Convention multilatérale pour la mise en œuvre du projet BEPS

Publié le 12/10/2018

Publication de la loi autorisant la ratification de l’instrument multilatéral permettant de transcrire les mesures du projet BEPS dans les conventions fiscales signées par la France.

La loi n° 2018-604 du 12 juillet 2018 autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices est parue au JO n° 0160 du 13 juillet 2018. Ce nouveau texte permettra de transposer dans les conventions fiscales bilatérales existantes entre les États participants, les conclusions du projet de lutte contre l’optimisation fiscale adoptées en 2015 par le G20 et l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il a été conçu pour renforcer les conventions fiscales existantes conclues entre les parties sans devoir engager un processus long et complexe de renégociation au niveau bilatéral. Les conventions actuelles s’avèrent en effet inadaptées et ouvrent la possibilité aux multinationales de réduire dans de fortes proportions leur charge fiscale à travers des dispositifs leur permettant de faire échapper leurs bénéfices à l’impôt, notamment en les transférant artificiellement vers des États ou territoires à fiscalité faible ou nulle. L’entrée en vigueur de la convention multilatérale, le 1er juillet 2018, marque une étape importante dans les efforts déployés par la communauté internationale pour mettre à jour le réseau existant de conventions fiscales bilatérales et restreindre les possibilités d’évasion fiscale de la part des entreprises multinationales. Son contenu commencera à prendre effet à l’égard des conventions fiscales existantes à partir de 2019. L’entrée en vigueur de la convention multilatérale, un an seulement après la première signature souligne la ferme volonté politique de lutter contre les pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices des entreprises multinationales. « L’entrée en vigueur de cette convention multilatérale représente un tournant dans la mise en œuvre des efforts déployés par les pays de l’OCDE et du G20 pour adapter les règles fiscales internationales aux réalités du XXIe siècle », analyse le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurría. « Nous transcrivons nos engagements dans des dispositions juridiques concrètes qui figurent dans plus de 1 200 conventions fiscales à l’échelle mondiale. Grâce à cet élan de la communauté internationale, nous veillons à ce que les entreprises multinationales paient leur juste part lorsqu’il s’agit de remplir leurs obligations fiscales, comme le font les citoyens », poursuit-il.

L’instrument multilatéral

En novembre 2016, plus de 100 juridictions ont conclu des négociations sur la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Cet instrument multilatéral a pour objectif de mettre rapidement en œuvre une série de mesures relatives aux conventions fiscales pour actualiser les règles fiscales internationales et réduire les possibilités d’évasion fiscale par les entreprises multinationales. Il a été signé à Paris, le 7 juin 2017. Depuis cette date, d’autres juridictions ont signé la convention multilatérale, portant le total des juridictions à près de 80. La liste des signataires inclut des juridictions de tous les continents et niveaux de développement. Cette convention multilatérale, entrée en vigueur le 1er juillet 2018, offre des solutions concrètes aux gouvernements pour colmater les brèches dans les règles internationales actuelles en transposant les mesures développées dans le cadre du projet sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice (BEPS) de l’OCDE et du G20 dans les conventions fiscales bilatérales. L’instrument multilatéral modifie l’application de milliers de conventions fiscales bilatérales conclues afin d’éliminer les situations de double imposition. Il met également en œuvre les standards minimums adoptés afin de prévenir l’utilisation abusive des conventions fiscales et d’améliorer le règlement des différends tout en garantissant un degré suffisant de souplesse pour ainsi prendre en compte les politiques fiscales spécifiques relatives aux conventions fiscales.

Le projet BEPS

Les travaux internationaux BEPS sur la lutte contre l’érosion des bases fiscales et les transferts de profits ont été souhaités en particulier par la France dès 2012, lors du sommet du G20 de Los Cabos au Mexique. Le projet BEPS fournit aux gouvernements des solutions de portée internationale, destinées à combler les brèches et irrégularités pouvant exister dans les règles actuelles, faisant en sorte que des bénéfices disparaissent ou soient transférés vers des juridictions à fiscalité faible voire nulle et où aucune création de valeur réelle n’a lieu. Ces pratiques induisent un manque à gagner pour les recettes publiques qui représenterait, selon des hypothèses prudentes, de 100 à 240 Mds $ par an, soit entre 4 et 10 % des recettes issues de l’impôt sur les sociétés dans le monde. Partant de cette estimation, le Conseil des prélèvements obligatoires a évalué la perte de recettes pour la France entre 2,4 et 6 Mds € par an. Cette situation pénalise particulièrement les pays en développement, pour lesquels l’impôt sur les sociétés représente une part plus importante des recettes fiscales. « Tous les pays sont concernés par l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, dont les enjeux sont non seulement économiques, mais touchent aussi à la confiance, analyse le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurría. Les pratiques de BEPS privent les pays de ressources précieuses pour relancer la croissance, surmonter les effets de la crise économique mondiale et offrir à tous davantage d’opportunités de meilleure qualité. Et surtout, les stratégies de BEPS sapent la confiance des citoyens dans l’équité des systèmes fiscaux internationaux ».

