Assurance-vie : ajout d’un nouvel assuré et conséquences sur l’antériorité fiscale du contrat

Publié le 02/10/2019

Répondant aux questions de deux sénateurs, l’administration fiscale se positionne enfin sur la jurisprudence de la Cour de cassation de 2015 considérant que l’ajout d’un nouvel assuré à un contrat d’assurance-décès n’emporte pas novation du contrat.

Décidément, la co-souscription d’un contrat d’assurance-vie est au cœur des préoccupations des professionnels du patrimoine, juristes comme assureurs. En 2017, ceux-ci ont fait remonter leur interrogation auprès des sénateurs Christophe-André Frassa et Claude Malhuret, à laquelle Bercy vient seulement de répondre.

La question porte sur le passage d’un contrat à souscription unique à un contrat en co-souscription par ajout d’un nouveau souscripteur-assuré. Est-ce que cette opération constitue une novation ? Auquel cas elle ferait perdre au contrat son antériorité fiscale. Pour l’administration fiscale, il s’agit d’une question de fait qui doit être appréciée au cas par cas (Rép. min Frassa, n° 10465 JO Sénat, 30 mai 2019 et Rép. min Malhuret n° 00260 JO Sénat, 30 mai 2019).

Jurisprudence civile

La question est née à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation, rendu par la première chambre civile en 2015 (Cass. 1er  civ., 19 mars 2015, n° 13-28776). Celle-ci a affirmé que l’adjonction d’un époux commun en biens à un contrat d’assurance-vie souscrit initialement en adhésion simple ne constitue pas une novation, au sens de l’article 1271 du Code civil, faute de substitution de créancier, de créance ou de débiteur.

Dans l’affaire qui a donné lieu à la décision, un assuré avait souscrit un contrat d’assurance décès en décembre 1988. Son épouse y avait adhéré conjointement en septembre 1995. L’époux était décédé en 1999. En 2002, l’épouse survivante, âgée de 93 ans, avait modifié la clause bénéficiaire, désignant ses sept petits-neveux et nièces. Deux mois plus tard elle avait réalisé un versement de 60 000 euros. Elle décéda en 2003.

La compagnie d’assurance versa les capitaux décès aux bénéficiaires considérant qu’il n’y avait pas lieu à taxation.

En 2009, l’administration fiscale avait réclamé le paiement de droits de mutation aux bénéficiaires qui s’en étaient acquittés avant d’en demander le remboursement en justice.

En octobre 2013, la cour d’appel de Paris leur avait donné raison. L’administration fiscale s’était pourvue en cassation.

La seconde adhésion opère-t-elle une novation ?

La question était de savoir si l’adhésion de l’épouse en 1995 avait opéré la novation du contrat initial.

La Cour de cassation a validé l’analyse de la cour d’appel, laquelle avait estimé « qu’au rapport d’obligation contracté entre l’assureur et [l’époux] en 1988 ne s’était pas substitué un nouveau rapport d’obligation, mais s’était ajouté, en 1995, du fait de la souscription conjointe de l’épouse, un rapport d’obligation complémentaire entre l’assureur et [l’épouse], sans que l’existence du second n’ait un quelconque effet extinctif sur le premier ». Ce faisant, la cour « en a exactement déduit que la souscription conjointe de l’épouse n’avait pas emporté novation du contrat ». Pour la cour, l’adhésion conjointe ne substitue pas au rapport d’obligation initial un nouveau rapport d’obligation mais lui en ajoute un complémentaire.

L’enjeu d’ordre fiscal

L’enjeu de l’affaire réside dans la conséquence fiscale attachée à la novation. Le contrat initial avait été souscrit en 1988. Or les contrats souscrits avant le 20 novembre 1991 sont en principe exonérés des droits de mutation prévus à l’article 757 B du Code général des impôts. Les primes versées après le 13 octobre 1998 étaient soumises au prélèvement sui generis de l’article 990 I du CGI, au taux de 20 % après abattement de 152 500 euros par bénéficiaire.

Si la seconde adhésion devait emporter novation, alors les sommes versées après les 70 ans de l’assurée devaient être taxées aux droits de mutation à titre gratuit, pour les versements excédant 30 500 euros. Rappelons que les biens transmis aux neveux sont taxés à 55 % (après abattement).

Pour défendre cette dernière position, l’administration fiscale s’appuyait sur une réponse ministérielle de 2000, laquelle considérait qu’« il y a lieu de considérer que la transformation d’un contrat d’assurance à souscripteur unique en contrat en adhésion conjointe constitue une novation de ce contrat. Il convient dès lors de prendre en considération la date de la transformation pour déterminer le régime fiscal applicable en matière de droits d’enregistrement et d’impôt sur le revenu au nouveau contrat » (Rép. min Cuq, 6 mars 2000 n° 37181, non reprise au Bofip).

Or la Cour de cassation a ici posé la règle selon laquelle l’adhésion d’un tiers à une police décès préexistante n’opérait pas une novation. Sur le plan fiscal, cette affirmation justifiait donc l’exonération des droits de mutation à titre gratuit.

Les conclusions de Bercy

C’est dans ce contexte que les sénateurs Christophe-André Frassa et Malhuret ont demandé à l’administration de tirer les conclusions de l’arrêt de la Cour de cassation de 2015.

Considère-t-elle que la transformation d’un contrat à souscription unique en contrat à souscription conjointe par ajout d’un nouveau souscripteur assuré permet de conserver son antériorité fiscale ?

Dans sa réponse, Bercy indique tout d’abord que « la question de savoir si la souscription conjointe à un contrat d’assurance emporte novation du contrat constitue ainsi une question de fait, qui doit être appréciée en fonction notamment des stipulations du contrat en cause, de la volonté des parties, des dates des souscriptions et de la situation et de l’espérance de vie de chacun des assurés lors de la co-souscription ».

Pour l’administration, la co-souscription est par exemple susceptible, d’emporter un changement de créancier de l’obligation pesant sur l’assureur, et donc d’emporter novation, lorsqu’elle conduit de manière prévisible à substituer à l’assuré un nouvel assuré unique.

Enfin, Bercy rappelle que « la souscription d’un contrat d’assurance-vie est susceptible de constituer une donation indirecte en présence d’éléments démontrant l’intention libérale du souscripteur. La régularité d’une souscription conjointe à cet égard doit être appréciée, au cas par cas au vu des circonstances de fait de l’espèce et notamment de l’auteur des versements et des éventuels rachats effectués par le nouvel assuré ». Ainsi, l’administration émet deux réserves : il peut y avoir novation, et il peut y avoir donation indirecte.

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