Une notice de l’administration fiscale lui est-elle opposable ?

Publié le 15/09/2023
Comptable, commissaire aux comptes
David Gallard/AdobeStock

Lorsqu’un imprimé déclaratif et sa notice explicative comportent une interprétation formelle de la loi fiscale, les contribuables peuvent s’en prévaloir sur le fondement du second alinéa de l’article L. 80 A LPF.

Le Conseil d’État vient de se prononcer sur le caractère opposable du contenu de la notice explicative d’un formulaire de déclaration (CE, 9e-10e ch. réunies, 20 juin 2023, n° 462501) dans des circonstances précises et propres au cas de l’espèce. En l’occurrence, la documentation officielle était muette sur le retrait d’un pays (le Togo) de la liste des pays concernés par l’ancien crédit d’impôt dont se prévalait le couple de contribuables. De plus, la déclaration et sa notice explicative n’étaient pas mises à jour.

La formule de calcul d’un crédit d’impôt

Monsieur et Madame B. ont perçu en 2010 des dividendes de source togolaise d’un montant de 1 442 934 euros. Au titre de ces dividendes, ils ont mentionné sur leur déclaration des revenus perçus à l’étranger le bénéfice d’un crédit d’impôt de 541 100 euros. Ils ont calculé ce crédit d’impôt sur la base d’un taux de 37,5 % déterminé selon la formule figurant sur la notice établie par l’administration fiscale à laquelle renvoyait l’imprimé déclaratif.

L’administration fiscale a remis en cause le montant de ce crédit d’impôt au motif que le taux de 37,5 % n’était plus applicable aux dividendes de source togolaise depuis une modification de la doctrine administrative applicable à compter des revenus perçus en 1996 et a ramené le montant du crédit d’impôt à 360 733 euros sur la base du taux de 25 % prévu par la convention fiscale franco-togolaise. Compte tenu de cette réduction, la cotisation d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2010 de Monsieur et Madame B., d’un montant initialement nul, s’est établi au montant de 89 918 euros, majoré de pénalités.

La garantie de l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales

Le couple invoque l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales (LPF) qui institue, au profit des contribuables, une garantie contre les changements d’interprétation formelle des textes fiscaux par l’administration.

Selon ce texte « Il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration.

Il en est de même lorsque, dans le cadre d’un examen ou d’une vérification de comptabilité ou d’un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, et dès lors qu’elle a pu se prononcer en toute connaissance de cause, l’administration a pris position sur les points du contrôle, y compris tacitement par une absence de rectification.

Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l’administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l’impôt et aux pénalités fiscales ».

Par un jugement du 7 janvier 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande tendant à la décharge de l’impôt sur le revenu et des contributions sociales résultant de cette rectification. La cour d’appel de Versailles rejette à son tour l’appel (CAA Versailles, 10 février 2022, n° 20VE00560). Elle avance deux raisons. Tout d’abord, elle retient que les contribuables ne pouvaient se prévaloir de cette notice sur le fondement de l’article L. 80 A du LPF au motif que ce document ne constituait qu’une notice explicative qui n’avait qu’une valeur indicative et ne se substituait pas à la documentation officielle de l’administration. Ensuite, la cour a jugé que cette notice ne comptait pas au nombre des instructions ou circulaires publiées par lesquelles l’administration fiscale fait connaître son interprétation des textes fiscaux. Le couple se pourvoit alors en cassation.

Une prise de position formelle

Le Conseil d’État rappelle qu’« un formulaire de déclaration ou une notice explicative ne sont pas au nombre des instructions ou circulaires que publie l’administration fiscale pour faire connaître son interprétation des textes fiscaux ».

Toutefois, il admet qu’« il en va différemment lorsque ces documents, mis à la disposition des contribuables sur son site internet ou sur demande, comportent une interprétation formelle de la loi fiscale, laquelle peut être invoquée sur le fondement des dispositions du second alinéa de l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales ».

En l’espèce, le Conseil d’État va admettre que la notice explicative du formulaire déclaratif, renvoi qui était opéré dans la rubrique « TOGO – Dividendes du tableau C – Crédit d’impôt : taux applicables aux revenus nets de l’impôt prélevé à la source » de la déclaration, constituait bien une prise de position formelle, et qu’à ce titre, elle est opposable à l’administration.

Son raisonnement se fonde sur trois axes. Il a jugé que la documentation officielle ne comportait aucune mention explicite du retrait, à compter de 1996, des dividendes de source togolaise du champ du crédit d’impôt dit « décote africaine » institué par la doctrine administrative. Cette documentation se bornait à ne plus mentionner le Togo dans la liste des pays concernés.

Ensuite, le formulaire déclaratif en cause, au moins jusqu’à la déclaration des revenus perçus en 2010, mentionnait, sans réserve ou précision particulière, le Togo au titre des pays concernés par cette mesure de faveur et se bornait à renvoyer, pour les dividendes de source togolaise, à la disposition relative à la formule de calcul du taux, de sa notice explicative.

Enfin, cette notice, en dépit de sa formule préliminaire selon laquelle elle ne se substituait pas à la documentation officielle de l’administration, indiquait immédiatement ensuite que le contribuable y trouverait « toutes les explications nécessaires ».

Dans ces circonstances, la haute juridiction en conclut que « l’imprimé déclaratif et sa notice explicative devaient être regardés comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale dont les contribuables pouvaient se prévaloir sur le fondement du second alinéa de l’article L. 80 A du LPF ».

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