Contrôle des comptabilités informatisées : une solution protectrice pour le contribuable

Publié le 01/10/2020

Le contribuable qui décide d’effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification d’une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés garde la possibilité de changer d’option jusqu’à l’expiration du délai qui lui a été fixé par l’administration pour réaliser ces traitements.

Depuis, le 1er janvier 2014, les entreprises doivent présenter leur comptabilité sous forme informatisée au vérificateur. Ce qui n’était qu’une simple faculté : la possibilité d’auditer la comptabilité à partir d’une copie dématérialisée du fichier des écritures comptables, clé USB, disque dur, etc. est devenue une obligation. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme en matière de contrôle fiscal, car la présentation des documents comptables sous forme dématérialisée ne constituait jusqu’ici qu’une option en matière de contrôle fiscal. Cette option, proposée depuis 2008 était dans les faits très peu utilisée par les entreprises. Désormais, la présentation des documents comptables sous forme dématérialisée est obligatoire pour les entreprises qui tiennent leur comptabilité de façon informatisée, c’est-à-dire presque toutes les entreprises. Le Conseil d’État détaille les obligations des entreprises dans une espèce où le contrôle fiscal a donné lieu à une procédure de taxation d’office (CE, 13 mars 2020, n° 421725).

La remise des fichiers en pratique

La copie des fichiers est remise selon les modalités définies en accord avec le vérificateur. Tous les supports sont envisageables, qu’ils soient physiques ou électroniques (CD, DVD, clé USB, disque dur externe, serveur sécurisé de la DGFiP, etc.). Quelle que soit la modalité de remise des fichiers, ces derniers devront être conformes aux normes fixées par l’article A. 47 A-1 du Livre des procédures fiscales (LPF). Les copies des fichiers des écritures comptables doivent être remises à l’administration lors de la première intervention sur place. Dès la réception de l’avis de vérification, le contribuable est informé du fait que la présentation de sa comptabilité dématérialisée doit être réalisée sous cette forme. L’article L. 52 du LPF limite les opérations de contrôle sur place à une période ne pouvant excéder trois mois pour la majorité des entreprises. Ce délai a pour point de départ le jour de la première intervention sur place de l’agent vérificateur tel qu’il est, en principe, indiqué sur l’avis de vérification adressé au contribuable. Il est suspendu jusqu’à la remise effective des fichiers des écritures comptables. Cette mesure a pour but de neutraliser le délai parfois nécessaire aux entreprises à la remise d’une copie des fichiers des écritures comptables conformes aux normes. Elle permet à l’administration de bénéficier de la durée de trois mois effective pour réaliser la vérification sur place de l’entreprise. Ainsi, le délai de trois mois ne commence à courir que lorsque l’ensemble des fichiers des écritures comptables relatifs aux exercices vérifiés ont été remis et sont conformes. La date de remise est formalisée sur un imprimé remis par le vérificateur et contresigné par le contribuable.

Des opérations de contrôle simples

Le vérificateur peut, sans formalisme et sans recourir au dispositif prévu au II de l’article L. 47 À du LPF, effectuer sur les fichiers des écritures comptables des opérations simples. Les opérations qui peuvent être réalisées par l’administration sur les copies de fichiers sont limitées à des tris, des classements et tous calculs (somme, multiplication, etc.) qui lui permettent de s’assurer de la concordance des documents comptables avec les déclarations fiscales déposées par le contribuable. Cette mesure vise à faciliter la phase de prise de connaissance de la comptabilité et de réalisation des contrôles de cohérence entre les déclarations souscrites et la comptabilité présentée ce qui peut alléger le temps de présence du vérificateur dans l’entreprise. Cette situation reste sans incidence sur les garanties offertes au contribuable et ne modifie en rien les conditions du déroulement habituel de la vérification sur place. De même, l’existence du débat oral et contradictoire est préservée : si des erreurs ou des anomalies sont décelées lors de la consultation des fichiers des écritures comptables, elles devront être débattues avec le contribuable, préalablement à tout rehaussement éventuel.

