Crise sanitaire et mécénat

Publié le 29/04/2020

Le juge administratif précise les conditions d’application du régime du mécénat, un dispositif particulièrement stratégique dans le cadre de la crise du Covid-19, où de très nombreuses entreprises initient des dons à destination des institutions sanitaires.

Le juge administratif vient de préciser que si le bénéfice de la réduction d’impôt prévue par l’article 238 bis 1 du Code général des impôts (CGI) n’est pas susceptible d’être remis en cause par la seule circonstance que le nom de l’entreprise versante soit associé aux opérations réalisées par l’organisme bénéficiaire du versement, il ne saurait toutefois être admis qu’à la condition que la valorisation du nom de l’entreprise ne représente, pour cette dernière, qu’une contrepartie très inférieure au montant du versement accordé (CE, 20 mars 2020, n° 423664). « Cette jurisprudence a le mérite de nous alerter sur la nécessité pour les entreprises de s’intéresser aux conditions d’applications du régime fiscal des dons, explique Stéphanie Vandalle, associée du cabinet Taj, une entité du réseau Deloitte. Bercy en a une interprétation très précise et les juridictions administratives se montrent vigilantes sur le respect de ces conditions ».

Un mouvement de soutien d’envergure

Le régime fiscal applicable aux dons apparaît d’autant plus essentiel que la crise sanitaire génère un afflux massif de dons. Au sein d’une alliance baptisée, « tous unis contre le virus », la Fondation de France, l’APHP et l’Institut Pasteur ont lancé un vaste appel à la solidarité pour soutenir les soignants, les chercheurs et aider les personnes les plus vulnérables. Les dons des particuliers affluent. À ce jour, l’alliance a déjà récolté plus de 13, 5 millions d’euros. Plus de 3 millions d’euros ont déjà été dépensés pour mettre à disposition du matériel pour différents CHU, notamment des respirateurs et des systèmes d’oxygénothérapie haut débit. Les entreprises s’engagent directement dans la lutte contre le Covid-19, en direct ou par le biais de leur fondation. Elles soutiennent les associations qui viennent en aide aux plus démunis, les centres de recherche, mobilisés pour trouver un traitement à la maladie, ainsi que les personnels soignants des hôpitaux et des EHPAD. Les initiatives se succèdent. Le groupe L’Oréal a ainsi monté un plan européen de solidarité pour lutter contre le coronavirus. Ses usines se sont reconverties en centre de production de gel hydroalcoolique à destination des professionnels de la santé, des hôpitaux, des EHPAD ainsi que les acteurs de la distribution alimentaire. Plus d’un million d’euros ont déjà été versés aux associations de lutte contre la précarité. Le groupe Bouygues a fait don d’un million de masques chirurgicaux aux autorités sanitaires et sa fondation a déjà fat un don d’urgence de 50 000 euros à la Croix Rouge française ainsi qu’un don de 100 000 euros à la Fondation de France. Le groupe a également financé des journées de solidarité pour que ses employés se mettent aux services d’association ou des plus vulnérables en utilisant les outils numériques. La fondation de l’Olympique de Marseille a donné 50 000 euros à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille. À terme, le club phocéen deviendra membre fondateur du fonds de dotation de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille, Phoceo. La Fondation a offert également trois tonnes de denrées à la Banque alimentaire, afin d’aider les plus vulnérables, l’équivalent d’un mois de repas pour 6 000 personnes. Les 75 collaborateurs du club ont déjà réalisés 1 500 heures de bénévolat pour du soutien scolaire.

Application du régime fiscal du mécénat

Le mécénat est un dispositif permettant à une entreprise de verser un don à un organisme, sous forme d’aide financière ou matérielle, pour soutenir une œuvre d’intérêt général ou de se porter acquéreur d’un bien culturel déclaré trésor national. En contrepartie, elle peut bénéficier d’une réduction fiscale. Le régime fiscal du mécénat consiste, sous certaines conditions, en une réduction d’impôt au profit des entreprises mécènes, égale à 60 % des versements effectués, conformément à l’article 238 bis du Code général des impôts. La loi n’impose aucun montant minimal de chiffre d’affaires. De même, aucun montant minimal n’est requis pour le don effectué par l’entreprise. En revanche, le dispositif est plafonné. En effet, les dépenses ne sont retenues que dans la limite de 20 000 € (contre 10 000 € antérieurement) pour les versements effectués au cours des exercices clos à compter du 31 décembre 2019 ou de 5 ‰ du chiffre d’affaires de l’entreprise donatrice lorsque ce dernier montant est plus élevé. En cas de dépassement de ce seuil ou si le résultat de l’exercice en cours est nul ou négatif, il est cependant possible de reporter l’excédent sur les cinq exercices suivants.

