Comptes à l’étranger non déclarés : la charge de la preuve repose sur le fisc

L’administration fiscale qui souhaite imposer les avoirs présents sur un compte bancaire ouvert à l’étranger doit être en mesure de prouver que le contribuable possède ce compte et ne peut se contenter de simples présomptions.
Avec la globalisation croissante du système financier et la facilité avec laquelle les contribuables déplacent leurs actifs financiers au-delà des frontières, il est devenu de plus en plus prioritaire pour les juridictions de veiller à ce que l’évolution du système financier ne compromette pas le paiement correct de l’impôt. L’un des outils-clés est l’échange automatique de renseignements entre les autorités fiscales sur les actifs financiers détenus à l’étranger, sous la norme pour l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale (norme EAR), qui a été élaborée par l’OCDE, en collaboration avec les pays du G20, et adoptée par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (Forum mondial).
Les échanges automatiques d’information facilitent la tâche de l’administration fiscale
En matière de lutte contre la dissimulation d’avoirs à l’étranger, les administrations fiscales ont longtemps rencontré d’importantes difficultés, dès lors qu’elles se heurtaient au secret bancaire et disposaient de peu de moyens d’enquête et de contrôle. Toutefois, la situation a sensiblement évolué. Les administrations nationales ont pu tirer parti de révélations d’origines diverses sur les comptes détenus dans certaines banques notamment suisses, notamment dans le contexte de la révélation des « listes HSBC ». Au cours des années suivantes, la coopération et les échanges d’informations entre États ont tendu à devenir plus systématiques. La voie a été ouverte par les États-Unis qui ont, de manière unilatérale et extraterritoriale, imposé aux banques étrangères de leur déclarer les comptes détenus par des résidents fiscaux américains. C’est en revanche un mécanisme multilatéral d’échanges automatisé de données entre États sur les comptes détenus par des non-résidents qui a été élaboré sous l’égide de l’OCDE. Ce dispositif d’échange automatique entre États d’informations sur les comptes bancaires et les contrats d’assurance-vie détenus au sein d’un pays, directement ou indirectement, par des résidents fiscaux d’autres pays a fait l’objet d’un accord multilatéral, signé à Berlin le 29 octobre 2014, la convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (ou Mutual Competent Authority Agreement). Fin 2024, le bilan est plus que positif. Les autorités fiscales de 111 juridictions ont échangé automatiquement des renseignements sur plus de 134 millions de comptes financiers couvrant des actifs totaux de près de 12 000 milliards.
Une prescription décennale
Ces avoirs détenus à l’étranger peuvent être imposés dans le cadre du délai de reprise de l’administration fiscale. En matière de droits d’enregistrements, plusieurs types de prescription sont susceptibles de s’appliquer :
- La prescription de courte durée, dite « prescription abrégée », prévue à l’article L180 du LPF, selon lequel le droit de reprise de l’administration peut s’exercer jusqu’à l’expiration de la troisième année suivant celle au cours de laquelle l’exigibilité des droits a été suffisamment révélée par l’enregistrement d’un acte ou d’une déclaration ou par l’exécution de la formalité fusionnée sans qu’il soit nécessaire de recourir à des recherches ultérieures.
- La prescription sexennale, de droit commun en matière fiscale, prévue à l’article L186 du LPF, qui s’applique lorsqu’il n’est pas expressément prévu de délai de prescription plus court ou plus long. Le droit de reprise de l’administration se décompte de la date du jour du fait générateur de l’impôt au 31 décembre de la sixième année qui suit ce fait générateur.
