Dix ans de lutte contre la fraude au Parquet national financier
Voué à lutter contre les formes les plus graves de fraude aux finances publiques et les atteintes à la probité, le Parquet national financier dresse le bilan de ses dix premières années d’exercice.
Créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, le Parquet national financier (PNF) est entré en activité le 1er février 2014.
Un parquet spécialisé et centralisé
Sa création a répondu à des impératifs de transparence démocratique et de lutte contre les formes de fraudes les plus graves aux finances publiques et les atteintes à la probité. « En réaction au séisme de l’affaire Cahuzac et à l’évaluation mitigée de la France par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le législateur a décidé d’instaurer, pour la première fois, un parquet à compétence nationale, disposant de moyens propres entièrement dédiés à la lutte contre la corruption et la fraude fiscale aggravée », rappelait Jean-François Bohnert, procureur de la République financier, à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire de Paris, le 23 janvier 2024. « Ces affaires nécessitent, en effet, une grande spécialisation des magistrats et une centralisation des moyens et des compétences », soulignait alors le communiqué de presse du conseil des ministres du 7 mai 2013. La création du PNF s’est inscrite dans le cadre d’une stratégie politique globale, puisqu’en 2013, ont aussi été créés la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). L’arsenal de la lutte anticorruption a été complété avec la création de l’Agence française anticorruption (AFA), par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016. « Loin des polémiques, le PNF est désormais inscrit dans le paysage pénal français et international », conclut Jean-François Bohnert, soulignant que « le législateur, la Cour des comptes ou encore l’OCDE préconisent d’ailleurs son renforcement ».
La méthode spécifique adoptée par le Parquet national financier
Le PNF est entré en fonction le 1er février 2014. Il fête donc ses dix ans cette année. Il s’agit d’un parquet à compétence nationale qui enquête sur des infractions commises sur l’ensemble du territoire français. C’est aussi un parquet spécialisé, dont l’action est ciblée sur les enquêtes pénales les plus complexes dans le domaine de la délinquance économique et financière. Parquet autonome, ses procédures sont jugées par la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. « Dix ans plus tard, force est de constater que le PNF a marqué de son empreinte la lutte contre la grande délinquance économique et financière, en France comme à l’étranger », constate Jean-François Bohnert, qui revient sur la méthode adoptée par le PNF. Cette dernière consiste à « traiter les procédures majoritairement en enquête préliminaire et à consacrer les informations judiciaires – et partant la saisine d’un juge d’instruction – aux affaires nécessitant un recours aux mesures de sûreté, ou revêtant un caractère de complexité ou de sensibilité particulier. Ce choix s’est accompagné d’un recours systématique à l’ouverture des enquêtes au contradictoire, permettant aux parties d’accéder à la procédure et de formuler leurs observations avant tout engagement de poursuites. Il est un gage de qualité, d’efficacité et de souplesse dans le traitement des procédures », conclut Jean-François Bohnert.
Des résultats tangibles
Ce choix a permis au PNF de recueillir des résultats tangibles : 3 234 procédures initiées pendant ces dix années ; 793 demandes d’entraide pénale émises et 302 reçues. En dix ans, 532 personnes ont été condamnées en première instance, dont 97 en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). 111 condamnations ont été prononcées pour la seule année 2023. Une grande majorité de ces condamnations (363) a été prononcée en matière fiscale. 129 condamnations ont été prononcées en matière d’atteintes à la probité et 40 en matière boursière. 20 conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) ont été validées. Au total, plus de 12 milliards d’euros d’amendes, confiscations, dommages-intérêts pour l’État et redressements fiscaux connexes ont été prononcés en faveur du Trésor public pendant cette décennie. « Ces résultats sont le fruit du travail de l’ensemble de la chaîne pénale », souligne Jean-François Bohnert : services d’enquête, magistrats instructeurs, juges de la liberté et de la détention et juges correctionnels. « Je crois sincèrement à l’efficacité de la justice lorsque chaque acteur de la chaîne pénale agit avec compétence et engagement, en complémentarité avec les autres maillons. Il n’en demeure pas moins que les défis à relever pour l’avenir sont nombreux : défis procéduraux, défis de coordination internationale, défis organisationnels ou encore de champ de compétence », conclut le procureur de la République financier.
Des outils innovants
Le Parquet national financier a su s’approprier des outils innovants, comme la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), qui offre une diversification de la réponse pénale pouvant être apportée aux faits commis par les personnes morales. La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Loi Sapin 2, a en effet introduit, à l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, la possibilité de conclure entre le procureur de la République et toute personne morale mise en cause pour des faits d’atteintes à la probité, une CJIP. Il s’agit d’une mesure alternative aux poursuites, destinée à accélérer les procédures, en permettant aux entreprises de négocier une amende afin d’éviter des poursuites, sans reconnaissance de culpabilité, notamment pour fraude fiscale ou blanchiment de fraude fiscale. Le Parquet est seul compétent pour signer la CJIP. Acceptée par la personne morale, la CJIP est soumise à la validation du président du tribunal, lors d’une audience publique, avant d’être publiée. Avec 20 CJIP validées depuis 2016, le PNF s’est pleinement emparé de cet outil, qui allie dimension répressive de la sanction, par le montant des amendes prononcées, et dimension préventive par la mise en œuvre d’un programme de conformité anticorruption au sein de l’entreprise. En outre, la CJIP présente l’intérêt majeur de placer l’entreprise concernée dans une position nouvelle de coopération avec l’autorité judiciaire, en contribuant aux investigations par le biais d’une enquête interne, voire en lui révélant les faits.
