Application et contrôle de la TVA : quelle efficacité ?
La Commission européenne publie ses dernières données chiffrées relatives au manque à gagner en recettes de TVA non perçues. La réforme du système de TVA constitue une préoccupation majeure pour les instances communautaires.
D’après une étude publiée au mois de septembre dernier par la Commission européenne, les pays de l’Union européenne ont enregistré en 2017 une perte de recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 137 milliards d’euros. Si l’écart de TVA, la différence entre les recettes de TVA escomptées et le montant effectivement perçu, s’est quelque peu resserré par rapport aux années précédentes, il reste très important. « Le climat économique favorable et certaines solutions à court terme mises en place par l’UE ont contribué à réduire l’écart de TVA en 2017. Toutefois, pour progresser davantage, il nous faudra réformer en profondeur le système de TVA afin qu’il résiste mieux à la fraude », a commenté Pierre Moscovici, commissaire pour les affaires économiques et financières, la fiscalité et les douanes.
L’écart de TVA
L’écart de TVA se définit comme la différence entre la TVA effectivement perçue et la TVA totale exigible théorique ou VTTL (VAT Total Tax Liability), exprimée en valeur absolue ou en pourcentage. La VTTL correspond à une estimation de la TVA théoriquement exigible sur la base de la législation en matière de TVA et de la réglementation dérivée. L’écart de TVA mesure l’efficacité des mesures d’application et de contrôle des règles de TVA dans chaque État membre, étant donné qu’il fournit une estimation du manque à gagner lié à la fraude et à l’évasion fiscales, aux faillites, aux cas d’insolvabilité ainsi qu’aux erreurs de calcul. Cet écart de TVA non négligeable met une fois encore en lumière la nécessité d’une réforme globale des règles de l’UE en matière de TVA, comme l’a proposé la Commission en 2017, ainsi que d’une coopération accrue entre les États membres pour réprimer la fraude à la TVA et rendre les règles fonctionnelles pour les entreprises et les commerçants qui respectent la loi. « Nos propositions visant à mettre en place un véritable système de TVA favorable aux entreprises sont toujours sur la table, souligne à cet égard Pierre Moscovici. Les États membres ne peuvent pas se permettre de rester les bras croisés quand des pratiques illégales telles que la fraude à la TVA de type carrousel et les incohérences du système leur font perdre des milliards ».
Méthode de calcul
Le rapport sur l’écart de TVA publié aujourd’hui porte essentiellement sur l’année 2017, car c’est la période la plus récente pour laquelle on dispose de données exhaustives relatives aux comptes nationaux et aux ressources propres. Toutefois, l’étude de cette année comprend un nouvel élément : il s’agit d’un exercice de précision qui fournit des « estimations rapides » pour l’année précédant l’année de publication, soit 2018. Selon ces estimations rapides, l’écart de TVA va continuer de se réduire et il sera inférieur à 130 milliards d’euros ou 10 % de la TVA totale exigible théorique (VTTL) en 2018.
Pour aboutir à ces chiffres, l’étude calcule la VTTL pour chaque pays sur la base des comptes nationaux, en comparant les informations sur les différents taux de TVA (taux normal, taux réduit et exonérations) avec les données disponibles sur la consommation intermédiaire et finale, associées à d’autres informations fournies par les États membres. La qualité des estimations de l’écart de TVA est donc fonction de l’exactitude et de l’exhaustivité des comptes nationaux. Les variations de l’écart de TVA entre les différents États membres correspondent aux différences entre ces derniers en ce qui concerne le respect des obligations fiscales, la fraude et l’évasion fiscales, les faillites, les cas d’insolvabilité et l’administration fiscale. Les estimations prennent également en compte les différences structurelles dans les économies nationales, ainsi que d’autres variables. Des facteurs indirects tels que l’organisation des statistiques nationales pourraient également avoir une incidence sur l’ampleur de l’écart de TVA.
Une tendance à la baisse qui se confirme
En valeur nominale, l’écart de TVA a reculé de 8 milliards d’euros pour s’établir à 137,5 milliards d’euros en 2017, une baisse similaire à celle de 7,8 milliards d’euros enregistrée en 2016. L’écart de TVA en 2017 représente 11,2 % des recettes de TVA de l’UE, par rapport à 12,2 % l’année précédente. Cette tendance à la baisse s’observe à présent pour la cinquième année consécutive.
Au cours de l’année 2017, la TVA totale exigible théorique (VTTL) pour les États membres de l’UE s’est accrue de 2,9 %, tandis que les recettes de TVA ont augmenté de 4,1 %. De ce fait, l’écart de TVA global dans les États membres de l’UE a été ramené de 145,4 milliards d’euros en 2016 à 137,5 milliards d’euros en 2017. En termes relatifs, l’écart à l’échelle de l’UE s’est resserré, s’établissant à 11,2 % contre 12,2 % en 2016.En 2017, l’écart de TVA estimé des États membres allait de 0,6 % au Luxembourg à 35,5 % en Roumanie.
Les performances individuelles des États membres
Dans l’ensemble, l’écart de TVA a régressé dans la majorité des États membres, les améliorations les plus importantes ayant été observées à Malte, en Pologne, à Chypre, en Slovénie, en Italie, au Luxembourg, en Slovaquie, au Portugal, en Tchéquie et en France. Cet écart a cependant augmenté dans trois États membres, à savoir la Grèce, la Lettonie, et, dans une moindre mesure, l’Allemagne.
