Titres non cotés : la méthode d’évaluation par comparaison ne peut être combinée avec d’autres méthodes
L’évaluation des titres non cotés doit se faire prioritairement par la méthode d’évaluation par comparaison. Cette méthode ne peut pas être combinée avec les méthodes subsidiaires existantes comme la méthode de la valeur mathématique ou celle de la valeur de rendement ou de la productivité.
Le Conseil d’État apporte des précisions inédites au contentieux de l’évaluation en jugeant qu’en matière d’évaluation de titres non cotés, la méthode d’évaluation consistant à recourir à la comparaison avec des transactions récentes intervenues sur des titres de la même société ne peut être combinée avec d’autres méthodes d’évaluation1. L’évaluation des titres de société non cotés est à la source de nombreux contentieux, qu’il s’agisse de différends entre associés ou de remises en cause opérées par l’administration fiscale. Pour évaluer ces titres, les contribuables peuvent s’appuyer sur un guide : L’évaluation des entreprises et des titres de sociétés, fourni sur le site d’information de Bercy2. Précisons que ce manuel des bonnes pratiques n’est pas opposable à l’administration fiscale. Le guide retient plusieurs méthodes :
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la méthode de la comparaison consiste à établir la valeur des titres par référence à celles d’autres titres telles qu’elles ressortent des transactions portant, à la même époque, sur ces titres, dès lors que cette valeur ne résulte pas d’un prix de convenance. Cette méthode peut être appliquée à partir d’une cession ou d’un transfert antérieur du titre à évaluer, soit à partir de l’évolution des valeurs boursières concernant des sociétés cotées très proches structurellement et financièrement de la société non cotée dont on recherche la valeur des titres, ou encore à partir de transactions d’entreprises non cotées dans le même secteur d’activité ;
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la méthode de la valeur mathématique ou méthode patrimoniale permet de déterminer la valeur des titres par référence à la valeur de l’actif net de la société. En pratique, elle consiste à faire la somme de l’ensemble des valeurs vénales des différents éléments de l’actif, diminué de la somme des éléments du passif réel et des provisions. Elle suppose donc un retraitement des bilans de façon à corriger les valeurs comptables pour les ramener aux valeurs réelles ;
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la méthode de la valeur de productivité détermine la valeur de l’entreprise à partir de la capitalisation de son résultat net, dans l’hypothèse où ce flux est réputé constant dans le temps. La valeur de productivité aboutit à dégager la valeur d’une entreprise en capitalisant le résultat net que son activité produit, peu importe que le bénéfice soit distribué ou mis en réserve ;
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la méthode de la marge brute d’autofinancement (MBA) consiste à calculer la valeur de l’entreprise en affectant la marge brute d’autofinancement d’un coefficient multiplicateur, qui peut varier de 4 à 10, suivant la nature des investissements réalisés ;
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la méthode des multiples de l’excédent brut d’exploitation (EBE) ou du résultat d’exploitation (RE) consiste à appliquer un multiple au résultat d’exploitation ou à l’excédent brut d’exploitation de l’entreprise, à valoriser et à diminuer le résultat obtenu de l’endettement financier net de la société.
Le guide opte pour le recours à une combinaison de méthodes. « En effet, l’approche de l’Administration étant plurielle, toutes les méthodes n’ont pas le même poids selon la nature, l’activité ou la taille de l’entreprise, est-il précisé. Ainsi une méthode considérée comme majeure dans une situation deviendra mineure dans une autre. Cela étant, la combinaison de méthodes ne constitue pas un principe intangible ; lorsque dans un secteur donné, il est avéré qu’une méthode est la plus couramment utilisée, il est préconisé de la privilégier et éventuellement de s’en tenir à cette seule approche ». La valeur vénale de l’entreprise qu’il s’agisse d’une entreprise individuelle ou d’une entreprise sociétaire, peut ainsi être obtenue par la combinaison de la méthode de la valeur mathématique, de la méthode de la valeur de productivité, de la méthode de la marge brute d’autofinancement, de la méthode des multiples de l’EBE ou du RE, etc. Ces méthodes sont pondérées en fonction de la taille de l’entreprise et de la nature de son activité. La pondération de ces méthodes aboutit à dégager la valeur moyenne de l’entreprise. C’est cette pratique de la combinaison des méthodes, souvent adoptée en pratique par les entreprises, qui vient d’être remise en cause par le Conseil d’État.
