Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices : le point sur le programme de travail de l’OCDE
Afin de répondre aux défis soulevés par la numérisation de l’économie, une approche en deux volets est développée par l’OCDE, avec de nouvelles règles du lien et de répartition des bénéfices au titre du premier pilier, et la mise en place d’un mécanisme global de lutte contre l’érosion de la base d’imposition au titre du second pilier.
Le programme de travail adopté par le cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS en mai dernier et approuvé en juin 2019 prévoit l’élaboration de deux piliers visant à relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie tout en améliorant la sécurité juridique et la stabilité au sein du système fiscal international, au bénéfice de l’ensemble des pays et territoires du monde entier. Le Pilier 1 porte sur la répartition des droits d’imposition entre juridictions et étudie diverses propositions relatives à de nouvelles règles du lien et de répartition des bénéfices. Le Pilier 2, également appelé proposition GloBE, (proposition globale de lutte contre l’érosion de la base d’imposition), appelle à l’élaboration d’un ensemble de règles coordonnées pour répondre aux risques créés par les dispositifs permettant aux groupes d’EMN de transférer des bénéfices dans des pays où ils sont assujettis à un impôt nul ou très faible.
Le cadre des discussions
Concernant le Pilier 1, le programme de travail nécessite un consensus sur les contours d’une approche d’ici janvier 2020. Une proposition d’approche unifiée, qui repose sur les importants points communs entre les différentes propositions relatives au lien et à la répartition des bénéfices, a fait l’objet d’une consultation publique du 9 octobre au 12 novembre derniers. La proposition élaborée au titre du Pilier 2 a fait l’objet d’une consultation publique, achevée le 2 décembre dernier. Le groupe de pilotage du cadre inclusif se réunira régulièrement jusqu’en janvier 2020 dans l’objectif de parvenir à une solution plus détaillée, fondée sur un consensus au titre du Pilier 1 qui pourra aboutir à un accord politique d’ici la fin du premier semestre 2020. Les principaux paramètres à définir au titre du Pilier 2 font également l’objet d’un examen et de discussions sur le plan technique et dans l’idéal, certaines des principales composantes du Pilier 2 pourraient être arrêtées d’ici la prochaine réunion du cadre inclusif en janvier 2020, un accord politique sur l’architecture du Pilier 2 étant également attendu au premier semestre 2020.
Un processus décisionnel inclusif
L’accord à venir sur ces propositions sera le résultat d’un accord politique qui bénéficiera du soutien de l’ensemble des pays membres du cadre inclusif. Le cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20 rassemble plus de 125 pays et juridictions qui collaborent à la mise en œuvre des mesures issues du projet BEPS. Plus de 80 pays en développement ainsi que d’autres économies ne faisant partie ni de l’OCDE ni du G20 coopèrent pour répondre aux défis liés à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices. Les membres du cadre inclusif viennent du monde entier, et environ 70 % d’entre eux sont issus de pays non-membres de l’OCDE et non-membres du G20 et de toutes les zones géographiques. Tous les pays, petits ou grands, développés ou en développement, ont la même voix au chapitre sur les travaux en cours pour relever les défis soulevés par la numérisation de l’économie. De plus, les organisations internationales peuvent intervenir en qualité d’observateurs au sein du cadre inclusif, et les organisations fiscales régionales comme le Forum sur l’administration fiscale africaine (ATAF) et le Centre interaméricain des administrations fiscales (CIAT) sont également représentées. Les contributions de la communauté des affaires et de la société civile sont également sollicitées.
Champ d’application des propositions
Pour le Pilier 1, le champ d’application de l’approche serait limité aux grandes entreprises qui interagissent à distance avec les utilisateurs dans les juridictions du marché, même lorsqu’elles ne sont pas, ou peu, présentes physiquement sur le territoire de ladite juridiction. La proposition s’appliquerait également à d’autres entreprises qui commercialisent leurs produits auprès des consommateurs, et qui peuvent recourir aux technologies numériques pour développer une base de consommateurs en n’ayant qu’une présence physique limitée, voire aucune, dans la juridiction où résident ces consommateurs. Certains secteurs d’activité pourraient, selon la logique qui sous-tend la politique adoptée, être exclus du champ d’application de l’approche pour des raisons pratiques. En outre, un seuil de chiffre d’affaires serait probablement défini, ce qui signifie que seules les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse ce seuil de 750 millions d’euros, par exemple, en reprenant le seuil de chiffre d’affaires applicable aux fins de la déclaration pays par pays, seraient considérées comme entrant dans le champ d’application de cette proposition. De la même façon, la portée de la proposition GloBE ne se limiterait pas aux seules entreprises à forte composante numérique. Centrée sur les questions de BEPS qui subsistent, cette proposition présente une solution pour que les entreprises qui exercent leur activité à l’international s’acquittent systématiquement d’un impôt minimum. Ce faisant, elle contribue à apporter une solution aux problématiques de BEPS non résolues liées à la numérisation de l’économie, dès lors que les entreprises du numérique sont souvent particulièrement bien placées pour recourir à des structures d’optimisation via un transfert des bénéfices du fait de l’importance relative des actifs incorporels dans la génération de bénéfices. Le programme de travail demande d’analyser l’utilisation possible d’exceptions ainsi que de seuils et d’exclusions visant à restreindre le champ d’application de la proposition GloBE.
