Assurance-vie et transmission de patrimoine

Publié le 11/10/2019

L’assurance-vie continue à constituer un outil idéal de transmission grâce à la liberté de disposer qu’elle offre à son souscripteur et au régime fiscal de faveur qui lui est associé, même si Bercy vient de préciser que la répartition des sommes entre les bénéficiaires en fonction de leur date de versement est sans incidence sur la fiscalité applicable. Le législateur s’emploie à sécuriser la transmission des sommes collectées sur les contrats d’assurance-vie à leurs bénéficiaires effectifs.

Avec 54 millions de contrats et 1 750 milliards d’euros d’en-cours, l’assurance-vie constitue un des produits préférés des ménages. Au premier semestre 2019 la collecte nette – différence entre retraits et dépôts – s’est établie à 2, 6 milliards d’euros, un bon cru d’après la Fédération française de l’assurance qui vient de présenter ces chiffres.

Un des placements privilégiés des ménages

D’après les chiffres de l’Insee sur le patrimoine des ménages (Le patrimoine des ménages en 2018, Repli de la détention de patrimoine financier, Marie-Cécile Cazenave-Lacrouts, David Guillas, Guillaume Lebrault, division Revenus et Patrimoine des ménages, Insee Première, n° 1722, décembre 2018), 39,0 % des ménages métropolitains possèdent au moins une assurance-vie, un phénomène en progression continue depuis 2004. Sa détention augmente avec l’âge : 44,3 % des ménages dont la personne de référence a 60 ans ou plus détiennent au moins un produit de ce type, contre 23,7 % parmi les moins de 30 ans en France. En effet, ce produit d’épargne constitue un bon outil pour mettre en place une stratégie de transmission patrimoniale. 63,5 % de ces assurances-vie sont des contrats monosupport, ne permettant l’investissement que sur des fonds euros garantis. Les contrats multisupports, permettant des investissements y compris sur des supports à risque,  sont en augmentation. La part de ménages détenant ce type de contrat est passée de 9,3 % à 11,4 %, ces trois dernières années. Dans le même temps, la part des contrats multisupports contenant plus d’un tiers d’investissements en actions a elle aussi augmenté. Une évolution récente qui peut s’expliquer par la réduction des rendements des fonds euros, en repli continu depuis 2014.  D’après les chiffres de la Fédération française de l’assurance, leur rendement moyen est resté cette année identique à celui de l’année 2017, 1,8 % et très stable par rapport à 2016 (1,9 %). Les spécialistes anticipent une diminution de rendement des fonds en euros en 2019.

Un outil au service de la transmission de patrimoine

L’assurance-vie est d’autant plus privilégiée comme outil de transmission de patrimoine, que les modalités d’attribution du capital issu des contrats d’assurance-vie bénéficient de règles fiscales spécifiques. Celles-ci diffèrent suivant la date de souscription du contrat (avant ou après le 20 novembre 1991), celles du paiement des primes (avant et après le 13 octobre 1998) et l’âge du souscripteur au moment des versements desdites primes. Ainsi, l’article 757 B du Code général des impôts (CGI), qui soumet aux droits de succession les sommes versées par un assureur à un bénéficiaire déterminé à raison du décès de l’assuré, à concurrence de la fraction des primes versées après l’âge de soixante-dix ans qui excède 30 500 €, ne s’applique qu’aux contrats souscrits à compter du 20 novembre 1991. Pour les cotisations versées avant l’âge de 70 ans, les capitaux sont complètement exonérés, lorsque les primes sont versées avant le 13 octobre 1998. Pour les primes versées après le 13 octobre 1998, les contrats inférieurs à 152 500 € sont exonérés de droit de succession. En revanche, depuis le 1er juillet 2014, un prélèvement est dû par chaque bénéficiaire lorsque la part de capital décès qui lui revient excède 152 500 €. Il s’élève à 20 % sur la fraction de la part nette taxable de chaque bénéficiaire inférieure ou égale à 700 000 € (après abattement de 152 500 € pour chaque bénéficiaire) et 31,25 % pour la fraction de la part nette taxable de chaque bénéficiaire excédant 700 000 € (après abattement de 152 500 € pour chaque bénéficiaire).