Autre outil que le PNF a su s’approprier efficacement : la reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). La CRPC a été créée en 2004 dans le cadre de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II, et codifiée à l’article 495-7 du Code de procédure pénale. Cette procédure judiciaire permet le jugement rapide de l’auteur d’une infraction, à la condition qu’il reconnaisse les faits reprochés. Applicable à certains délits, à la demande ou avec l’accord du procureur de la République, elle comprend deux étapes : une proposition de peine par le procureur et une audience d’homologation. L’auteur de l’infraction a la possibilité d’accepter ou de refuser la peine de prison ou l’amende proposée par le procureur. La durée de l’emprisonnement ne peut pas être supérieure à trois ans, ni dépasser la moitié de la peine encourue. En cas d’acceptation, un procès-verbal contenant la reconnaissance des faits, la proposition et l’acceptation de la peine est rédigé et transmis immédiatement au juge pour homologation. En cas de refus, l’auteur de l’infraction reçoit une nouvelle convocation pour être jugé lors d’un procès devant le tribunal correctionnel. Le PNF a fait siennes les évolutions successives souhaitées par le législateur autorisant désormais le prononcé de peines supérieures à un an ou encore l’utilisation de ce mode de poursuite en matière fiscale.
Près d’une affaire sur deux relative à une atteinte à la probité
En 2023, le PNF a initié 300 nouvelles affaires et clôturé 234 dossiers. Avec 111 condamnations, 5 conventions judiciaires d’intérêt public conclues pour un total de 781 procédures en cours, l’année 2023 marque une hausse importante de l’activité du PNF. 47 % des dossiers concernent des atteintes à la probité, 44 % des dossiers relèvent des atteintes aux finances publiques et 6 % des dossiers recouvrent les atteintes aux marchés financiers. Sur les 370 dossiers relatifs à des atteintes à la probité, plus de la moitié des procédures portent sur des faits de corruption et/ou de trafic d’influence. Elles concernent pour le reste des faits de détournement de fonds publics, de favoritisme, de prise illégale d’intérêts et de pantouflage, de corruption électorale ou encore de blanchiment d’atteintes à la probité. Au-delà de ces chiffres, sur le plan qualitatif, les affaires de probité sont souvent fortement médiatisées, compte tenu de la qualité des personnes ou des entités poursuivies et du retentissement et de l’impact financier des faits objet des investigations. Conformément à l’article 705 du Code de procédure pénale, le PNF dispose d’une compétence concurrente en matière d’atteintes à la probité concernant les affaires présentant une grande complexité. Cette notion a été définie dans le cadre de la circulaire du 31 janvier 2014. Elle résulte notamment « du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel les affaires s’étendent ». Cette circulaire souligne en outre que le PNF « a par essence vocation à connaître des affaires susceptibles de provoquer un retentissement national ou international de grande ampleur » ainsi que des « affaires se distinguant par la complexité des montages financiers, la technicité de la matière, l’enchevêtrement des sociétés ou des structures impliquées ». En outre, ladite circulaire retient le principe de la compétence du PNF pour les affaires d’atteintes à la probité qui « révèlent l’implication d’un agent mis en cause exerçant des responsabilités de haut niveau ou en présence d’entreprises et de dirigeants à forte visibilité économique dont la mise en cause peut provoquer d’importantes répercussions financières ou sociales ». Le PNF est également compétent pour les affaires de corruption d’agent public étranger (CAPE) ou de trafic d’influence d’agent public étranger (TIAPE), peu importe la complexité de l’affaire en question, compte tenu de la spécificité des investigations nécessitant de mobiliser les réseaux de coopération internationale.
L’exécution des peines, le terme de la chaîne pénale
Comment assurer la bonne mise en œuvre des peines d’emprisonnement, des amendes et des confiscations prononcées par le tribunal correctionnel, dans un contexte d’augmentation constante du nombre de procédures audiencées par le PNF ? Le PNF s’attache à assurer l’effectivité et le suivi de l’exécution des peines prononcées en première instance et devenues définitives, avec l’assistance de son greffe et en coordination avec le parquet compétent en matière d’application des peines, principalement le parquet de Paris. Ainsi au cours de la seule année 2023, 111 personnes ont été condamnées, soit une augmentation de 58,6 % par rapport à l’année 2022 au cours de laquelle 70 personnes physiques ou morales avaient été condamnées. L’année 2022 se caractérisait déjà par une augmentation de plus de 50 % des personnes condamnées par rapport à l’année 2021. Parmi ces 111 personnes condamnées en 2023, 16 sont des personnes morales, 72 ont été condamnées par la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris, dédiée au jugement des affaires suivies par le PNF et 39 l’ont été dans le cadre d’une procédure sur reconnaissance préalable de culpabilité. 69 personnes ont été condamnées pour des faits portant atteinte aux finances publiques, 21 pour des délits boursiers et 21 autres pour des faits d’atteintes à la probité. Ces dernières années ont conduit à une augmentation significative de la charge liée à l’exécution des peines au PNF, en raison notamment du nombre élevé de dossiers jugés en matière de fraude à la TVA. Ces procédures ont conduit au prononcé de peines d’emprisonnement ferme au quantum parfois très élevé à l’encontre de nombreux mis en cause, dont certains se sont réfugiés à l’étranger, ce qui nécessite l’émission ou le renouvellement systématique de mandats d’arrêt européens, de notices rouges Interpol et de demandes d’extradition. Ainsi, au cours de l’année 2023, dix demandes d’extradition ont été émises par le PNF en coordination avec les autorités judiciaires étrangères concernées, le parquet général de Paris et le ministère de la Justice.
Référence : AJU014v3