Paris (75)

Airbnb : la politique de régulation de la Mairie de Paris commence à porter ses fruits

Publié le 19/12/2022
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À Paris, le nombre d’annonces de meublés touristiques est en baisse. Une victoire pour la ville qui n’a cessé de durcir sa législation et d’intensifier ses contrôles afin de préserver le parc locatif parisien de la progression des locations saisonnières.

À l’automne 2022, la mairie de Paris se félicite du recul des locations saisonnières à Paris. D’après les derniers chiffres de l’Observatoire des meublés touristiques à Paris, on ne dénombre plus que 43 000 annonces déclarées de locations de meublés touristiques, contre 50 000 en 2020. Cet observatoire rassemble l’ensemble des maires d’arrondissements et des présidents de groupe du Conseil de Paris et travaille à une meilleure régulation de la location meublée touristique. Cette diminution du nombre des annonces montre que la politique de la ville sur ce sujet « porte ses fruits », a commenté l’adjoint au logement de la ville, Ian Brossat, pour qui la situation est « sous contrôle » alors même qu’on note un retour marqué des touristes dans la capitale.

La fin d’une croissance exponentielle

La ville de Paris s’est en effet mobilisée depuis plusieurs années pour mettre fin à la croissance exponentielle d’Airbnb dans la capitale. La start-up californienne est arrivée sur le marché français en 2010 et en a bouleversé l’économie. La France est devenue le deuxième marché de la start-up californienne, derrière les États-Unis ! Entre 2011 et 2016, d’après les chiffres de la ville, le parc locatif traditionnel de Paris a perdu au moins 20 000 logements, dont la majorité a été transformée en locations touristiques meublées, louées à la nuit ou à la semaine durant toute l’année. Dans plusieurs arrondissements, notamment dans au centre et à l’ouest de Paris, les meublés de tourisme représentent jusqu’à 20 % de l’offre locative globale. Et Airbnb se taille la part du lion sur ce marché. Selon les derniers chiffres de l’Observatoire des meublés touristiques à Paris, la très grande majorité (90 %) des 43 000 annonces de location saisonnières est proposée par l’intermédiaire d’Airbnb. Les 10 % restant des annonces se répartissent essentiellement sur trois autres plateformes d’intermédiation locatives : Trip Advisor, Booking et Abritel-HomeAway. Environ 80 % de ces annonces concernent des résidences principales, que leurs propriétaires parisiens peuvent louer dans la limite de 120 jours par an. Pour Ian Brossat, il faudrait faire disparaître les 20 % restant, soit quelque 9 000 annonces « Paris est très dense, rappelle l’adjoint au logement de la ville, il n’y a quasiment plus de foncier disponible, et dans les prochaines années, on construira de moins en moins, donc on ne peut pas accepter cette hémorragie de logements vers les meublés touristiques » !

Une mobilisation rapide de la ville

Face à l’ampleur de la situation, depuis 2014, la ville de Paris œuvre à un renforcement législatif de l’encadrement de cette pratique, avec pour objectif de préserver l’accès au logement des Parisiens. La première de ces mesures a consisté à confier la collecte de la taxe de séjour aux plateformes d’intermédiation locative, ce qui a notamment permis de mieux appréhender l’ampleur du phénomène sur le territoire parisien.

À compter du 1er décembre 2017, dans le cadre de la modification du Code du tourisme par la loi pour une République numérique, la ville de Paris a mis en place une procédure d’enregistrement par télé-service pour tout bien (logement entier ou chambre) faisant l’objet d’une location temporaire facturée à la nuit ou à la semaine. Les plateformes ont l’obligation de faire figurer sur l’annonce le numéro d’enregistrement, et de bloquer l’annonce dès lors que les 120 nuitées annuelles de location seront atteintes pour les résidences principales.

Une réglementation contraignante

Les propriétaires peuvent louer leur résidence principale dans la limite de 120 jours par an en location saisonnière sans avoir à effectuer des démarches particulières, à l’exception d’une déclaration en mairie et de l’obtention d’un numéro d’enregistrement pour certaines zones comme pour la ville de Paris.