Remise en cause de l’évaluation des titres
Si le prix des parts est inférieur à sa valeur vénale, l’administration fiscale est fondée à corriger leur valeur pour y substituer leur valeur vénale. Précisons que lorsque l’administration fiscale conteste l’évaluation des titres telle que déclarée par le contribuable pour y substituer leur valeur vénale réelle, elle doit apporter la preuve que le prix a été sous-évalué et démontrer la justesse de la nouvelle évaluation à laquelle elle procède. En l’espèce, les 14 et 15 mars 2006, la SARL MT Trading a procédé à l’acquisition de l’intégralité des titres de la SA société nouvelle AB services. 48 % de ces titres ont été acquis auprès de M. E. au prix unitaire de 66,09 €, environ 50 % de ces titres auprès de M. B. C, pour moitié, et auprès Mme D. C., pour l’autre moitié, au prix unitaire de 300 €, et le solde, soit environ 2 %, auprès de M. A. au prix unitaire de 24,81 €. À l’issue de la vérification à laquelle l’administration fiscale a procédé de la comptabilité de la SARL MT Trading, elle a estimé que le prix d’acquisition, par celle-ci, des actions de la SA société nouvelle AB Services auprès de M. E. avait été délibérément minoré par les parties pour dissimuler une libéralité consentie par le vendeur à l’acquéreur. En conséquence, l’administration fiscale a corrigé la valeur d’enregistrement de l’immobilisation à l’actif de la société MT Trading, pour y substituer sa valeur vénale, et a rehaussé le bénéfice imposable de la société à hauteur de la variation d’actif net résultant de cette correction. La SARL MT Trading a demandé au tribunal administratif de Nancy la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes procédant de ces rectifications et auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2005, 2006 et 2007. Par un jugement du 5 novembre 2013, le tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande3. La société SARL MT Trading, devenue société France élévateur, s’est pourvue en appel contre ce jugement devant la cour administrative d’appel de Nancy. Par un arrêt du 26 mars 2015, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté cet appel de la société4. La société s’est donc pourvue en cassation devant le Conseil d’État.
Priorité donnée à la méthode par comparaison
La valeur vénale réelle de titres non cotés en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui résultant du jeu de l’offre et de la demande à la date à laquelle la cession est intervenue. « Cette valeur doit être établie, en priorité, par référence à la valeur des autres titres de la société telle qu’elle ressort des transactions portant, à la même époque, sur ces titres dès lors que cette valeur ne résulte pas d’un prix de convenance », précise le Conseil d’État. Priorité est donc donnée à la méthode par comparaison, conformément à la jurisprudence constante du Conseil d’État5 comme de la Cour de cassation6. « Toutefois, en l’absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l’Administration peut légalement se fonder sur l’une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l’actif par capitalisation des bénéfices ou d’une fraction du chiffre d’affaires annuel, ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes », explique le Conseil d’État. L’application des autres méthodes est possible de façon subsidiaire si la méthode par comparaison ne peut être utilisée. Là encore, la jurisprudence du Conseil d’État comme celle de la Cour de cassation sont en accord sur ce point. Le Conseil d’État innove en revanche sur le dernier point en précisant qu’il est impossible de « procéder par combinaison entre la méthode par comparaison et l’une ou plusieurs des méthodes alternatives ». Dès lors, en jugeant que l’évaluation faite par l’administration fiscale de la valeur vénale des titres de la SA société nouvelle AB services acquis par la société MT Trading de M. E. avait permis d’obtenir le résultat le plus proche possible de celui qui résulterait du jeu de l’offre et de la demande, alors que, selon les motifs de l’arrêt attaqué non argués de dénaturation, cette évaluation procédait d’une combinaison entre, d’une part, la valeur obtenue par la méthode des transactions comparables et, d’autre part, la moyenne arithmétique de la valeur obtenue par la méthode mathématique et la valeur de rentabilité des titres, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit ; que ce moyen, né de l’arrêt attaqué, est, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés, de nature à conduire à son annulation. Le Conseil d’État tranche ici une question inédite. La subsidiarité des autres méthodes par rapport à la méthode par comparaison ne permet pas leur combinaison. Si la position du Conseil d’État est désormais parfaitement claire sur ce point, reste à attendre la position de la Cour de cassation sur la question.
Notes de bas de pages
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1.
CE, 21 oct. 2016, n° 390421.
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2.
https://www.impots.gouv.fr/portail/files/media/3_Documentation/guides_notices/guide_eval_entreprises.pdf.
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3.
TA Nancy, 5 nov. 2013, n° 1101636.
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4.
CAA Nancy, 26 mars 2015, n° 14NC00040.
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5.
CE, 23 juill. 2010, n° 308021, Société indivision Lucie Marmajou.
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6.
Cass. com., 7 juill. 2009, n° 08-14855, Zom.