- La prescription décennale : un délai de reprise de l’administration peut donc s’exercer jusqu’à la fin de la dixième année qui suit le fait générateur de l’impôt. Dérogatoire au droit commun, le droit de reprise sur 10 ans ne s’applique en matière patrimoniale que lorsque les omissions d’impôts ou de droits sont relatifs à des avoirs détenus à l’étranger sur des comptes bancaires ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger et non déclarés (CGI, art. 1649 A), des contrats d’assurance-vie souscrits auprès d’un organisme établi à l’étranger et non déclarés (CGI, art. 1649 AA), des comptes d’actifs numériques détenus à l’étranger, ou des biens, droits et produits capitalisés placés dans un trust et non déclarés (CGI, art. 1649 AB) lorsque les obligations déclaratives afférentes à ces comptes, assurance-vie et trust n’ont pas été respectées.
Une arme redoutable dans les mains de Bercy, l’article 755 du CGI
L’article 755 du CGI constitue en la matière une arme redoutable dans les mains de Bercy. En effet, il permet à l’administration fiscale de considérer que les avoirs figurant sur un compte détenu à l’étranger, sur un contrat de capitalisation ou un placement de même nature souscrit à l’étranger, ainsi que les actifs numériques figurant dans un portefeuille d’actifs numériques et dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées dans le cadre de la procédure prévue à l’article L23 C du Livre des procédures fiscales (LPF) sont réputés constituer, jusqu’à preuve contraire, un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti, à la date d’expiration des délais prévus au même article L23 C, aux droits de mutation à titre gratuit au taux le plus élevé c’est-à-dire au tarif des non-parents (60 %) calculé sur le solde le plus élevé du compte, du contrat ou du portefeuille constaté au cours des dix dernières années précédant l’envoi de la demande d’informations ou de justifications prévue à l’article L23 C du LPF, diminuée de la valeur des avoirs ou des actifs numériques dont l’origine et les modalités d’acquisition ont été justifiées. Ce dispositif a été jugé constitutionnel (Cons. const., 15 octobre 2021, n° 2021-939 QPC) au visa de la lutte contre la fraude fiscale. Pourtant pour nombre de professionnels du droit, si la présomption dont bénéficie l’administration, supporte la preuve contraire, dans la mesure où elle porte sur des avoirs constitués avant l’entrée en vigueur du texte, elle est en pratique irréfragable, le contribuable n’ayant pu penser à se préconstituer une preuve à l’époque inutile. La conformité de ce texte avec le principe communautaire de liberté de circulation des capitaux est également questionnée (CJUE, 27 janv. 2022, aff. C-788/19)
La preuve de la détention des comptes bancaires
Dans le cadre de la liste HSBC, la jurisprudence considère pour l’instant que les clients résidents français, qui n’ont pas régularisé spontanément leur situation, sont les titulaires des comptes recensés (Cass. com., 16 décembre 2020, n° 18-16.801). La Cour de cassation vient de rappeler dans le cadre d’une jurisprudence favorable au contribuable que pour pouvoir appliquer l’article 755 du CGI, l’administration fiscale doit être en mesure de démontrer que le contribuable possède le compte en banque à l’étranger incriminé (Cass. com., 7 mai 2025, n° 24-11.883). Dans cette affaire, qui n’intervenait pas dans le cadre de la liste HSBC, l’administration fiscale pour imposer les avoirs sur les comptes à l’étranger détenus par le contribuable se fondait sur un procès-verbal obtenu dans le cadre de l’enquête préliminaire dont il avait fait l’objet, mentionnant des fichiers trouvés sur l’ordinateur du contribuable et relatifs à ces comptes. L’administration fiscale considérait qu’elle établissait ainsi une présomption de titularité du contribuable sur ces comptes suffisant à justifier la taxation d’office des avoirs y figurant aux droits d’enregistrement, et leur imposition à l’ISF. L’administration fiscale a recouru à l’assistance administrative avec la Suisse et les Bahamas mais sans réussir à obtenir la confirmation que le contribuable était bien le titulaire du compte litigieux.