Au-delà de ce seuil, la location est soumise aux règles de l’hébergement de tourisme, comme c’est le cas pour tous les biens détenus en résidence secondaire. Les propriétaires de ces biens doivent obtenir une autorisation préalable de la mairie et solliciter une autorisation de changement d’usage. Cette autorisation est subordonnée à une mesure de compensation. Le bailleur doit être propriétaire d’un local commercial d’une surface équivalente au bien à louer et s’engager à le transformer en local d’habitation ou à défaut présenter un titre de compensation ou cession de titre de commercialité. Ces règles de compensation peuvent être renforcées. Ainsi dans les arrondissements parisiens du centre et de l’ouest, chaque m2 d’habitation doit être doublement compensé (2 m2 pour 1 m2). Dans les arrondissements du centre, la moitié au moins de la surface du bien concerné doit être compensée au sein du même arrondissement. À défaut, le contrevenant, encourt une amende de 50 000 euros par logement loué irrégulièrement. En outre, une astreinte de 1 000 euros par jour et par m2 est prévue jusqu’à ce que le logement soit rendu à son usage initial. Concernant les transformations de commerce en rez-de-chaussée en meublés touristiques, en novembre 2021, Paris s’est doté de nouvelles règles afin de les soumettre à autorisation, voire d’en supprimer la possibilité dans les zones protégées par le plan local d’urbanisme. Elle constate une « forte augmentation » des demandes de changement de catégorie et a refusé 80 % de ces demandes, preuve s’il en était besoin, que « ce nouveau règlement limite la transformation de commerces en Airbnb », a commenté Ian Brossat.

Contrôles, amendes et condamnations

Pour faire respecter cette réglementation, la ville de Paris intensifie ses contrôles. Une équipe, qui compte désormais une trentaine d’agents, au sein du bureau de la protection des locaux d’habitation assure le contrôle des meublés de tourisme au travers d’enquêtes sur le terrain et sur internet, et d’opérations géographiquement ciblées dans des zones touristiques. Ils enquêtent sur les fraudes et, le cas échéant, renvoient les dossiers à la justice. En juin 2022, une opération ciblant une cinquante de logements s’est ainsi déroulée à Montmartre.

En 2017, 5 000 logements avaient déjà été contrôlés, et 900 régularisations avaient pris effet. Plusieurs centaines de procédures commencées par la ville ont été gelées entre 2018 et 2021, dans l’attente de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), sur la légalité de la réglementation applicable avec le principe communautaire de liberté de prestation de services. Le 22 septembre 2020, le juge communautaire a validé la réglementation nationale, justifiée par l’objectif de lutter contre la pénurie de logements, « une raison impérieuse d’intérêt général » et proportionné à ledit objectif. Le 18 février 2021, la Cour de cassation a jugé, à la suite de la décision de la CJUE, que la réglementation de la ville de Paris était conforme à celle de l’Europe, et « justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionné à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante ».

Les procédures ont repris, plus de quatre cents affaires ont déjà été jugées. Les deux tiers des jugements ont été prononcés en faveur de la ville, qui a récupéré plus de 14 millions d’euros d’amendes. Lorsque la ville est déboutée, c’est principalement sur la preuve de l’usage d’habitation. En effet, pour obtenir gain de cause devant le juge, la ville doit systématiquement démontrer lorsqu’un local à usage d’habitation a été transformé en meublé touristique sans autorisation, qu’il avait déjà un usage d’habitation en 1970. Or nombre de dossiers sont lacunaires et la ville de Paris peine à apporter cette preuve s’exposant à perdre ses procès en première instance ou en appel. Plus d’une centaine de dossiers sont en appel ou en attente d’être jugé.

La jurisprudence favorable du tribunal judiciaire de Paris

En juillet 2021, le tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 1er juill. 2021, n° 19/54288) a condamné la plateforme Airbnb à une amende de 8 millions d’euros pour avoir maintenu des annonces sans numéro d’enregistrement, une décision qui est en grande partie à l’origine de la diminution des annonces de meublés touristiques, pour la ville de Paris. Au total 1 010 annonces étaient concernées par la procédure de référé lancée par la ville. Cette décision tient compte de la gravité du manquement en cause, de sa durée et de ses effets au regard de l’objectif d’intérêt général de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location à Paris défendu par la ville. Le numéro de déclaration d’enregistrement permet en effet à la ville de s’assurer que les loueurs de meublés de tourisme se conforment à la réglementation en vigueur et les sanctionner si ce n’est pas le cas. Il s’agit donc d’un élément essentiel du dispositif prévu par le législateur pour lutter contre la pénurie de logements, en particulier à Paris. En publiant des annonces sans numéro d’enregistrement, le juge a considéré que la société californienne neutralisait toute intervention des pouvoirs publics permettant la régulation du marché parisien des locations saisonnières.

En octobre 2021 (TJ Paris, 18 oct. 2021, n°21/52480), c’était au tour de la société néerlandaise Booking.com BV, qui détient le célèbre site de réservation hôtelière éponyme, d’être condamné à une amende de 1,234 million d’euros pour non-respect du Code du tourisme. Pour le tribunal judiciaire de Paris, la société a méconnu les dispositions du Code du tourisme en ne transmettant pas les informations nécessaires à la ville, notamment le nombre de jours au cours desquels des meublés de tourisme faisaient l’objet d’une location. L’amende est relativement faible car ces informations ont été transmises mais avec retard.

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