Un taux de réduction de droit commun

« Dans le cadre de la loi de finances pour 2020, le taux de la réduction d’impôt a été abaissé de 60 % à 40 % pour les dons dépassant 2 millions d’euros. Seule la partie du don excédant ce seuil est concernée par cette réduction de taux. Certains versements ne sont pas pris en compte pour l’application de cette réforme. Il s’agit des versements effectués au profit d’organismes sans but lucratif qui procèdent à des actions de solidarité au profit des plus démunis, explique la fiscaliste. En pratique, les versements effectués au cours des exercices clos avant le 31 décembre 2020 et restant à reporter conservent le bénéfice de la réduction d’impôt au taux de 60 % ». Dans le cadre de la campagne de dons qui a suivi l’incendie de Notre Dame, le gouvernement avait opté pour un régime dérogatoire avec un taux majoré de 75 % de réduction d’impôt sur le revenu du montant des dons effectués par les particuliers, avec un plafond de don de 1 000 euros. « A priori, aucun régime incitatif spécifique ne sera mis en place dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 que ce soit pour les particuliers ou pour les entreprises. Au regard des montants massifs en jeu, des voix se font entendre pour réclamer soit un rehaussement du taux d’imposition pour les dons dépassant 2 millions d’euros, soit un assouplissement voire une suppression du plafond de chiffres d’affaires pour les TPE PME », commente Stéphanie Vandalle.

Des assouplissements en matière de TVA

Les règles de TVA ont été assouplies pour les entreprises fournissant gratuitement des biens dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. En principe, l’entreprise mécène doit, en cas de dons en nature, reverser la taxe initialement déduite, ayant grevé le prix d’acquisition ou le coût de revient par le mécanisme de la livraison à soi-même des biens qu’elle fournit. Une dispense du reversement de la TVA est prévue pour certains dons de biens comme les invendus alimentaires et non alimentaires neufs donnés aux associations reconnues d’utilité publique présentant un intérêt général de caractère humanitaire, éducatif, social ou charitable. « Un rescrit en date du 7 avril 2020, étend le champ d’application de la dispense de reversement pour les dons, effectués pendant la crise du Covid-19 aux matériels sanitaires comme les masques, qui seraient donnés aux établissements de santé, EHPAD, professionnels de santé, services de l’État les collectivités territoriales. Il en assouplit également les modalités d’application », souligne la spécialiste.

Des conditions strictes

Le don peut prendre la forme d’un versement numéraire, en nature ou en compétence, généralement sans contrepartie pour le donateur. Il peut être effectué à destination d’un organisme pour soutenir une œuvre d’intérêt général, qu’il s’agisse d’un organisme public ou privé à gestion désintéressée ou une d’une société dont le capital est entièrement détenu par des personnes morales de droit public. Ces œuvres ou ces organismes d’intérêt général doivent avoir un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel où à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises (…). Pour Stéphanie Vandalle, l’éligibilité de l’organisme auquel on effectue un don doit absolument être contrôlée. « L’organisme gratifié doit être considéré aux yeux de Bercy comme exerçant une activité non lucrative, c’est-à-dire qu’il n’exerce pas une activité concurrentielle, explique la fiscaliste. Nombre de nos clients nous interrogent avant, par exemple, d’effectuer un don à l’intention d’un EHPAD. Or ces établissements renvoient à des structures juridiques très diverses. Sont-ils gérés par une société ? Ou par une association ? Et dans ce dernier cas, il nous faut vérifier l’existence ou non d’une concurrence par rapport à d’autres établissements et/ou nous assurer que l’établissement accueille bien plus de 50 % de bénéficiaires de l’APA ». En pratique, ces conditions ne sont pas faciles à contrôler pour les mécènes, plus particulièrement à un moment où les dons doivent s’effectuer dans une urgence absolue, comme c’est le cas pour les dons de matériel médical. « Or, les sanctions sont lourdes, si l’administration fiscale décide que l’organisme bénéficiaire n’est pas éligible au bénéfice du mécénat », explique Sétphanie Vandalle. « En pratique, non seulement la réduction d’impôt est remise en cause, mais en outre les charges constatées sont également réintégrées dans les bénéfices de l’entreprise mécène. C’est un véritable mécanisme de double peine qui s’applique, en cas d’erreur sur la qualité du bénéficiaire du don », constate la fiscaliste.