Règles de répartition entre les bénéficiaires

Si on prend l’exemple, d’un contrat qui est resté unique, souscrit avant le 20 novembre 1991, abondé avant et depuis le 13 octobre 1998, ledit contrat se compose ainsi de deux compartiments soumis à une fiscalité différente. Le premier compartiment qui correspond aux versements antérieurs au 13 octobre 1998 bénéficie d’une exonération totale d’impôt, tandis que le second qui correspond aux versements effectués depuis le 13 octobre 1998 sera, s’il y a lieu, passible des droits applicables après application d’un abattement de 152 500 € par bénéficiaires. Ces deux parties du contrat sont distinctes au regard de leur régime fiscal et il semblerait donc logique que le disposant puisse traiter distinctement et à son gré chaque compartiment, par exemple en désignant un bénéficiaire pour la valeur acquise par les versements exonérés, le surplus (fiscalisé) revenant à l’ensemble des bénéficiaires (en pourcentages) avec application pour chacun de l’abattement susvisé. Or en pareille situation, l’assureur considère le contrat comme un tout indissociable et la totalité du capital constitué doit être attribuée selon une clé de répartition en pourcentage appliquée à la valeur globale acquise in fine. Ce sujet a fait l’objet d’une question ministérielle, le sénateur Franck Montaugé, demandant au ministre de l’Économie et des Finances de préciser les règles de répartition entre les bénéficiaires du capital d’une assurance-vie à cet égard. Pour Bercy (Rep., min., F. Montaugé, JO Sénat, 8 aout 2019, p. 4215), lorsque l’issue d’un contrat d’assurance-vie intervient lors du décès de l’assuré, le montant capitalisé et les intérêts éventuels y afférents sont intégralement versés à un ou plusieurs bénéficiaires désignés par une clause du contrat. Ces sommes, lorsqu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 757 B du Code général des impôts (CGI), font l’objet d’un prélèvement prévu à l’article 990 I du même code. Aux termes du I de cet article, le prélèvement frappe l’ensemble des sommes, rentes ou valeurs dues par l’assureur, et ce à raison des primes versées à compter du 13 octobre 1998. L’assiette soumise au prélèvement est ainsi déterminée à l’échelle du contrat, qui est indissociable. Ses bénéficiaires sont ensuite imposés à concurrence de la part leur revenant. « Il en résulte qu’en cas de pluralité de bénéficiaires, l’assiette taxable, déterminée globalement selon les modalités décrites ci-dessus, est répartie pour chaque bénéficiaire selon la part des sommes, rentes ou valeurs qui lui revient, souligne Bercy. L’assiette imposable au nom de chacun est donc déterminée en fonction de sa part dans l’ensemble des sommes versées. Les stipulations du contrat ou la volonté éventuelle du défunt de répartir ces sommes entre les bénéficiaires en fonction de la date de leur versement ne sont pas susceptibles de déroger à ces règles et demeurent ainsi sans effets sur le montant d’impôt dû par chacun », conclut l’administration fiscale.

Une grande liberté de disposition

Un contrat d’assurance-vie permet à son souscripteur de désigner le bénéficiaire de son choix :  conjoint, partenaire de Pacs, enfant, petit-enfant,  ou toute autre personne que le souscripteur du contrat d’assurance-vie souhaite avantager. La liberté en la matière est totale.

En effet aux termes de l’alinéa 1er de l’article L. 132-13 du Code des assurances, le capital ou la rente versés au titre d’une assurance-vie souscrite au bénéfice d’un tiers ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. En effet, ils ne figurent pas dans les biens existant au décès de l’assuré dans la mesure où le bénéficiaire les acquiert directement contre l’assureur en vertu d’un droit propre né de la stipulation pour autrui sur laquelle repose l’opération d’assurance. Ainsi, l’assurance-vie n’est pas prise en compte lors du calcul de la quotité disponible et de la réserve héréditaire. Le mécanisme de l’assurance-vie est donc souvent perçu comme un moyen de contourner les règles de la quotité disponible et de la réserve héréditaire. L’assurance-vie accroît la liberté de disposition du souscripteur. Cet espace de libre disposition s’exerce généralement au profit du conjoint, parfois au profit d’un enfant au détriment des autres, notamment en cas de présence d’enfant de plusieurs lits. Il est d’ailleurs régulièrement critiqué, car assimilé à une menace aux droits des « héritiers réservataires exclus du bénéfice de l’assurance de leur part de réserve, et ce d’autant qu’ils ne trouvent plus dans les primes manifestement exagérées un véritable moyen de protection » (Rep. min. Bacquet, n° 25996, JOAN du 27 mai 2014, p. 4357 et Rep. min. Gaillard, n° 21627, JOAN 2 juillet 2013, p. 6986).

Des mécanismes de protection hors jeu ?

