.

Pour l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), la décharge est égale à « la différence entre le montant de la cotisation d’impôt sur la fortune immobilière dû par les personnes mentionnées à l’article 1723 ter-00 B et la fraction de cette cotisation correspondant à l’actif net du patrimoine imposable propre du demandeur et à la moitié de l’actif net du patrimoine imposable commun du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité ». Le patrimoine imposable des enfants mineurs du demandeur non issus de son mariage avec le conjoint ou de son union avec le partenaire de pacte civil de solidarité est ajouté au patrimoine imposable propre du demandeur ; la moitié du patrimoine imposable des enfants mineurs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité est ajoutée à la moitié du patrimoine imposable commun.

Une récente illustration

Dans un arrêt du 27 mars, le Conseil d’État, (CE, 27 mars 2023, n° 46628), rappelle les règles entourant le montant de la décharge de solidarité fiscale des ex-époux.Dans cette affaire, les époux A ont divorcé, la convention de divorce ayant été homologuée le 4 juin 2014. Le 16 février 2015, Madame A a demandé la décharge totale de son obligation solidaire de payer les cotisations, primitive et supplémentaire, d’impôt sur le revenu auxquelles le foyer fiscal qu’elle formait avec son époux avait été assujetti au titre de l’année 2012, pour un montant de 17 222 euros. Par une décision du 24 mai 2017, l’administration fiscale a rejeté sa demande. Madame A a alors demandé au tribunal administratif de Rouen d’annuler cette décision, lequel a rejeté sa demande (TA Rouen, 12 novembre 2019, n° 1702344). Madame A a fait appel et la CAA de Douai a annulé le jugement et prononcé la décharge de l’obligation solidaire de payer pour un montant de 17 222 euros (CAA Douai, 9 juin 2022, n° 20DA00073). La cour a considéré que, à la date de la demande de décharge, il existait une disproportion marquée entre la situation financière et patrimoniale, nette de charges, de l’intéressée (un revenu annuel de 6 744 euros, des charges courantes annuelles de 1 896 euros, ainsi que de la dette fiscale distincte de 3 911 euros) et la dette fiscale de 17 222 euros. L’administration fiscale s’est pourvue en cassation.

Le Conseil d’État a annulé l’arrêt du 9 juin 2022 (CE, 27 mars 2023, n° 466281) en raison d’une application des règles déterminant le montant de la décharge. Le Conseil d’État a rappelé que la décharge de responsabilité solidaire est égale à la différence entre le montant de la cotisation d’impôt sur le revenu établie pour la période d’imposition commune (impositions primitives et supplémentaires, le cas échéant), d’une part, et la fraction de cette cotisation correspondant aux revenus personnels du demandeur et à la moitié des revenus communs du demandeur et de son conjoint ou partenaire lié par un pacs, d’autre part.

Or la cour d’appel a accordé à Madame A la décharge de solidarité qu’elle sollicitait alors qu’elle avait perçu des salaires au cours de l’année 2012, et elle n’a pas fait application des dispositions de l’article 1691 bis, II du CGI pour la limiter à la différence entre, d’une part, ce montant et, d’autre part, la fraction de la cotisation correspondant à ses revenus personnels et à la moitié des revenus communs. La cour a en effet accordé la décharge à concurrence de la totalité de l’imposition mise à la charge du foyer fiscal qu’elle avait formé avec son ex-époux. La cour a commis une erreur de droit et la haute juridiction a renvoyé l’affaire à la cour administrative d’appel de Douai.

Plan
X