De lourdes sanctions en jeu

Le contribuable satisfait à son obligation de représentation de sa comptabilité en remettant une copie des fichiers des écritures comptables sous forme dématérialisée, le fichier des écritures comptables ou FEC. Cette modalité de représentation de la comptabilité générale n’est pas supposée créer d’obligation supplémentaire pour le contribuable qui doit déjà, en application de l’article L. 102 B du LPF, conserver ces éléments sous forme dématérialisée. Dans les faits, répondre à ces obligations nouvelles peut poser des difficultés à l’entreprise car son système comptable est paramétré pour faciliter son pilotage et non pour répondre aux demandes de l’administration qui, quant à elle, tend à raisonner en matière de flux, flux de factures émis par exemple. Le non-respect de cette obligation est lourdement sanctionné, puisque l’entreprise encourt une amende minimale de 1 500 euros par exercice concerné, qui peut être portée, en cas de manquements graves, à 5‰ du chiffre d’affaires ou 5‰ du montant des recettes brutes déclarées ou rehaussés par exercice rehaussé. L’amende est applicable pour chaque exercice ou période pour lequel la copie du fichier des écritures comptables n’est pas remise au vérificateur ou pour chaque exercice ou période pour lequel le fichier remis n’est pas conforme aux normes prévues. De plus, l’administration se réserve la possibilité d’appliquer la procédure de taxation d’office prévue en cas d’opposition à contrôle fiscal conformément à l’article L. 74 du LPF.

La procédure spécifique des traitements de données

L’obligation de fournir  ces fichiers des écritures comptables sur lesquels l’administration peut effectuer des opérations de retraitement simples ne se confond en aucun cas avec la procédure spécifique des traitements de données, codifiée à l’article L 47A-II du LPF. Ce dispositif permet à l’administration de recourir à des traitements informatiques spécifiques lorsqu’elle souhaite vérifier que la comptabilité retrace fidèlement la vie de l’entreprise. Des équipes spécialisées, des informaticiens appartenant aux BVCI (brigade de vérification des comptabilités informatisées) supervisent ces opérations de contrôle spécifiques qui peuvent être réalisées selon trois modalités. Ces traitements informatiques sur les données soumises à contrôles peuvent être réalisés, soit par le vérificateur sur le matériel utilisé par le contribuable (LPF, art. L. 47 A, II-a), soit par le contribuable lui-même qui effectue tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification (LPF, art. L. 47 A, II-b), soit par le vérificateur, hors de l’entreprise, après remise de copie des fichiers informatiques nécessaires par le contribuable (LPF, art. L. 47 A, II-c). L’option pour une de ces trois modalités de contrôle est exercée par le contribuable. Ce choix doit être formalisé par écrit. Le vérificateur décrit précisément la nature des investigations souhaitées, dans un courrier remis au contribuable, sans que ce document ne s’assimile à un cahier des charges. Sur ce même courrier, le contribuable indique l’option qu’il retient pour la mise en œuvre des traitements et précise, en concertation avec le vérificateur, la date à laquelle les conditions nécessaires à la mise en œuvre de l’option retenue seront effectives.

Comptabilité

Modalités pratiques

La date de signature par le contribuable de ce courrier constitue le point de départ de la prorogation du délai de vérification sur place. Si le contribuable choisit d’effectuer lui-même les traitements informatiques, ce point de départ est constitué par la date à laquelle le vérificateur lui remet le détail des travaux à réaliser. Dans ce dernier cas, les agents chargés de la vérification doivent indiquer par écrit la nature des travaux à effectuer et le délai demandé pour leur réalisation, compatible avec les contraintes inhérentes au fonctionnement de l’entreprise. Si la demande ainsi formulée n’est pas acceptée par le contribuable, ce dernier doit par écrit et dans la limite du délai de réalisation accordé, proposer, soit le recours aux autres modalités, soit de nouvelles modalités dans le cadre du II de l’article L. 47 A du LPF sans pour autant porter atteinte au déroulement normal de la vérification. Dans les situations où le contrôle informatique est, de fait, impossible, la procédure d’imposition d’office s’applique. C’est le cas lorsque, le contribuable s’abstient de répondre à la demande d’option pour l’une des modalités de contrôle ou retardant excessivement son choix, lorsqu’il choisit une option impossible à mettre en œuvre pour des raisons techniques ou pratiques ou qu’il ne présente pas les informations, données et traitements informatiques ainsi que la documentation visée au deuxième alinéa de l’article L. 13 du LPF. C’est également le cas lorsque les données ne sont pas disponibles pour la réalisation de la vérification ou lorsqu’elles sont disponibles, mais que le contrôle ne peut être mené à son terme du fait de circonstances imputables au comportement du contribuable, à l’organisation de l’entreprise ou à un tiers prestataire notamment parce que les traitements réalisés à partir des données disponibles dans l’entreprise ne répondent pas aux demandes de l’administration ou que les traitements ne sont pas réalisés dans un délai compatible avec les exigences du contrôle. Ces exemples de situations peuvent être cumulatifs. Dans ces cas, les bases d’imposition sont évaluées d’office pour tout ou partie des résultats, après la rédaction d’un procès-verbal de carence, consécutif à la non-réalisation d’une demande de traitements prévue par le II de l’article L. 47 A du LPF, dans des délais compatibles avec le contrôle. Aux termes de l’article 1732 du CGI, la mise en œuvre de la procédure d’évaluation d’office prévue à l’article L. 74 du LPF entraîne l’application d’une majoration de 100 % aux droits rappelés.

