Défaut de collecte de taxe de séjour : une amende record pour Airbnb à l’île d’Oléron
La taxe de séjour permet de promouvoir un territoire, de financer de nouvelles infrastructures et d’améliorer la qualité d’accueil des visiteurs. Elle est collectée et reversée par les plateformes de réservation en ligne pour le compte de leurs hôtes. Les acteurs numériques qui ne se conforment pas à leurs obligations risquent de lourdes amendes.
« L’histoire retiendra qu’une petite île de l’Atlantique a fait plier le géant américain du tourisme numérique », se félicite Michel Parent, président de la communauté de communes de l’île d’Oléron. Le président de la cour d’appel de Poitiers vient en effet de juger que la plateforme Airbnb devait être condamnée à une amende de 8,6 millions € pour ne pas avoir collecté et reversé la taxe de séjour pour l’année 2021 et 2022 sur le territoire de l’île d’Oléron (CA Poitiers, 8 avril 2025, n° 24/01067).
Le fonctionnement de la taxe de séjour
Afin d’améliorer l’accueil touristique sur leur territoire, certaines communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) peuvent décider d’appliquer une taxe de séjour aux vacanciers séjournant sur leur territoire. Il s’agit des personnes qui ne sont pas domiciliées dans la commune et qui n’y possèdent pas de résidence à raison de laquelle elles sont redevables de la taxe d’habitation. La décision doit être prise avant le 1er juillet pour être applicable à compter du 1er janvier de l’année suivante. Créée par une loi de 1910, la taxe de séjour est instituée à l’initiative des collectivités réalisant des dépenses favorisant l’accueil des touristes. La liste des communes habilitées à instituer la taxe a successivement été étendue (loi n° 81-1160 du 31 décembre 1981, par la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 et surtout par la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988…)
Un levier pour l’attractivité des territoires
La taxe de séjour peut notamment être instituée par les stations classées, les communes bénéficiaires de la dotation supplémentaire pour les communes touristiques ou thermales, les communes bénéficiaires de la dotation particulière pour les communes connaissant une forte fréquentation touristique journalière, les communes littorales, les communes de montagne, les communes réalisant des actions de promotion en faveur du tourisme, les communes réalisant des actions de protection et de gestion de leurs espaces naturels. Peuvent également instituer une taxe de séjour les EPCI, érigés en stations classées selon la même procédure que les communes, bénéficiant de la dotation supplémentaire touristique, qui réalisent des actions de promotion en faveur du tourisme, qui réalisent des actions de protection et de gestion de leurs espaces naturels. Les recettes de cette taxe permettent aux collectivités locales de financer les dépenses liées à la fréquentation touristique mais aussi de développer l’offre touristique sur leurs territoires. C’est un levier de financement exclusivement réservé au financement du développement touristique et de l’amélioration de l’attractivité du territoire. La taxe contribue ainsi à la mise en œuvre d’actions en matière de tourisme comme la mobilité touristique, l’immobilier de loisir, les réflexions sur la stratégie touristique du territoire, le financement de l’office du tourisme, etc.
Taxe au réel ou au forfait
La taxe de séjour est due par personne et par nuit. Les enfants de moins de 18 ans, les titulaires d’un contrat de travail saisonnier employés dans la commune, les bénéficiaires d’un hébergement d’urgence ou d’un relogement temporaire, comme les personnes occupant des locaux dont le loyer est inférieur à un montant déterminé par le conseil municipal ou l’ECPI sont exonérés de cette taxe. Il peut s’agir d’une taxe de séjour au réel, qui est prélevée par personne hébergée ou d’une taxe de séjour au forfait, qui est prélevée par hébergement touristique. La commune détermine librement les caractéristiques de la taxe de la taxe : période de perception de la taxe, application ou non d’un abattement sur le nombre d’unités de capacité d’accueil de l’hébergement, montant applicable selon chaque type de bien (hôtel, résidence de tourisme, meublé de tourisme, camping chambre d’hôte) et son niveau de confort matérialisé par son classement. Ce montant doit être décidé avant le début de la période durant laquelle la taxe s’applique. Il doit être fixé dans la limite d’un tarif minimum et d’un tarif maximum actualisés chaque année. Une taxe additionnelle peut également être instituée par le département ou la région. Ainsi, la région Île-de-France a récemment instauré une taxe supplémentaire Grand Paris de 15 %.