Si les héritiers du de cujus bénéficiant de la réserve héréditaire s’estiment lésés dans leurs droits, ils disposent aujourd’hui de deux moyens pour obtenir la prise en compte de l’assurance-vie dans la masse de calcul des droits successoraux que la loi leur garantit. Ils peuvent faire valoir le caractère manifestement excessif des primes pour obtenir, si tel est le cas, leur réintégration dans la masse, en vertu de l’alinéa 2 de l’article L. 132-13 du Code des assurances. Ils peuvent aussi soutenir, le cas échéant, que l’assurance-vie ne présentant aucun caractère aléatoire mais révélant au contraire une volonté de dépouillement irrévocable en faveur du bénéficiaire désigné, est constitutive d’une donation indirecte qu’il convient de réunir fictivement aux biens existant au décès. Cependant, la jurisprudence, sur le constat de l’utilité du contrat pour le souscripteur, écarte le plus souvent rapport et réduction, sauf dans des situations très particulières de souscriptions tardives. Ces mécanismes proposés par le législateur sont pour l’instant toujours considérés comme efficaces car permettant aux héritiers d’assurer « une protection suffisante de leurs droits » (Rep. min. Gaillard, n° 21627, JOAN 2 juillet 2013, p. 6986). La Cour de cassation a d’ailleurs choisi de ne pas transmettre une question prioritaire de constitutionnalité demandant si les dispositions des articles L. 132-12 et L. 132-13 du Code des assurances, telles qu’interprétées actuellement par la jurisprudence, portent atteinte aux droits et libertés que les normes constitutionnelles garantissent, et plus exactement au principe fondamental d’égalité des citoyens devant la loi, et notamment au principe de non-discrimination entre les héritiers réservataires. Elle a considéré que cette question prioritaire de constitutionnalité ne « présentait pas de caractère sérieux en ce que les articles L. 132 12 et L. 132-13 du Code des assurances, qui prévoient que les règles du rapport à la succession et celles de réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s’appliquent pas au capital ou la rente payables, lors du décès d’une personne qui a contracté une assurance sur la vie, à un bénéficiaire déterminé, ni aux primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés, ne créent pas en elle-même de discrimination entre les héritiers ni ne portent atteinte au principe d’égalité et que, par ailleurs, les primes manifestement exagérées peuvent être réintégrées par le juge dans la succession » (Cass. 2e civ., 19 oct. 2011, n° 11-40063).

Sécuriser la transmission des capitaux aux bénéficiaires

Afin de s’assurer que les intentions des souscripteurs d’assurance-vie soient respectées après leur décès, les pouvoirs publics ont renforcé le cadre réglementaire. Le législateur s’est saisi à plusieurs reprises du sujet des contrats d’assurance-vie non réclamés : en 2005 à travers la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 portant diverses mesures d’adaptation au droit communautaire dans le domaine des assurances, en 2006 à travers la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale qui a prévu que les montants des contrats non réclamés seraient reversés au terme d’un délai de trente ans au Fonds de réserve des retraites, en 2007 avec la loi n° 2007-1175 du 17 décembre 2007 permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d’assurances sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés. Dès 2005, le législateur a mis en place le dispositif Agira 1 qui permet à tout particulier pensant avoir été désigné comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie de se le faire confirmer par la communauté des assureurs, conformément à l’article L. 132-9-2 du Code des assurances. Le texte de 2007 a constitué une importante avancée en matière de protection des épargnants, puisque les assureurs ont désormais l’obligation explicite d’identifier leurs assurés décédés et de rechercher les bénéficiaires des contrats, alors qu’auparavant il revenait, de facto, aux bénéficiaires de se manifester auprès de l’assureur au moment du décès de l’assuré. Le dispositif Agira 2 permet, quant à lui, aux assureurs de consulter le fichier du Répertoire national d’identification des personnes privées (RNIPP) qui recense les décès afin d’identifier des personnes décédées au sein de leurs assurés. La loi n° 2014-617 du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence (dite loi Eckert) en application depuis le 1er janvier 2016 a encore renforcé la protection des épargnants. Le notaire chargé de déterminer l’actif successoral doit désormais obligatoirement consulter le Fichier national des comptes bancaires et assimilés, le FICOBA, le Fichier national des comptes bancaires et assimilés et le FICOVIE, Fichier national des contrats d’assurance-vie, alimenté par les assureurs, mutuelles et institutions de prévoyance. Après réception de l’avis de décès et des coordonnées du bénéficiaire, l’assureur dispose d’un délai de 15 jours pour demander au bénéficiaire toutes les pièces nécessaires pour organiser le versement des fonds qui doit s’effectuer dans un délai d’un mois à partir de la réception desdites pièces. Afin d’accélérer le paiement des capitaux aux bénéficiaires, la loi Pacte prévoit que si l’assureur ne respecte pas ce délai de 15 jours, il devra majorer le capital dû d’intérêts de retard. Cette mesure est applicable depuis le 24 mai 2019. Les intérêts sont calculés au double du taux légal durant un mois puis, après un mois, au triple du taux légal.

Accélérer le paiement des contrats en déshérence

En dépit de ces mesures, dont la Cour des comptes a récemment  souligné l’efficacité, un grand nombre de contrats d’assurance-vie en déshérence ont été transférés à la Caisse des dépôts et consignation à fin 2018, dans l’attente d’être réclamés par leurs bénéficiaires. À cet effet, en janvier 2017, un site, mis en œuvre par la Caisse des dépôts et consignation, et destiné à retrouver les propriétaires de ces sommes, a été mis en ligne. Ce site www.ciclade.fr permet à chacun de rechercher gratuitement les sommes issues de comptes inactifs et de contrats d’assurances-vie non réclamés et transférés à la Caisse des dépôts. La recherche sur Ciclade s’effectue sur la base des données transmises par les établissements financiers à la Caisse des dépôts, à partir du nom du titulaire ou du souscripteur, de son prénom, de sa nationalité, de sa date de naissance et, le cas échéant, de sa date de décès.