Attention aux contreparties

Pour qu’une opération de mécénat soit considérée comme telle, il convient que l’intention libérale qui caractérise le don soit présente. La présence d’une contrepartie offerte par le bénéficiaire du don peut venir remettre en cause la notion d’intention libérale. Ainsi, lorsque le bénéficiaire offre une contrepartie d’une valeur équivalente aux sommes reçues, le versement n’est pas considéré comme un don, mais comme la rémunération d’une prestation de service. Si cette contrepartie équivalente prend la forme d’une prestation publicitaire au profit de l’entreprise versante, il s’agit d’une opération de parrainage. « Pour différencier opérations de parrainage et mécénat, l’administration fiscale, examine la nature et le montant des contreparties considérées, analyse la fiscaliste. La réduction d’impôt n’est possible que si on peut constater une disproportion marquée entre les sommes versées et la valorisation de la prestation rendue par l’organisme. Selon la doctrine de Bercy, le versement doit être manifestement disproportionné par rapport aux contreparties reçues pour que l’intention libérale soit caractérisée ». Le Conseil d’État vient de se prononcer sur ce sujet dans une espèce, où à la suite d’une vérification de comptabilité, une EURL s’est vue infliger des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes au titre des exercices clos en 2010 et 2011, résultant notamment de la remise en cause de la réduction d’impôt prévue à l’article 238 bis du CGI. L’administration fiscale a en effet remis en cause au titre de ces deux exercices des dons effectués au profit d’une association d’intérêt général dont l’objet était de promouvoir le sport automobile féminin. Pour l’administration fiscale, la circonstance que le nom de la société était apposé sur les véhicules de course et le camion semi-remorque utilisés par les membres de l’association était de nature à remettre en cause le bénéfice des réductions d’impôt pour dons et entraînait la qualification de parrainage.

La cour administrative d’appel de Lyon a fait droit à l’appel formé par la société contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions résultant de cette rectification (CAA Lyon, 28 juin 2018, n° 17LY00187). Pour le Conseil d’État, le juge d’appel a commis une erreur en considérant que la contrepartie en cause entraînait la qualification de parrainage, quelle que fût la valeur économique de l’exposition médiatique dont la société aurait bénéficié à l’occasion des courses automobiles organisées par l’association bénéficiaire du don. « Le Conseil d’État souligne qu’il appartenait au juge d’appel de rechercher si l’avantage publicitaire ainsi retiré par la société avait représenté pour cette dernière qu’une contrepartie très inférieure au montant des versements accordés. La cour administrative d’appel de Lyon a donc commis une erreur de droit. Le ministre est donc fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque, conclut la haute juridiction », précise la fiscaliste.

Les critères de l’administration fiscale

Ce faisant, le Conseil d’État reprend la position de l’administration telle qu’elle figure dans ses commentaires publiés au BOFiP. L’administration fiscale n’a fourni aucune indication permettant de quantifier la notion de disproportion marquée. « On sait que pour les biens, la condition de disproportion est satisfaite, pour la remise de menus biens aux entreprises donatrices, lorsqu’il existait un rapport de 1 à 4 entre la valeur du bien remis et celle du don. Cette règle des 25 % (Instruction 13-7-2004, 4 C-5-04 n° 51) n’a toutefois pas été expressément reprise dans les commentaires administratifs postérieurs à la réforme de 2003 du mécénat », souligne Stéphanie Vandalle. En revanche, pour les prestations de service qui seraient rendues par le bénéficiaire du don, l’administration fiscale n’a fourni aucune guideline, seulement quelques exemples à titre indicatif (BOI-BIC-RICI-20-30-10-20-20190807 n° 180).

Une nouvelle obligation déclarative

Dans le cas où les dons en numéraire donnent droit à une réduction d’impôt au profit du donateur, le bénéficiaire du don doit déclarer à l’administration fiscale l’identité du donateur pour les dons d’un montant annuel supérieur à 153 000 € par structure. Les dons de denrées alimentaires ne sont pas concernés. Le bénéficiaire du don doit délivrer au donateur un reçu fiscal. Les entreprises qui effectuent, au cours d’un exercice ouvert à partir du 1er janvier 2019, plus de 10 000 € de versements et de dons doivent déclarer sur support électronique dans le même délai que celui prévu pour la déclaration de résultats, le montant et la date de ces versements et dons, l’identité des bénéficiaires, et quand il y en a, la valeur des biens ou services reçus en contrepartie. « Si l’entreprise a effectué son don sous forme de mécénat en nature ou de compétence, en contribuant avec des produits ou services, cette contribution est alors valorisée au prix de revient, ou à la valeur nette comptable pour les éléments inscrits à l’actif de l’entreprise », précise la fiscaliste. Il n’est pas toujours aisé pour l’entreprise de valoriser la contrepartie des biens ou services reçus en échange de son don. « Les biens sont valorisés à leur prix de vente chez l’entreprise bénéficiaire, explique Stéphanie Vandalle. C’est le cas par exemple de tickets d’entrée qui seraient prévus pour les salariés de l’entreprise mécène d’une exposition. Si les biens prévus en contrepartie ne sont pas vendus par l’entreprise, ils sont valorisés au prix de revient. La tâche est plus délicate lorsqu’il s’agit de valoriser les bénéfices en termes d’image et d’opérations de communication qu’une entreprise peut retirer d’un don. Selon les exemples donnés par l’administration fiscale, il ressort, que si l’organisme bénéficiaire a un champ d’action national, la contrepartie peut être valorisée à 10 % de la valeur du don. Si l’organisme bénéficiaire a un champ d’action local, la contrepartie peut être valorisée à 5 % de la valeur du don », commente la fiscaliste.

LPA 29 Avr. 2020, n° 153n2, p.6

Référence : LPA 29 Avr. 2020, n° 153n2, p.6

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