Qui collecte la taxe de séjour ?
Le vacancier doit payer la taxe de séjour au logeur, à l’hôtelier ou au propriétaire du meublé de tourisme ou au professionnel qui assure le service de réservation par internet pour le compte du logeur, de l’hôtelier, du propriétaire. Le montant ainsi perçu est ensuite reversé à la commune. Les plateformes de réservation en ligne : Airbnb, Booking, Homeaway, etc. collectent la taxe de séjour pour le compte des logeurs et tiennent à jour un état déclaratif pour chaque logement loué, comprenant notamment le nombre de nuits de location. Elles transmettent cet état à la collectivité bénéficiaire et lui versent le produit de la taxe de séjour ainsi collectée. Depuis le 1er juillet 2018, Airbnb collecte ainsi la taxe de séjour pour les réservations effectuées sur sa plateforme dans les villes qui ont introduit une taxe au réel et qui se sont inscrites auprès de l’administration fiscale. Cette taxe est reversée deux fois par an à la municipalité au nom des hôtes, professionnels et particuliers. Depuis le 26 juin 2024, ces acteurs du numérique peuvent désormais, à titre dérogatoire, déposer auprès de l’administration fiscale une déclaration unique relative aux versements de taxe de séjour effectués à l’ensemble des collectivités. Les plateformes numériques qui souhaitent s’inscrire dans cette expérimentation n’auront donc plus à effectuer une déclaration ad hoc auprès de chaque commune ou intercommunalité ayant institué la taxe de séjour.
Des montants records collectés par Airbnb
En 2023, Airbnb a reversé plus de 187 millions d’euros de taxe de séjour à plus de 24 500 communes françaises pour le compte de ses hôtes, soit une augmentation de plus de 25 % par rapport à 2022. Ces retombées économiques toujours plus importantes bénéficient à un nombre croissant de communes chaque année : plus de 1 600 nouvelles communes ont reçu un montant de taxe de séjour pour la seule année 2023. Les montants sont également plus importants pour un grand nombre de petites à moyennes communes. En 2023, Airbnb a reversé plus de 100 000 euros à plus de 260 communes, dont la moitié d’entre elles compte moins de 20 000 habitants, à l’image du Mont-Dore (Puy-de-Dôme), de La Bresse (Vosges) et de Berck (Pas-de-Calais). « Cette manne pour les collectivités est le fruit de l’accueil exceptionnel proposé par nos hôtes locaux, et de l’existence d’un cadre réglementaire national proportionné, qui a permis un développement durable des locations saisonnières dans tout le pays, au bénéfice de l’économie et de l’attractivité de nombreux territoires », a commenté Clément Eulry, directeur France et Belgique d’Airbnb. Les métropoles profitent largement de cette manne. Plusieurs millions ont été remis à Paris (plus de 31,70 M€ contre plus de 24,30 M€ en 2022), à Bordeaux (plus de 1,50 M€ contre plus de 1,30 M€ en 2022) et à Toulouse (plus de 1,40 M€ contre plus de 1,00 M€ en 2022).
