DGFiP : le bilan post fusion de la Cour des comptes
Dix ans après la création de la DGFiP, les magistrats de la Cour des comptes dressent un bilan contrasté de cette réforme, tant en matière de qualité de service que d’efficience. Alors que s’ouvre un nouveau chapitre de la réforme de l’État, la Cour formule un ensemble de recommandations afin d’améliorer le service rendu et de réduire les coûts. Accueil téléphonique insuffisant, matériel téléphonique inadapté, maillage du territoire incohérent : autant de pistes d’amélioration identifiées.
« Une transformation à accélérer », le sous-titre choisi pour le rapport de 143 pages rédigé par la la Cour des comptes pour dresser le bilan dix ans après la création en 2008 de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) donne le ton. « Les réformes initiées par la DGFiP depuis la fusion, apparaissent modestes tant au regard du potentiel de la modernisation que des exemples étrangers », concluent les magistrats de la Cour des comptes appelant de leur vœux une accélération des progrès déjà initiés. Ce constat rend indispensable une véritable transformation de la DGFiP, en définissant une stratégie de changement et en levant les principaux facteurs qui freinent, voire bloquent, sa mise en œuvre.
La fusion, une réforme sans rupture
La création de la DGFiP, par fusion de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique, a constitué une des réformes emblématiques de la révision générale des politiques publiques. Deux objectifs ont motivé la création de la DGFiP, emblématique de la révision générale des politiques publiques lancée lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy : l’amélioration de la qualité du service rendu aux usagers, qu’ils soient contribuables ou collectivités territoriales, et la réalisation de gains de productivité, gages de moindres coûts de fonctionnement pour l’État. « À une fusion fiscale, par un transfert des missions fiscales de la DGCP à la DGI et la création d’une administration fiscale unique comme dans la plupart des pays européens, il a été préféré une « fusion globale » des deux directions. Cette option impliquait de réunir près de 75 000 agents de la DGI et 54 000 agents appartenant à la DGCP, issus de cultures et de métiers très différents », comme l’a synthétisé le rapport d’information du Sénat du 25 octobre 2011 sur la fusion de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique. Avec plus de 103 000 agents et un budget de près de 8 milliards d’euros en 2018, la DGFiP est désormais la deuxième plus grande administration civile de l’État. Elle assure un nombre élevé de missions d’une grande technicité au service des particuliers, des entreprises, de l’État, des collectivités territoriales et des hôpitaux. Première difficulté observée, « la création de la DGFiP a davantage relevé d’une juxtaposition des deux anciennes directions que d’une fusion », a commenté Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour. La réforme de 2008 a donné naissance à un modèle singulier : nulle autre administration fiscale parmi les pays de l’OCDE n’exerce un périmètre aussi large, voire disparate, de missions, soulignent les magistrats de la Cour des comptes. Comparée aux autres administrations fiscales qui ont nettement resserré leurs réseaux d’implantations locales grâce au numérique, la DGFiP présente un retard d’adaptation puisqu’elle compte encore plus de 4 000 implantations locales, dont 600 comptent moins de 5 employés. À titre d’exemple, 67 % des trésoreries comptent moins de 10 agents et 26 % d’entre elles en comptent moins de 5. Une dimension peu propice à garantir un service satisfaisant. En effet d’après les critères de la DGFiP, avec moins de 10 postes, une implantation ne peut offrir une qualité suffisante de service. Dix ans après la réforme, le bilan de la fusion au regard de ses grands objectifs est contrasté. En matière fiscale, elle a permis d’offrir aux usagers « une interface unifiée et un service amélioré ». La mise en place d’un interlocuteur fiscal unique au profit des particuliers a constitué l’un des axes fondamentaux de la fusion. La Cour des comptes salue le fait que la majorité des particuliers bénéficie désormais d’un interlocuteur fiscal unique, ce qu’elle considère comme une évolution très favorable. Les performances demeurent toutefois dégradées dans certains territoires, notamment dans les zones urbaines défavorisées, provoquant « des tensions récurrentes entre usagers et agents », souligne la Cour des comptes. L’accueil téléphonique reste le point faible du dispositif. Selon le rapport d’information du Sénat du 25 octobre 2011 sur la fusion de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique « de l’aveu même des agents, l’accueil téléphonique était trop souvent considéré comme secondaire ». Pourtant, dès 1999, le rapport de la « Mission d’analyse comparative des administrations fiscales menée par l’Inspection générale des finances, aussi appelé rapport Lépine, soulignait que le principal point de contact avec le contribuable était désormais le téléphone. « Il est donc important qu’en ce domaine l’administration fiscale soit en mesure d’offrir un service de qualité », conclut ce rapport. Enfin, le recours aux services en ligne est moins développé qu’à l’étranger. Pour les collectivités territoriales, la fusion n’a pas apporté d’améliorations décisives. Malgré des démarches de modernisation et d’amélioration, des insatisfactions demeurent en matière de fiscalité directe locale, les prestations de conseil sont peu sollicitées et la tenue des comptes pourrait être améliorée. En termes de coût, les résultats sont également contrastés. Avec 2 000 suppressions de postes par an en moyenne la DGFiP a certes été la principale contributrice à la maîtrise des dépenses au sein de l’État, mais les économies sur les fonctions supports, bien que réelles, sont modestes. Si ces résultats ne remettent pas en cause la réforme menée il y a dix ans, ils incitent néanmoins à accélérer la transformation de cette administration. La Cour des comptes relève en effet « d’importants gisements de productivité inexploités ». À cet égard, le rapport d’information du Sénat du 25 octobre 2011 sur la fusion de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique regrettait déjà que la nouvelle DGFiP ne dispose pas actuellement d’instruments prospectifs. « Alors que les deux ex-directions étaient dotées de contrats pluriannuels de performance et de moyens, décrivant des pistes d’évolution en termes concrets, la DGFiP n’en a plus. Il leur a été préféré un document d’orientations stratégiques (DOS) qui ne contient aucun objectif explicite et chiffré », précisait le rapport qui recommandait que soit élaboré un document prospectif définissant des objectifs explicites et chiffrés traduisant ces priorités et déclinés dans la documentation budgétaire.
