Assurance-vie et clause bénéficiaire : modification sans parallélisme des formes

Publié le 23/08/2019

La Cour de cassation vient d’affirmer qu’une clause bénéficiaire initialement désignée par testament peut être ultérieurement modifiée par un avenant au contrat d’assurance-vie.

La Cour de cassation vient d’affirmer qu’une clause bénéficiaire peut être modifiée dans une forme différente que celle revêtue par la désignation initiale (Cass. 1re civ., 3 avr. 2019, n° 18-14640).

Désignation par testament, modification par avenant

Dans cette affaire, un père de famille et époux souscrit deux contrats d’assurance-vie en juillet 1997. En août de la même année, il désigne comme bénéficiaires son épouse pour l’usufruit et ses enfants pour la nue-propriété. Il procède à cette désignation par un testament authentique. En 2005 et 2006, il modifie la clause bénéficiaire de ses deux contrats par un avenant. Il désigne son épouse et, à défaut, trois de ses cinq filles.

À son décès, les assureurs versent les capitaux décès à son épouse, conformément à la clause bénéficiaire dans sa dernière rédaction. Une des filles du défunt conteste la validité des modifications des clauses bénéficiaires et assigne sa mère, ses sœurs et les assureurs pour obtenir sa part dans les capitaux décès.

La cour d’appel de Bordeaux rejette sa demande, énonce que « selon l’article L. 132-8 du Code des assurances, à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le cocontractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre ». Les juges du fond retiennent que les avenants modificatifs étaient valables, le souscripteur ayant manifesté la volonté certaine et non équivoque de modifier la désignation testamentaire initiale par des avenants au profit de son épouse et, à défaut, de ses trois filles.

La fille du défunt qui conteste la modification s’appuie sur l’article 1035 du Code civil selon lequel, « les testaments ne pourront être révoqués, en tout ou en partie, que par un testament postérieur ou par un acte devant notaires portant déclaration du changement de volonté ». Elle estime que le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie qui a désigné le bénéficiaire de ce contrat dans un testament ne peut révoquer ce testament que par l’une des formes prévues par l’article 1035 du Code civil.

Elle évoque également le grand principe du droit specialia generalibus derogant, selon lequel les règles spéciales dérogent aux règles générales. Selon le requérant, cette règle ne s’applique que pour des règles qui sont de même nature. Ainsi l’article 1035 du Code civil qui prévoit que les testaments ne pourront être révoqués, en tout ou en partie, que par un testament postérieur, ou par un acte devant notaires portant déclaration du changement de volonté concerne les rapports entre le testateur et ses héritiers alors que l’article L. 132-8 du Code des assurances qui prévoit que le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire par la voie d’un avenant concerne les rapports entre l’assureur et le bénéficiaire. Ces deux articles ne sont donc pas de même nature ; qu’en affirmant néanmoins que les règles édictées par le Code des assurances prévalent sur l’article 1035 du Code civil par l’effet de la règle specialia generalibus derogant, la cour d’appel a violé l’article 1035 du Code civil.

Volonté non équivoque du souscripteur

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 20 février 2018.

Elle rappelle le droit dont dispose le souscripteur de modifier le contrat. Selon l’article L. 132-8 du Code des assurances, le souscripteur peut à tout moment modifier sa clause bénéficiaire tant que le bénéficiaire n’a pas accepté le contrat. S’il a accepté, le souscripteur doit alors obtenir l’accord du souscripteur acceptant pour modifier la clause bénéficiaire.

Ensuite, la Cour relève que le souscripteur, après avoir initialement désigné comme bénéficiaires de ses contrats d’assurance sur la vie litigieuse son épouse en qualité d’usufruitière et ses enfants en qualité de nus-propriétaires, a ultérieurement manifesté la volonté certaine et non équivoque de modifier cette désignation par des avenants des 1er septembre 2005 et 1er septembre 2006 au profit de son épouse et, à défaut, de trois de ses filles.

Elle en conclut que « les avenants modificatifs étaient valables, dès lors que la modification des bénéficiaires pouvait intervenir soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du Code civil, soit par voie testamentaire, sans qu’il soit nécessaire de respecter un parallélisme des formes entre la voie choisie pour la désignation initiale et celle retenue pour la modification ».

En validant la modification de la clause bénéficiaire sans respecter le parallélisme des formes, la Cour de cassation n’assimile pas la désignation par testament à une disposition testamentaire en elle-même, qui ne pourrait dès lors être modifiée uniquement par la même voie. De plus, le bénéficiaire n’ayant pas accepté la clause, il n’y a non plus pas lieu d’exiger la protection d’un formalisme. La clause bénéficiaire initialement rédigée par acte authentique peut donc être modifiée par acte sous-seing privé.

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