Une procédure de taxation d’office

L’arrêt qui vient d’être rendu par le Conseil d’État a précisément donné lieu à une procédure de taxation d’office (CE, 13 mars 2020, n° 421725). Dans cette affaire, la société Pharmacie centrale de la gare qui exploite une officine de pharmacie à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) a fait l’objet d’un contrôle inopiné le 15 mars 2011, suivi de deux vérifications de comptabilité portant sur les exercices clos de 2008 à 2010 en matière d’impôt sur les sociétés et sur la période du 1er janvier 2008 au 28 février 2011 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Après avoir mis en œuvre la procédure d’évaluation d’office prévue par l’article L. 74 du LPF pour opposition à contrôle fiscal et rejeté la comptabilité de la société comme non probante, l’administration fiscale a procédé à la reconstitution des recettes de celle-ci. La société a été assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010, ainsi qu’à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2008 au 28 février 2011 ainsi que des pénalités correspondantes. Le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 29 juin 2015, n° 1407440) a rejeté la demande de la société Pharmacie centrale de la gare tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés résultant de ces contrôles ainsi que la majoration de 100 % prévue par l’article 1732 du CGI. La société se pourvoit en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a confirmé ce jugement (CAA Versailles, 26 avril 2018, n° 15VE02592).

Des difficultés de mise en œuvre

Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite du contrôle inopiné effectué le 15 mars 2011, l’administration fiscale a informé la société Pharmacie centrale de la gare de son intention de réaliser des traitements sur la comptabilité informatisée présentée. La société a décidé d’effectuer elle-même ces traitements informatiques conformément aux dispositions du b du II de l’article L. 47 A du LPF. Par courriers du 8 avril 2011 s’agissant des exercices clos en 2008 et 2009, et du 29 septembre 2011 s’agissant de l’exercice clos en 2010, l’administration a transmis à la société les cahiers des charges détaillant les traitements à effectuer avant respectivement les 29 avril et 20 octobre 2011. La société a transmis le 30 mai 2011 s’agissant de la première période vérifiée, et le 13 février 2012 s’agissant de la seconde période vérifiée, une partie des traitements informatiques demandés et indiqué rencontrer des difficultés techniques importantes pour réaliser les autres traitements. Après avoir accordé à la société des délais supplémentaires, l’administration lui a notifié, par courriers du 7 octobre 2011 s’agissant de la première période vérifiée et du 1er juin 2012 s’agissant de la seconde, deux procès-verbaux constatant le défaut de réalisation d’une partie des traitements informatiques demandés et précisant que cette carence était susceptible de conduire à la mise en œuvre de la procédure d’opposition à contrôle fiscal prévue à l’article L. 74 du LPF. En l’absence de réalisation des traitements manquants, cette procédure a été effectivement mise en œuvre par l’administration fiscale. Pour le Conseil d’État, il résulte des dispositions du II de l’article L. 47 A du LPF dans sa rédaction applicable à la procédure d’imposition en litige que le contribuable qui décide d’effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification garde la possibilité de changer d’option jusqu’à l’expiration du délai qui lui a été fixé par l’administration pour réaliser ces traitements.

Une opposition à contrôle fiscal ?

Pour retenir la qualification d’opposition à contrôle fiscal justifiant la mise en œuvre de la procédure d’évaluation d’office prévue à l’article L. 74 du LPF, la cour administrative d’appel de Versailles a notamment relevé que l’administration fiscale avait accordé à la société Pharmacie centrale de la gare des délais suffisants pour effectuer les traitements informatiques que celle-ci avait choisis de réaliser elle-même et qu’il lui avait été possible de renoncer à cette option si elle avait estimé ne pas être en mesure, techniquement, de satisfaire aux exigences des cahiers des charges qui lui avaient été transmis. Pour le Conseil d’État, en jugeant que le comportement de la société caractérisait une opposition à contrôle fiscal sans rechercher, d’une part, si elle avait été informée de la possibilité qui lui était ouverte de renoncer à l’option prévue au b du II de l’article L. 47 A du LPF et de choisir l’une ou l’autre des deux autres options prévues par ces mêmes dispositions, et d’autre part, si les traitements informatiques non réalisés par la société étaient nécessaires au contrôle de sa comptabilité, la cour a commis une erreur de droit. La société Pharmacie centrale de la gare est donc fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.

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