Encadrement des loyers à Paris : la saga juridique continue

Les propriétaires viennent de remporter une victoire dans la bataille judiciaire qu’ils mènent pour contester l’encadrement des loyers à Paris. Le Conseil d’État vient de leur donner raison dans deux contentieux concernant les arrêtés de 2019 et 2020 fixant les montants de ces loyers.
Le 1er juillet 2019, le dispositif expérimental d’encadrement des loyers prévu à l’article 140 de la loi Elan (portant Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) du 23 novembre 2018 a été mis en place par la Ville de Paris.
Des loyers de référence
Ce dispositif permet de plafonner le montant des loyers des logements situés dans des zones tendues, lors d’une première mise en location ou du renouvellement du bail. Il a pour objectif d’agir sur les loyers excessifs et de contenir les hausses de loyers abusives pour préserver le pouvoir d’achat des Français et faciliter l’accès au logement. Chaque année, le préfet fixe par arrêté le loyer de référence, le loyer de référence majoré et le loyer de référence minoré, exprimés par un prix au m² de surface habitable. Ces loyers de référence sont déterminés en fonction du marché locatif observé par l’OLAP et déclinés par secteurs géographiques (regroupant un ou plusieurs communes ou quartiers et par catégories de logement (appartement/maison, nombre de pièces, nu/meublé et époque de construction du bâtiment).
La fronde des propriétaires
Pour l’Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI), ce dispositif « souffre de dysfonctionnements graves affectant les droits du propriétaire, pourtant garantis par la Constitution ». L’organisme dénonce notamment « l’application de plafonds de loyers calculés de façon non scientifique, opaque et donc très contestable ». L’UNPI conteste ainsi « la prise en compte des loyers déjà encadrés pour calculer les loyers médians à ne pas dépasser, tout comme le fait que le préfet actualise chaque année les plafonds de loyers sans tenir compte des indices de révision ». L’UNPI et les associations Chambre de la Fédération nationale des agents immobiliers (FNAIM) du Grand Paris, FNAIM et l’Union des syndicats de l’immobilier ont donc contesté la validité du dispositif d’encadrement des loyers devant le juge administratif en exerçant trois recours pour excès de pouvoir contre les trois arrêtés préfectoraux successifs fixant les loyers de référence pour la Ville de Paris, publiés de 2019 à 2021.
Le juge d’appel annule l’arrêté d’encadrement de 2019
Le tribunal administratif de Paris a constaté dans trois jugements, en date du 8 juillet 2022, la légalité des arrêtés d’encadrement des loyers de 2020 et 2021 et a annulé l’arrêté d’encadrement de 2019, au motif qu’il n’était pas démontré que l’Observatoire local des loyers (OLAP) avait constaté la structuration du marché locatif parisien avant que le préfet ne prenne cet arrêté. La cour administrative d’appel de Paris, saisie de ces recours, a conclu, quant à elle, à la régularité de l’arrêté d’encadrement des loyers de 2019, estimant satisfaisant le rapport de l’OLAP. Elle a également conclu à la régularité de l’arrêté d’encadrement des loyers de 2021. En revanche, elle a annulé l’arrêté d’encadrement des loyers de 2020, avec un effet différé. Celui-ci est considéré comme irrégulier car elle a constaté une irrégularité dans la composition du conseil d’administration de l’OLAP qui a réuni six membres dont quatre agents représentant le ministère chargé du Logement, un agent représentant le ministère de l’Économie et des Finances et un agent représentant l’Agence nationale de l’habitation au lieu des trois membres du collège pouvoirs publics et institutions prévus dans ses statuts. La composition du conseil d’administration étant entachée d’irrégularité, les décisions prises ce jour par ce même conseil sont toutes susceptibles d’être remises en question.
Le Conseil d’État confirme l’annulation du décret de 2020
Le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État le 4 décembre 2023 contre cette décision. Le Conseil d’État a rejeté ce pourvoi (CE, 22 octobre 2024, n° 489858). L’arrêté n°IDF-2020-06-03-001 du 3 juin 2020 fixait les loyers de référence, les loyers de référence majorés et les loyers de référence minorés dans la capitale pour la période du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 est donc définitivement annulé. « La procédure judiciaire évoquée ici met en évidence l’illégalité de l’encadrement des loyers à Paris en 2020. Elle marque aussi l’attachement des propriétaires à défendre de façon constante le droit de propriété, non seulement à Paris mais sur l’ensemble du territoire national », commente l’UNPI. Pour ce regroupement de propriétaires « dans un contexte général de crise du logement et d’attrition historique du marché locatif, le dispositif de l’encadrement des loyers contribue à décourager les propriétaires à mettre leur bien immobilier en location ». La bataille judiciaire remportée par l’UNPI est donc considérée comme « un signal encourageant » pour les propriétaires.
La cour administrative d’appel de Paris doit à nouveau se prononcer sur la légalité du décret de 2019
Dans un deuxième arrêt en date du 18 novembre 2024, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris qui avait conclu à la régularité l’arrêté préfectoral du 28 mai 2019 fixant les loyers de référence dans la capitale (CAA Paris, 2 octobre 2023, n° 22PA04136). Pour le Conseil d’État, la Cour a vérifié les différences entre les loyers médians calculés par l’arrêté, sans s’assurer de l’homogénéité des loyers pratiqués dans les zones délimitées pour l’encadrement. L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Paris. Ces différentes décisions sont susceptibles d’affaiblir l’application du dispositif d’encadrement des loyers, qui est loin de faire l’unanimité au sein des acteurs de l’immobilier, qui craignent qu’il agisse comme un frein à l’investissement locatif et contribue à l’assèchement du parc locatif privé. Du point de vue de ses défenseurs, cet outil permet de lutter efficacement contre la hausse des loyers au sein de la métropole. Une étude récente semble d’ailleurs donner raison à ces derniers. L’encadrement des loyers a eu un effet de modération de la hausse des loyers observés dans le parc privé parisien depuis juillet 2019, a en effet conclut une étude de l’APUR (L’Atelier Parisien d’Urbanisme). Entre le 1er juillet 2019 et le 30 juin 2023, l’encadrement des loyers à Paris a permis une baisse des loyers de -4,2 % par rapport à la situation sans encadrement. Cette baisse des loyers représente 64 euros par mois de dépense évitée pour les locataires en se basant sur un loyer moyen, soit 768 euros par an.
Référence : AJU016m3