Un redressement fiscal portant sur deux comptes non déclarés
Le contribuable n’ayant pas déclaré ces deux comptes en méconnaissance des dispositions de l’article 1649 A du CGI, et n’ayant pas répondu, malgré une lettre de mise en demeure, à la demande d’informations et de justifications sur l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs figurant sur ces comptes qui lui avait été adressée en application de l’article L23 C du LPF, l’administration fiscale lui a notifié une proposition de rectification portant mise en œuvre, en application des articles L71 du LPF et 755 du CGI, de la taxation d’office desdits avoirs aux droits de mutation à titre gratuit calculés sur la valeur la plus élevée connue des avoirs figurant sur les comptes, soit au 30 juin 2007 et une proposition de rectification portant rappel d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au titre des années 2007 et 2008 après réintégration dans l’assiette imposable des avoirs figurant au 1er janvier de chacune de ces années sur le compte litigieux. Pour le contribuable, au regard des rappels d’ISF qui lui ont été réclamés au titre des années 2007 et 2008, tant en droits simples qu’en pénalités, et des droits d’enregistrement auxquels il a été soumis au titre de l’année 2017, l’administration fiscale ne pouvait imposer les avoirs figurant au cours d’une année donnée, sur un compte ouvert à l’étranger non déclaré, que si elle établissait que le contribuable a ouvert, clos, ou utilisé ledit compte au cours de ladite année, l’utilisation du compte supposant que le contribuable ait effectué au moins une opération de crédit ou de débit sur ledit compte, au cours de l’année considérée, distincte du simple encaissement d’intérêt produits sur les sommes déjà déposées au titre des années précédentes et du paiement des frais de gestion pour la tenue du compte.
Une preuve à établir ?
Pour le contribuable, en s’appuyant sur les éléments apportés par l’administration fiscale sans avoir recherché s’il avait ouvert, clos ou utilisé ledit compte au cours de l’année 2007, année au cours de laquelle figurait le montant le plus élevé des avoirs, taxé aux droits d’enregistrement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1649 A du CGI. En effet, au regard des articles 1649 A du Code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 89-935 du 29 décembre 1989, et 344 A de l’annexe III du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 91-150 du 7 février 1991 les personnes physiques domiciliées ou établies en France sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l’étranger. Et la déclaration de compte jointe à la déclaration de revenus ou de résultats porte sur le ou les comptes ouverts, utilisés ou clos au cours de l’année ou de l’exercice, par le déclarant, l’un des membres de son foyer fiscal ou une personne rattachée à son foyer. Un compte bancaire est réputé avoir été utilisé par l’une de ces personnes dès lors que celle-ci a effectué au moins une opération de crédit ou de débit pendant la période visée par la déclaration, qu’elle soit titulaire du compte ou qu’elle ait agi par procuration, soit pour elle-même, soit au profit d’une personne ayant la qualité de résident.
La charge de la preuve repose sur l’administration fiscale
Conformément aux articles 885 A et 885 E du Code général des impôts, alors applicables, et à l’article L55 du Livre des procédures fiscales, la charge de la preuve du caractère insuffisant des déclarations du contribuable pèse sur l’administration. Il en résulte que l’administration fiscale ne peut réintégrer dans l’assiette de l’ISF des avoirs figurant sur un compte bancaire que si elle établit que ces avoirs composent le patrimoine du contribuable au 1er janvier de l’année considérée. Pour rejeter la demande de décharge des rappels d’ISF, l’arrêt d’appel retient que les réponses des autorités suisses et des Bahamas aux demandes d’assistance administrative internationale, sont impuissantes à infirmer la présomption, résultant d’un procès-verbal d’exploitation d’un fichier informatique transmis par l’autorité judiciaire, qu’il est titulaire des comptes bancaires litigieux. Pour la Cour de cassation, qui casse cet arrêt, l’administration fiscale ne peut se fonder sur de simples présomptions. Elle doit être en mesure de démontrer que le contribuable est titulaire des comptes litigieux et notamment rechercher si ces comptes ont été ouverts, utilisés ou clos par le contribuable au cours de la période en litige.
Référence : AJU017n5