La persistance de rigidités importantes
La Cour des comptes identifie quatre facteurs de rigidité qui entravent l’évolution de la DGFiP. La nette réduction des budgets informatiques depuis dix ans a fragilisé des systèmes d’information déjà anciens « construits par sédimentation de couches applicatives dont certaines remontent aux années 70 ». La DGFiP a ainsi accumulé une « dette technique » qui obère sa modernisation, constate la Cour des comptes. « La DGFIP a continué d’investir dans l’interface usager, mais pas dans le reste », analyse Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour. Autre frein essentiel, la densité excessive du réseau de la DGFiP. Elle compte un très grand nombre de services locaux de petite taille ne pouvant assurer un service de qualité. Enfin, analyse la Cour des comptes, les règles de gestion des ressources humaines sont lourdes et très centralisées, ne permettant pas une bonne adéquation avec les besoins du service. Depuis la fusion, la DGFiP n’a pas su ou voulu se doter d’un schéma de transformation clair, préférant se concentrer, dans un premier temps, sur la réussite de la fusion, puis sur la consolidation de l’existant.
Les conditions d’une transformation nécessaire
La Cour recommande que soit définie une stratégie de transformation explicite, précisant les objectifs et les moyens pour les atteindre. Le périmètre des missions doit être revu et les missions de recouvrement de la douane devraient être rattachées à la DGFiP. À l’inverse, certaines missions (service de retraites de fonctionnaires, cadastre…) pourraient être confiées à d’autres opérateurs. Les missions assurées pour le compte des collectivités locales devraient quant à elles être ajustées en fonction des besoins avérés. Enfin, le réseau de la DGFiP doit être resserré et le maintien de services de proximité doit s’inscrire dans un cadre partenarial avec les autres services publics.
La Cour formule 17 recommandations regroupées dans cinq axes de réformes.
Premier axe d’action identifié par la Cour des comptes : définir et inscrire une stratégie de transformation dans une convention pluriannuelle d’objectifs et de moyens. Il s’agit de mettre en place des cibles d’organisation et des calendriers de réalisation pour chaque mission, d’accroître la capacité d’investissement en matière de systèmes d’information, en y évaluant le coût estimé et les gains attendus, d’évaluer et d’analyser les gains de productivité et d’efficience, d’identifier les compétences, le recrutement et la formation à 10 ans.
Deuxième grand domaine à privilégier : le numérique, afin d’en tirer parti pour moderniser le service rendu aux contribuables. La DGFiP doit tirer parti de la transition numérique pour exploiter les gisements de productivité. La Cour des comptes recommande notamment que le canal numérique devienne le mode normal d’échange avec les particuliers, l’accueil physique devant être réservé aux questions les plus complexes. L’accueil téléphonique doit être significativement amélioré, notamment durant la phase de mise en œuvre du prélèvement à la source. La Cour des comptes recommande également un plan de resserrement à 5 ans du réseau des SIE et des SIP et que soit étendu l’accès aux données de la DGFiP à d’autres entités publiques.
Troisième axe de priorité : rationaliser et rénover les services rendus aux collectivités territoriales. Les relations de la DGFiP avec les collectivités territoriales reposent sur trois piliers : la tenue des comptes des collectivités territoriales par des comptables publics, l’obligation de dépôt des fonds des collectivités au Trésor public et l’établissement, la collecte, la gestion et la mise à disposition des impôts locaux. La DGFiP procure aux collectivités territoriales un point d’entrée unique. Il s’agit pour la Cour des comptes d’adapter l’offre des services aux collectivités en fonction de leur taille, d’expérimenter le modèle de l’agence comptable auprès de collectivités territoriales volontaires, de mettre en place un compte financier unique et de fermer les trésoreries dont les effectifs ne permettent pas d’assurer un service continu et de qualité.
Quatrième champs d’amélioration : rationaliser l’organisation et la gestion internes de la DGFiP. À cet effet, la Cour des comptes préconise de confier au DRFiP la mission d’animation et supprimer les délégations interrégionales du directeur général. Elle conseille également de transformer, sous trois ans, les 354 SPF en un service à compétence nationale et recommande de concentrer l’assignation des dépenses sur un nombre limité de postes.
Cinquième axe de priorité : rationaliser le périmètre de mission de la DGFiP, l’organisation et la gestion internes de la DGFiP ainsi que le périmètre de ses missions. La Cour des comptes recommande à cet égard d’organiser le transfert à la DGFiP des missions comptables de la douane, de mettre à l’étude le transfert de la mission topographique du cadastre à l’IGN, de créer une caisse de retraite des fonctionnaires de l’État en lieu et place du SRE (Service des retraites de l’État). Autant de pistes de modernisation qui trouveront sans doute leur place dans le futur plan Action publique 2022.