Airbnb, nouveau revers pour la ville de Paris : la loi Le Meur n’est pas rétroactive

Publié le 12/06/2025
Airbnb, nouveau revers pour la ville de Paris : la loi Le Meur n’est pas rétroactive
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La loi Le Meur facilite la charge de la preuve pour les municipalités qui veulent démontrer que les propriétaires de meublés ont illégalement transformé des biens à usage d’habitation en locaux commerciaux. La Cour de cassation vient de préciser que ce texte ne peut s’appliquer qu’aux nouvelles procédures.

Dans le cadre du contrôle de la bonne application de la réglementation des meublés touristique, des amendes civiles prévues par l’article L651-2 du Code de la construction et de l’habitation peuvent venir sanctionner un changement d’usage illicite. La loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale dite loi Le Meur est venue faciliter la preuve de l’usage illicite du bien. Cependant, dans le cadre d’un avis (Cass. civ., avis, 10 avr. 2025, n° 25-70.002), la Cour de cassation vient de préciser que lorsque ce changement d’usage est intervenu avant l’entrée en vigueur de ce texte de loi, la détermination de l’usage d’habitation du local doit s’effectuer selon les critères prévalant avant l’entrée en vigueur de la loi Le Meur. La Cour de cassation a été saisie de cette demande d’avis par le tribunal judiciaire de Paris dans le cadre d’une affaire opposant la ville de Paris à une SCI propriétaire d’un local qu’elle a donné à bail à son dirigeant et associé, lequel sous-louait le logement en tant que meublé de tourisme.

90 jours maximum de location pour les résidences principales

Cette jurisprudence concerne les résidences secondaires. La réglementation distingue, en effet, d’une part, les résidences principales que leurs propriétaires peuvent louer dans la limite de 120 jours par an, en location saisonnière, sans avoir à effectuer de démarche particulière, à l’exception d’une déclaration en mairie et de l’obtention d’un numéro d’enregistrement et d’autre part, les résidences secondaires qui sont soumises aux règles de l’hébergement de tourisme et ne sont plus considérées comme des logements. Depuis le 1er décembre 2017, dans le cadre de la modification du Code du tourisme par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, la ville de Paris a en effet mis en place une procédure d’enregistrement par téléservice du bien faisant l’objet d’une location temporaire facturée à la nuit ou à la semaine. Ce numéro d’enregistrement doit figurer sur les annonces publiées par les plateformes d’intermédiation locatives. L’absence d’enregistrement du meublé de tourisme est sanctionnée, d’une amende maximale de 5 000 €. Des sanctions pénales peuvent également être prononcées en cas de fausses déclarations, dissimulation ou tentative de dissimulation des locaux loués, allant jusqu’à un an de prison et 80 000 € d’amende. Afin de mieux régulariser le marché de la location temporaire et de préserver le parc locatif privé dédié à la résidence principale, la loi Le Meur prévoit qu’à partir du 1er janvier 2025 les communes puissent, sur délibération motivée, abaisser le nombre maximal de jours de location autorisés pour les résidences principales, à 90 jours par an contre 120 avant la réforme. Paris a saisi cette opportunité et a abaissé à 90 jours par an la durée de location maximale pour les résidences principales. En cas de dépassement du plafond de jours de location par an pour une résidence principale, l’amende maximale peut désormais aller jusqu’à 15 000 euros au lieu de 10 000 euros, précédemment, par année de dépassement.

Les résidences secondaires : location soumise à autorisation pour changement d’usage

La mise en location d’une résidence secondaire doit, outre la procédure d’enregistrement précitée, faire l’objet d’une autorisation préalable de la mairie avec une demande de changement d’usage comme dans toutes les communes situées en zone tendue. En effet, les résidences secondaires qui sont soumises aux règles de l’hébergement de tourisme et ne sont plus considérées comme des logements. Cette procédure de changement d’usage est soumise à des mesures de compensation très strictes. Cette compensation consiste à transformer en logement des locaux non dédiés à l’habitation (bureau, commerce…). Sans autorisation préalable de changement d’usage, le propriétaire s’expose à une amende de 50 000 € par logement et une astreinte d’un montant maximal de 1 000 € par jour et par mètre carré jusqu’à régularisation. Depuis l’entrée en vigueur de la Loi Le Meur cette amende est doublée et passe à 100 000 euros. En outre, les intermédiaires qui facilitent le manquement des règles au changement d’usage s’exposent à une amende dont le montant peut atteindre 100 000 euros.

Des règles durcies pour la transformation des commerces en meublés de tourisme

Pour échapper à ces règles très contraignantes en pratique, certains propriétaires ont imaginé mettre en location saisonnière des commerces transformés en logement. La mairie de Paris a rapidement trouvé la parade, grâce à la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019, engagement et proximité et son décret d’application de 2021, en soumettant dès janvier 2022 ces mises en location à une autorisation préalable. D’après les chiffres de la ville, 80 % de ces demandes de changement de catégorie, en forte augmentation, sont refusées. Enfin, en novembre 2024, la ville a adopté son nouveau plan local d’urbanisme (PLU). Or ce PLU, qui est entré en vigueur au début de l’année 2025 et interdit la création de tout nouveau meublé touristique dans une grande partie de la ville. Dans les Ier, IIe, IIIe, IVe, Ve, VIe, VIIe, VIIIe et XIe arrondissements, ainsi que dans le secteur de Montmartre (XVIIIe arrondissement), la transformation de locaux d’habitation, commerciaux, ou encore d’entrepôts en meublé touristique est maintenant impossible. Le fait de louer un local commercial ou artisanal en meublé de tourisme sans autorisation est sanctionné d’une amende pouvant atteindre 25 000 €. Le fait de louer un autre type de local en meublé de tourisme sans autorisation d’urbanisme est sanctionné pénalement.