Pilier 1 : la nouvelle notion de lien
En vertu des règles fiscales internationales actuellement en vigueur, l’existence d’un lien entre une entreprise et une juridiction implique que l’entreprise établisse une relation économique suffisamment étroite avec la juridiction pour pouvoir être imposée par celle-ci. Cela signifie habituellement que l’entreprise en question est physiquement présente, sous une forme ou sous une autre, sur le territoire de la juridiction. Néanmoins, la transformation numérique rend ce concept plus difficilement applicable parce qu’il est de plus en plus facile pour les entreprises de traiter à distance avec leurs clients. Ceci est particulièrement vrai pour ce qui est des ventes à distance opérées par les entreprises à forte composante numérique. La nouvelle règle du lien, qui s’appliquerait dès lors qu’une entreprise participe de façon significative et soutenue à l’économie d’une juridiction du marché, par exemple par l’interaction et l’engagement des consommateurs, quel que soit le niveau de présence physique de l’entreprise dans cette juridiction, permettrait de résoudre ce problème. Un seuil de chiffre d’affaires pourrait être utilisé comme principal indicateur d’une participation significative et soutenue à l’économie d’une juridiction. Il est important de noter que ce nouveau lien serait introduit au moyen d’une règle autonome, qui viendrait s’ajouter à celle applicable aux établissements stables, afin de limiter les répercussions involontaires sur d’autres règles existantes.
Approche unifiée
La proposition d’une approche unifiée au titre du Pilier 1 serait centrée sur les entreprises en relation étroite avec les consommateurs, et couvrirait à ce titre les modèles d’affaires à forte composante numérique et d’autres modèles d’affaires très rentables fondés sur les interactions avec les clients. Cette proposition repose sur de nouveaux critères du lien, distincts et dissociés du concept existant d’établissement stable, ce qui permettrait d’imposer une entreprise dans une juridiction où ses ventes dépassent un certain seuil même si elle n’est pas physiquement présente sur ce marché. L’approche proposée vise à réattribuer aux juridictions du marché une fraction du bénéfice résiduel présumé, c’est-à-dire du bénéfice dépassant un certain seuil, calculé à partir d’une formule et en s’appuyant sur les états financiers consolidés de l’entreprise. Elle propose également d’attribuer une rémunération fixe au titre des activités dites de distribution, afin de simplifier et d’améliorer l’application concrète des règles fiscales internationales actuelles. Enfin, elle part du principe que l’approche fondée sur les faits et circonstances actuellement applicable en vertu du principe de pleine concurrence continuerait de s’appliquer dans la juridiction du marché de l’utilisateur, mais que la mise en place de mécanismes efficaces de prévention et de règlement des différends, ayant valeur contraignante entre les juridictions serait nécessaire afin de limiter les différends et d’améliorer la sécurité juridique en matière fiscale. En définitive, l’approche unifiée fournit un ensemble de mesures visant à réattribuer dans certaines circonstances les droits d’imposition aux juridictions du marché en contrepartie d’un renforcement de la sécurité juridique en matière fiscale.
Une nouvelle approche de la répartition des bénéfices
L’approche proposée, dans le cadre du Pilier 1, nécessite la mise en place de nouvelles règles de répartition des bénéfices, dans la mesure où il est impossible d’utiliser les règles existantes pour attribuer des bénéfices au titre du nouveau lien tel qu’il est désormais conceptualisé. Ces nouvelles règles de répartition des bénéfices iraient au-delà de deux principes généralement considérés comme fondamentaux dans les règles actuelles, à savoir le principe de pleine concurrence et la détermination des droits d’imposition fondée sur la présence physique. Les nouvelles règles permettraient d’imposer à un niveau approprié des activités commerciales dans une juridiction du marché, sans remettre en cause l’application des règles actuelles de détermination des prix de transfert dans les cas où celles-ci fonctionnent relativement bien dans cette juridiction du marché. Ces nouvelles règles devront être compatibles avec celles existantes et devront s’appliquer efficacement tant aux bénéfices qu’aux pertes.
