Succession, quasi-usufruit, assurance-vie et décès de l’usufruitier

Dans un arrêt du 11 octobre 2023, la Cour de cassation se prononce sur l’articulation entre l’application du régime fiscal des primes de l’assurance-vie versées après 70 ans et celle du quasi-usufruit d’une créance placée dans le contrat d’assurance-vie, sans report du démembrement sur les fonds versés au contrat.
La Cour de cassation se prononce de façon inédite sur la taxation d’une somme placée en assurance-vie issue d’obligations démembrées et remboursées (Cass. com., 11 oct. 2023, n° 21-12732).
Succession, démembrement et assurance-vie
Monsieur N. est décédé en 1999, en laissant pour lui succéder son épouse, Madame P., et leur fille, Madame N. La première a hérité de l’usufruit de 347 889 obligations d’État, la seconde de la nue-propriété des mêmes titres. Le 28 janvier 2000, la conjointe survivante Madame P. usufruitière et la fille nue-propriétaire ont déposé ces obligations d’État sur un compte titres démembré. En juin 2005, les titres sont arrivés à leur terme et le produit de la liquidation (à concurrence de 350 000 euros) a été placé sur un contrat d’assurance-vie. Ce contrat a été souscrit par l’usufruitière seule, âgée de plus de 70 ans. Le contrat d’assurance-vie n’est donc pas démembré.
L’usufruitière décède à son tour, en 2011, laissant pour lui succéder sa fille unique. Le litige porte sur sa déclaration de succession déposée en mars 2012. Seule héritière et seule bénéficiaire de l’assurance-vie, Madame N estime que les sommes placées sur l’assurance-vie ne sont pas taxables, comme étant à l’origine démembrées. En juillet 2014, l’administration fiscale conteste cette analyse et lui notifie une proposition de rectification portant sur les droits de mutation par décès sur la prime de 350 000 euros versée par application de l’article 757 B du Code général des impôts (CGI) et émet un avis de mise en recouvrement en mars 2015.
Une double imposition ?
Le litige porte sur la taxation de capitaux issus d’un démembrement et réinvestis dans un contrat d’assurance-vie par le seul usufruitier. L’administration fiscale considérait que les capitaux devaient être soumis à la fiscalité des primes versées après 70 ans, selon l’article 787 B du CGI, qui prévoit l’application des droits de mutation par décès en fonction du lien de parenté et après un abattement global de 30 500 euros (commun à tous les bénéficiaires et tous les contrats du souscripteur défunt).
En appel, la cour de Douai a donné raison à la contribuable (CA Douai, 3 déc. 2020, n° 19/01820). Elle a considéré que la somme de 350 000 euros versée sur le contrat d’assurance-vie ne pouvait être imposée au titre de l’article 757 B du CGI puisque cette somme ne faisait pas partie de la créance de restitution de la nue-propriétaire déductible de l’actif de la succession de l’épouse usufruitière.
L’arrêt retient en outre qu’en imposant la prime de 350 000 euros versée sur ce contrat après l’avoir imposée au titre de la succession du père, l’administration fiscale a pratiqué une double imposition au détriment de Madame N, la fille, nue-propriétaire. L’administration a alors formé un pourvoi contestant l’argument de la double imposition. Elle considère en effet que si la prime est taxable au titre de l’article 787 B du CGI, il n’y a pas double imposition car la fille nue-propriétaire dispose d’une créance de restitution à l’encontre de sa mère usufruitière, créance portée au passif de la succession de la mère.
Application de la fiscalité de l’assurance-vie
La Cour de cassation commence par rappeler que, selon l’article 757 B du CGI, les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un assureur, à raison du décès de l’assuré, donnent ouverture aux droits de mutation par décès suivant le degré de parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l’assuré à concurrence de la fraction des primes versées après l’âge de 70 ans qui excède 30 500 euros.
En application de cet article, la cour considère que Madame N. se trouvait donc imposable aux droits de mutation par décès sur la somme de 319 500 euros, en sa qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance-vie, dès lors que les fonds sur lesquels sa mère jouissait d’un quasi-usufruit avaient été versés par cette dernière sous forme de primes après ses 70 ans. D’autre part, la cour écarte l’argument de la double imposition dès lors que, si les obligations d’État dont Madame N avait hérité de la nue-propriété au décès de son père « avaient donné lieu au paiement de droits de mutation, celle-ci, en sa qualité de nue-propriétaire des fonds reçus en remboursement de ces obligations, détenait une créance de restitution de 350 000 euros sur la succession de [sa mère usufruitière] laquelle créance venant se déduire de l’assiette de la base imposable des droits de mutation par décès ».
La créance de quasi-usufruit
En cause dans cette affaire, le mécanisme du quasi-usufruit et de l’assurance-vie. L’usufruit portait sur des obligations. Après leur remboursement, les sommes ont été placées en assurance-vie. Il s’agit donc d’un quasi-usufruit. Pour mémoire, l’article 587 du Code civil se définit de la façon suivante : « Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution. » En application de cette règle, le quasi-usufruitier peut disposer librement de la chose, comme le ferait un propriétaire, à charge pour lui d’en rendre l’équivalent. Pour équilibrer cette prérogative, les nus-propriétaires sont « créanciers de la restitution » et la dette de l’usufruitier sera éligible au passif de sa propre succession : il s’agit de la dette de restitution.
Autre mécanisme en présence : l’assurance-vie et l’assujettissement des primes versées après 70 ans aux droits de mutation par décès conformément à l’article 787 B du CGI. Placées sur le contrat d’assurance-vie, les sommes échappaient à la succession légale de la mère quasi-usufruitière, conformément au régime de l’assurance-vie. Pour éviter le mécanisme de cette taxation avec créance de restitution, il eut fallu que les parties conviennent d’un report du démembrement sur les fonds versés dans le contrat.
Référence : AJU011j0