De nombreux contrôles en matière de changement d’usage

Pour faire respecter sa réglementation et vérifier que les propriétaires concernés ont bien demandé et obtenu un changement d’usage, la ville de Paris intensifie ses contrôles. La ville contrôle le respect des obligations administratives telles que l’obtention d’un numéro d’enregistrement ou des autorisations préalables nécessaires. Des contrôles sont effectués par les agents assermentés du service municipal du logement. Ils sont habilités à visiter tous locaux. Ils peuvent contrôler toute déclaration et demander aux propriétaires, locataires ou autres occupants les documents établissant l’occupation des lieux. Faire volontairement obstacle à la mission des agents du service municipal du logement est passible d’une amende de 2 250 €. La ville de Paris dispose d’une équipe dédiée, comptant plus d’une trentaine d’agents, au sein du bureau de la protection des locaux d’habitation. Ces agents assurent le contrôle des meublés de tourisme au travers d’enquêtes sur le terrain et sur internet, et d’opérations géographiquement ciblées dans des zones touristiques. Ils enquêtent sur les fraudes et, le cas échéant, renvoient les dossiers à la justice. Les deux tiers des jugements ont été prononcés en faveur de la ville, qui a récupéré plus de 14 millions d’euros d’amendes.

La loi Le Meur facilite la charge de la preuve

Lorsque la ville est déboutée, c’est principalement sur la preuve de l’usage d’habitation. En effet, pour obtenir gain de cause devant le juge, la ville doit systématiquement démontrer lorsqu’un local à usage d’habitation a été transformé en meublé touristique sans autorisation, qu’il avait déjà un usage d’habitation en 1970, un local construit avant le 1er janvier 1970 étant réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage, à cette date de référence. Or nombre de dossiers sont lacunaires et la ville de Paris peine à apporter cette preuve, s’exposant ainsi à perdre ses procès en première instance ou en appel. En la matière, la loi Le Meur change la donne. Elle précise d’abord, conformément à la jurisprudence, que la charge de la preuve incombe à celui qui veut démontrer un usage illicite. En outre, elle apporte un certain nombre de précisions qui facilitent l’établissement de cette preuve pour la ville. La loi Le Meur prévoit en effet qu’un local sera réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage à une date comprise entre le 1er janvier 1970 et le 31 décembre 1976 inclus, ou encore à n’importe quel moment au cours des trente dernières années précédant la demande d’autorisation préalable de changement d’usage ou la contestation de l’usage. Le législateur précise par ailleurs que les biens ayant fait l’objet d’une autorisation d’urbanisme ayant pour conséquence d’en changer la destination ne perdent son usage d’habitation que si une autorisation de changement d’usage a également été délivrée. Cette réforme rend la preuve d’un usage illicite beaucoup plus facile pour les municipalités concernées.

Une amende civile qui ne peut être rétroactive

Pour profiter de cet assouplissement, la ville de Paris n’a pas hésité à modifier ses assignations y compris pour des affaires antérieures à la loi Le Meur.  C’est le cas dans la présente affaire. La Ville de Paris a assigné la SCI et son dirigeant le 17 octobre 2023, devant le tribunal judiciaire de Paris pour voir prononcer à leur encontre une amende civile sur le fondement des articles L. 631-7 et L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation. Dans une décision du 15 janvier 2025, le président du tribunal judiciaire de Paris a sollicité l’avis de la Cour de cassation sur l’application de la loi Le Meur à la présente affaire. Lorsqu’une amende civile prévue par l’article L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation est sollicitée sur le fondement d’un changement d’usage illicite intervenu avant l’entrée en vigueur de la loi Le Meur, la détermination de l’usage d’habitation du local doit-elle s’effectuer à l’aune des critères de la loi nouvelle ou de la loi ancienne ? Dans l’hypothèse de l’application de la loi nouvelle aux faits antérieurs de changement d’usage illicite, les nouveaux critères de l’usage d’habitation sont-ils applicables aux instances en cours ou le sont-ils aux seules instances introduites postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 ?

Pour la Cour de cassation, l’amende civile prévue en cas de manquement aux règles de changement de destination pour les résidences secondaires louées en meublés de tourisme constitue une sanction ayant le caractère d’une punition (Cass. 3e civ., 5 juillet 2018, n° 18-40.014, Cass. 3e civ., 9 nov. 2022, n° 21-20.464). Pour le Conseil constitutionnel, le principe de non-rétroactivité de la loi répressive plus dure qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, selon lequel nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, s’applique à toute sanction ayant le caractère d’une punition (Déc. n° 82-155 DC du 30 décembre 1982). Dans quelle mesure la loi du 19 novembre 2024 en ce qu’elle modifie l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation pose-t-elle une nouvelle règle de fond, et, dans l’affirmative, doit-elle être regardée comme plus sévère ? « La loi Le Meur modifie les éléments à prendre en considération pour réputer un local à usage d’habitation, en substituant à la seule date de référence du 1er janvier 1970, deux périodes d’une durée respective de sept et trente ans, précise la Cour de cassation. Elle affecte donc les règles de fond qui définissent les conditions dans lesquelles la location d’un local meublé à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile peut être qualifiée de changement d’usage et a pour effet de soumettre à un régime d’autorisation préalable le changement d’usage de locaux qui n’en relevaient pas en l’état du texte dans sa rédaction antérieure », conclut l’avis. En conséquence, cette loi doit être regardée comme plus sévère et ne peut faire l’objet d’une application rétroactive.

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