La proposition GLoBE
La proposition GloBE entend apporter une réponse aux problématiques de BEPS non résolues qui sont liées à la numérisation de l’économie, mais elle va plus loin encore en abordant ces problématiques sous un angle plus large. Elle devrait influer sur le comportement des contribuables comme sur celui des juridictions. Elle postule qu’une action mondiale est nécessaire pour empêcher une course au moins-disant dans le domaine de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, qui risquerait de transférer la charge de l’impôt vers des bases moins mobiles et de pénaliser lourdement les pays en développement dotés d’une économie de petite taille. Selon la façon dont elle est conçue, la proposition GloBE pourrait protéger les pays en développement des pressions qu’ils subissent pour octroyer des incitations fiscales inefficaces. Elle repose sur l’hypothèse selon laquelle, en l’absence d’action coordonnée et multilatérale, il existe un risque d’action unilatérale et non coordonnée, à la fois pour attirer une base d’imposition supplémentaire et pour protéger celle existante, avec des conséquences préjudiciables à l’ensemble des juridictions.
Plusieurs options sont envisagées concernant l’élaboration d’un ensemble de règles coordonnées :
– une règle d’inclusion du revenu visant à imposer le revenu des succursales étrangères ou des entités contrôlées, dès lors que l’un des taux effectif d’imposition auquel celui-ci a été soumis est inférieur à un taux minimum ;
– une règle relative aux paiements insuffisamment imposés, qui refuserait toute déduction ou qui appliquerait l’imposition dans le pays de la source, retenue à la source comprise, au titre d’un paiement à une partie liée si ce paiement n’a pas été soumis à un taux effectif d’imposition supérieur ou égal à un taux minimum ;
– une règle de substitution à insérer dans les conventions fiscales qui permettrait à une juridiction de résidence de basculer de la méthode de l’exemption vers celle du crédit d’impôt si les bénéfices attribuables à un établissement stable (ES) ou provenant d’un bien immobilier, qui ne fait pas partie d’un établissement stable, sont imposés à un taux effectif inférieur au taux minimum ;
– une règle d’assujettissement à l’impôt qui compléterait la règle relative aux paiements insuffisamment imposés en soumettant un paiement à une retenue d’impôt ou à d’autres prélèvements à la source et en refusant les avantages prévus par les conventions à certains éléments de revenu lorsque le paiement n’est pas imposé à un taux minimum.
La mise en œuvre de ces règles supposerait de modifier la législation interne des pays ainsi que les conventions fiscales, et serait assortie d’un mécanisme visant à coordonner les règles ou à en définir l’ordre d’application, afin d’éviter le risque de double imposition qui pourrait autrement survenir dans l’hypothèse où plusieurs juridictions tenteraient de les appliquer à la même structure ou au même dispositif. Le programme de travail pour le Pilier 2 précise que l’approche proposée au titre de la proposition GloBE fonctionnera comme un impôt supplémentaire à concurrence d’un taux minimum fixé. La question du taux d’imposition effectif à appliquer sera examinée une fois que les autres éléments conceptuels-clés de la proposition auront été pleinement définis. Le programme de travail énumère en outre les principaux choix de conception qui devront être arrêtés dans le cadre de la proposition GloBE tels que la détermination de la base d’imposition, la mesure dans laquelle les règles permettront d’agréger des revenus et les questions relatives à la nécessité d’exceptions et de seuils et à leur conception. Le programme de travail demande en outre au cadre inclusif de se pencher sur les problématiques de coordination des règles et les liens entre la proposition GloBE et les autres règles fiscales nationales et internationales pour faire en sorte que la proposition n’entraîne pas de risque de double imposition, réduise les coûts de mise en conformité et la charge administrative et que les règles adoptées soient ciblées et proportionnées.
Plusieurs aspects techniques et conceptuels de la proposition GloBE dépendent de choix politiques qui doivent être effectués au sein du cadre inclusif. Par exemple, les mécanismes et le fonctionnement de la règle relative aux paiements insuffisamment imposés ainsi que la nature et le champ d’application de la règle d’assujettissement à l’impôt nécessitent des travaux plus approfondis par le cadre inclusif afin de donner une définition plus claire de ces règles, qui pourraient ultérieurement bénéficier de consultations ultérieures.