Les quinze actions du projet BEPS

Le plan d’action BEPS, adopté par le G20 en juillet 2013, a dénombré 15 domaines prioritaires, articulés autour de trois grands objectifs : assurer la cohérence des règles nationales applicables aux activités transnationales ; renforcer les critères de substance dans les normes internationales, afin que le lieu d’imposition soit bien celui où se déroulent les activités économiques et la création de valeur ; et accroître les niveaux de transparence et de sécurité offerts aux entreprises et aux administrations fiscales. Après plus de 3 ans de travail, les rapports publiés par l’OCDE couvrent l’ensemble du plan d’action adopté en 2013, en particulier : le contrôle des prix de transfert, la mise en place de déclarations pays par pays ; la lutte contre les pratiques de concurrence fiscale dommageable ; l’échange automatique des rulings ; les procédures de règlement amiable des différends ; la révision des règles de fixation des prix de transfert ; la redéfinition de la notion d’établissement stable ; la lutte contre les dispositifs hybrides utilisés pour obtenir une non-imposition des bénéfices au moyen d’instruments financiers ou juridiques complexes. La version finale des mesures issues du projet BEPS inclut de nouvelles normes a minima concernant : les déclarations pays par pays grâce auxquelles les autorités fiscales auront, pour la première fois, une vision globale de l’activité des entreprises multinationales ; les pratiques de chalandage fiscal afin de mettre un terme à l’utilisation de sociétés relais pour transférer des investissements ; la lutte contre les pratiques fiscales dommageables, notamment dans le domaine des régimes de la propriété intellectuelle et par l’échange automatique des décisions prises par l’administration fiscale à l’égard de certains contribuables ; et des procédures efficaces de règlement amiable des différends, afin que les mesures de lutte contre la double exonération ne conduisent pas à des cas de double imposition. Les mesures portent également sur la révision des instructions décrivant l’application des règles de fixation des prix de transfert, afin d’éviter que des contribuables n’utilisent des structures ad hoc fortement capitalisées (« cash boxes ») pour transférer des bénéfices vers des juridictions à fiscalité faible ou nulle. Elles redéfinissent en outre la notion-clé d’établissement stable, pour déjouer les dispositifs destinés à éviter la création d’une présence imposable dans un pays en tirant parti d’une définition obsolète. Autres mesures inédites que les États pourront mettre en œuvre en adaptant leur droit interne, en particulier pour renforcer les règles applicables aux sociétés étrangères contrôlées ; définir une approche commune pour limiter l’érosion des bases d’imposition liée à la déduction de charges d’intérêts et lutter contre les dispositifs hybrides utilisés pour obtenir une non-imposition des bénéfices au moyen d’instruments financiers complexes.

Un accélérateur

La convention multilatérale assure la mise en œuvre effective de plusieurs mesures du projet BEPS : la lutte contre les dispositifs hybrides (action 2), celle contre les abus conventionnels (action 6), les dispositifs portant sur l’évitement artificiel de l’établissement stable (action 7) et l’amélioration des mécanismes de règlement des différents (action 14). « Les travaux conduits dans le cadre du projet BEPS de l’OCDE ont abouti à plusieurs recommandations d’évolution du modèle de convention fiscale de l’OCDE pour améliorer la lutte contre l’érosion des bases fiscales et le transfert abusif de bénéfices. Si ces travaux s’étaient cantonnés à de telles recommandations, contenues dans les rapports finaux des actions et transposées dans le modèle de convention établi par l’OCDE, leur intégration dans le droit positif et leur effectivité auraient pris un temps considérable et auraient, in fine, été compromises », résume la député Bénédicte Peyrol dans un avis rendu au nom de la commission des finances de l’Assemblée nationale le 20 juin dernier. Il aurait en effet fallu que chaque convention fiscale soit modifiée une à une, à la suite d’un processus de négociation bilatérale entre les juridictions parties. Or une juridiction ne peut conduire qu’un nombre très limité de négociations bilatérales de façon simultanée. Pour la France, ce travail de renégociation globale prendrait entre 20 et 30 ans. « Au demeurant, même en se fondant sur une hypothèse optimiste de 20 ans, la simple évocation d’une telle durée témoigne de l’inadéquation des renégociations bilatérales pour mettre en œuvre les mesures BEPS : entre la première convention renégociée et la dernière, plusieurs décennies se seraient écoulées, rendant plus que probable l’obsolescence du contenu de la première au regard de l’évolution de la situation économique et fiscale internationale. Parallèlement, les mesures BEPS d’il y a 20 ans se révéleraient sans doute inadaptées pour la dernière convention renégociée. S’ouvrirait donc en réalité un cycle de renégociation sans fin, perspective à l’évidence peu réjouissante », analyse Bénédicte Peyrol. La convention multilatérale constitue un instrument inédit et ambitieux, qui peut, de façon schématique, s’analyser comme un accélérateur à la disposition des juridictions fiscales. L’instrument multilatéral ne remplace pas les conventions existantes, qui continuent à exister et à produire leurs effets. Il va en revanche, selon des modalités plus ou moins complexes en fonction des cas, remplacer, compléter ou modifier certaines de leurs stipulations. « Il permet donc de faire évoluer simultanément toutes les conventions qu’une juridiction aura souhaité voir évoluer, sans pour autant porter atteinte à la souveraineté fiscale de chacun », résume la députée. La France a choisi de couvrir par la convention multilatérale 88 de ses conventions bilatérales. Compte tenu de la position des juridictions avec lesquelles ces conventions ont été conclues et en l’état des notifications faites, 61 d’entre elles seront effectivement modifiées, selon une ampleur variable, correspondant à la moitié du réseau conventionnel français.

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