Mais des défauts de collecte et de déclaration
Pourtant, ces chiffres cachent un certain nombre de disparités. Dans certains territoires, la société n’a pas collecté et déclaré la taxe de séjour pour de nombreuses nuitées. C’est le cas de l’île d’Oléron où Airbnb, n’a pas collecté, en 2021, la taxe de séjour. En 2022, 2 344 nuitées manquent à l’appel, Airbnb n’ayant ni collecté ni déclaré la taxe de séjour pour les vacanciers concernés. La communauté de communes de l’île d’Oléron a adressé une lettre de mise en demeure le 26 janvier 2022 afin d’obtenir les fichiers listant les séjours effectués durant la période de perception de la taxe de séjour pour estimer précisément le montant de la taxe dû pour 2020 et les sommes manquantes pour 2021. Faute de réponse satisfaisante, les élus des 8 villes composant la communauté de communes, ont effectué une demande en référé de communication de ces éléments. En 2020, le choix de la communauté de communes de l’île d’Oléron d’appliquer la taxe de séjour au forfait qui est réglée par chaque lieu (hôtel, propriétaire, logeur…) et calculée indépendamment du nombre de personnes hébergées a compliqué la tâche pour la plateforme. En 2021, la communauté de communes de l’île d’Oléron est passée d’une taxe de séjour forfaitaire à une taxe de séjour au réel, avec une période de perception allant de fin juin à début septembre. Airbnb ne peut « collecter la taxe de séjour que dans les villes inscrites auprès de l’administration fiscale et ayant introduit une taxe au réel », précisait la plateforme. Concernant 2021, la plateforme a reconnu une « erreur technique liée à un problème de gestion des données ». Airbnb a accepté de payer l’intégralité des sommes réclamés par la communauté de communes de l’île d’Oléron, soit 404 753 euros pour 2020 et 2021. Cependant, l’affaire ne s’est pas arrêtée là, la communauté de communes de l’île d’Oléron entendant intenter des actions en sanction pour défaut de déclaration, conformément à l’article L2333-34-1 du Code général des collectivités territoriales.
Condamnation d’Airbnb en première instance
En première instance, le juge a eu la main relativement légère. Le tribunal judiciaire de La Rochelle a condamné Airbnb, le 16 juin 2023, à 30 000 euros d’amende pour ne pas avoir collecté, en 2021, la taxe de séjour. Le 16 avril 2024, le tribunal judiciaire de La Rochelle a condamné la plateforme de mise en relation entre clients et hébergeurs à verser 1 385 000 euros. « Acteur majeur du marché de la location hôtelière par des particuliers en France, au chiffre d’affaires de 8,4 milliards de dollars en 2022 », Airbnb n’a « pas respecté ses obligations de collecte de la taxe de séjour, ce qui justifie, compte tenu de la répétition des manquements, le prononcé d’une amende civile fixée à 10 fois le montant de la taxe de séjour concernée », a précisé le tribunal qui note la « gravité » de ces entorses à la loi. « La complexité soulevée par Airbnb pour la collecte d’une taxe mixte, au forfait et au réel, établie sur une base saisonnière, ne justifie pas plus les défauts de collecte et les retards de paiement constatés pour la taxe de séjour 2022 malgré les multiples échanges entre les protagonistes et les procédures judiciaires en cours », conclut le tribunal, précisant que « la communauté de communes avait décidé de changer, en 2020, de régime de collecte de la taxe de séjour pour les hébergements « non classés ou en attente de classement ».
Des sanctions alourdies en appel
La communauté de communes de l’île d’Oléron demandait initialement plus de 12 millions d’euros pour 2021, correspondant au maximum de l’amende prévue par la loi en cas de manquement au versement de la taxe de séjour 2 500 euros, multiplié par le nombre de nuitées concernées sur l’année et plus de 17 millions d’euros d’amende pour 2020 en procédant aux mêmes types de calcul. Si les condamnations sont plus faibles, elles constituent « des amendes manifestement disproportionnées » pour la plateforme californienne qui souligne que le montant des pénalités est plus de 25 fois plus important que le montant de taxe non collectée. Airbnb a d’ailleurs échoué à obtenir du juge la transmission au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant à faire reconnaître les sanctions prévues par le Code général des collectivités territoriales comme « excessives » et « contraires au principe de proportionnalité des peines ». En appel, la cour d’appel de Poitiers a confirmé ces deux jugements mais a augmenté trèsn fortement les montants des condamnations à 5 078 500 euros pour 2021 et à 3 516 000 euros pour 2022. Le manquement de la société Airbnb est d’autant plus grave que « le recouvrement de la taxe de séjour représente une part non négligeable du budget de la CDCO pour financer les dépenses liées à l’afflux de touristes sur la période estivale », a souligné le juge d’appel. Les plateformes Abritel, LeBoncoin et Booking sont également dans le viseur de la communauté de communes de l’île d’Oléron. Cette jurisprudence devrait inspirer d’autres communes.
Référence : AJU017k9