Au total, l’écart de TVA a diminué dans 25 États membres et a augmenté dans trois États membres. Trois États affichent de bonnes performances, leurs pertes respectives de recettes de TVA ayant sensiblement baissé. Il s’agit de Malte (- 7 points de pourcentage), de la Pologne (- 6 points de pourcentage) et de Chypre (- 4 points de pourcentage). Sept États membres ont également obtenu de bons résultats puisqu’ils ont réduit leur écart de TVA de plus de 2 points de pourcentage. Il s’agit de la Slovénie, de l’Italie, du Luxembourg, de la Slovaquie, du Portugal, de la Tchéquie et de la France. L’écart de TVA a sensiblement augmenté en Grèce (2,6 %) et en Lettonie (1,9 %), ainsi que de façon marginale en Allemagne (0,2 %). La Roumanie est l’État membre qui a enregistré le plus grand écart de TVA en 2017, avec une perte de recettes de TVA de 36 %. Elle est suivie par la Grèce (34 %) et par la Lituanie (25 %). Les écarts les plus faibles ont été enregistrés en Suède, au Luxembourg et à Chypre, où 1 % en moyenne seulement des recettes de TVA n’a pas été perçu. En valeur absolue, c’est en Italie que l’écart de TVA a été le plus important, puisqu’il s’est élevé à 35,5 milliards d’euros.
L’écart de TVA discrétionnaire
L’écart de TVA discrétionnaire est un indicateur des recettes de TVA supplémentaires qu’un État membre pourrait théoriquement percevoir s’il appliquait un taux de TVA uniforme à l’ensemble de la consommation de biens et de services fournis à titre onéreux. Il se subdivise entre écart de TVA lié aux taux et écart de TVA lié aux exonérations. L’écart de TVA lié aux taux désigne le manque à gagner résultant de l’existence de taux réduits, tandis que l’écart de TVA lié aux exonérations désigne le manque à gagner résultant de l’exonération de TVA accordée à certains biens et services.
L’écart de TVA lié aux exonérations, ou la part moyenne des recettes idéales perdue en raison de diverses exonérations, est normalement le plus important des deux et s’élève à 35 % en moyenne dans l’UE. Les États membres affichant les déficits d’exonération les plus élevés sont l’Espagne (46,4 %) et le Royaume-Uni (44,3 %), les valeurs les plus faibles étant observées à Chypre (15,9 %) et dans six autres pays (la Bulgarie, la Croatie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte et la Roumanie) dans lesquels l’écart de TVA lié aux exonérations était inférieur à 30 %. L’écart lié aux exonérations est relativement élevé en Espagne en raison de l’application d’impôts indirects autres que la TVA dans les Îles Canaries, à Ceuta et à Melilla. La plus grande partie de l’écart de TVA lié aux exonérations résulte d’exonérations concernant des services qui ne peuvent en principe pas être imposés, tels que les loyers imputés, la fourniture de biens publics par l’État ou les services financiers. Pour le reste, l’écart de TVA lié aux exonérations considéré comme susceptible d’action représente environ 3,4 % en moyenne. L’écart de TVA lié aux taux varie, quant à lui, de moins de 1 % au Danemark à 29,6 % à Chypre. En moyenne, il est de 9,6 %. Ces résultats permettent ainsi de relativiser l’incidence respective des taux réduits et des exonérations sur la perte de recettes de TVA potentielles, et semblent indiquer qu’un meilleur contrôle de l’application de la réglementation constitue un élément clé de toute stratégie d’amélioration du fonctionnement du système de TVA.
Améliorer la perception de la TVA
Depuis le début du mandat de la Commission Juncker, plusieurs initiatives ont été prises afin de renforcer la capacité des États membres à gérer et à percevoir la TVA sur leur territoire. De nouvelles règles concernant les ventes de services en ligne sont entrées en vigueur en 2015. Elles permettent aux États membres de percevoir la TVA là où est établi le consommateur, ce qui constitue un principe de base fondamental de la taxe. Cette avancée est rendue possible grâce à la mise en place d’un guichet unique qui donne la possibilité aux opérateurs de s’acquitter de toutes leurs obligations en matière de TVA en utilisant un seul portail en ligne. En 2017, les États membres ont également convenu d’étendre désormais ce nouveau système aux ventes de biens en ligne, ce qui a permis d’améliorer encore la perception de la TVA dans l’Union Européenne et d’aider les autorités à récupérer la TVA non perçue sur les ventes en ligne chaque année, dont le montant estimé s’élève actuellement à 5 milliards d’euros. Pour la première fois, les sites de marché en ligne devront assumer la responsabilité de la perception de la TVA sur les ventes réalisées sur leurs plates-formes par des sociétés de pays tiers auprès des consommateurs de l’Union européenne. En 2018, l’Union européenne a aussi adopté un cadre très novateur pour échanger davantage d’informations et renforcer la coopération entre les autorités fiscales et les autorités répressives nationales. Une fois les mesures envisagées entrées en vigueur, les États membres pourront partager des informations plus pertinentes et coopérer plus étroitement dans la lutte contre les organisations criminelles, y compris terroristes. Cependant, la fraude à la TVA résulte des faiblesses du système de TVA actuel et de la manière dont les administrations fiscales gèrent la perception de la taxe. Cette taxe étant une source de recettes essentielle pour les États membres, les pertes de TVA, y compris celles dues à la fraude à la TVA, ont une incidence considérable sur le budget des États. Les États membres devraient donc adopter une réforme de beaucoup plus grande ampleur visant à réduire la fraude à la TVA dans le système de l’Union européenne, comme celle qui a été proposée en 2017 par la Commission européenne. Les nouvelles règles devraient contribuer à rendre le système de TVA plus résistant à la fraude et facile à utiliser pour les entreprises, tout en apportant des recettes bien nécessaires pour les États membres.