Exit tax et exercice d’une activité indépendante en Suisse

Publié le 26/07/2018

Le juge administratif rend un nouvel arrêt sur le dispositif d’exit tax dans le cas d’un contribuable qui a transféré son domicile fiscal en Suisse.

Le Conseil d’État vient de se prononcer (CE, 8e ch., 25 mai 2018, n° 378008, Picart) sur le cas d’un contribuable français, Monsieur P., fondateur et dirigeant du groupe Buffalo Grill, qui a transféré son domicile en Suisse le 7 juin 2002 et est devenu résident de cet État. À la date de ce transfert, il détenait des participations substantielles dans le capital social de plusieurs sociétés françaises. Lors de ce transfert, il a déclaré, conformément à l’article 167 bis du CGI, une plus-value latente sur les titres de ces participations et, afin de bénéficier d’un sursis de paiement de l’imposition y afférente, a désigné un représentant fiscal en France et a fourni une caution bancaire à titre de garantie, pour assurer le recouvrement de la créance du Trésor français. En 2005, il a cédé les titres en question, mettant ainsi fin au sursis de paiement de ladite imposition. Précisons que cette affaire avait déjà donné lieu à un premier arrêt du Conseil d’État qui avait conclu que l’exit tax, dans son ancienne version, était compatible avec le droit des institutions communautaires et les stipulations de la convention franco-suisse (CE, 29 avr. 2013, n° 357576, Picart).

Mécanisme de l’exit tax

L’affaire renvoyait à l’ancien dispositif d’exit tax mis en place en France de 1998 à 2004. Le transfert de domicile fiscal hors de France donnait alors lieu à l’imposition des plus-values en report d’imposition et des plus-values latentes afférentes à des participations supérieures à 25 %. En effet, aux termes de l’article 167 bis du Code général des impôts (CGI), dans sa rédaction en vigueur à la date des impositions en litige, les contribuables fiscalement domiciliés en France pendant au moins six années au cours des dix dernières années étaient imposables, à la date du transfert de leur domicile hors de France, au titre des plus-values constatées sur les droits sociaux mentionnés à l’article 150-0 A du CGI et détenus dans les conditions du f de l’article 164 B. Le paiement de l’impôt afférent à la plus-value constatée pouvait être différé jusqu’au moment où s’opérerait la transmission, le rachat, le remboursement ou l’annulation des droits sociaux concernés. L’impôt acquitté localement par le contribuable et afférent à la plus-value effectivement réalisée hors de France était imputable sur l’impôt sur le revenu établi en France à condition d’être comparable à cet impôt. À l’expiration d’un délai de cinq ans suivant la date du départ ou à la date à laquelle le contribuable transférait de nouveau son domicile en France si cet événement était antérieur, l’impôt établi en application du I était dégrevé d’office en tant qu’il se rapportait à des plus-values afférentes aux droits sociaux qui, à cette date, demeuraient dans le patrimoine du contribuable. Ce dispositif d’exit tax a été abrogé au 1er janvier 2005 par la loi de finances pour 2005 en raison de son incompatibilité avec le droit communautaire. Le 11 mars 2004, la CJUE, dans le cadre d’une question préjudicielle posée par le Conseil d’État, a en effet jugé que le principe communautaire de la liberté d’établissement s’opposait à ce qu’un État membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values non encore réalisées, tel que celui prévu à l’article 167 bis du CGI, en cas de transfert du domicile fiscal d’un contribuable hors de cet État (CJUE, 11 mars 2004, n° C-9/02, Lasteyrie du Saillant). La Cour a notamment sanctionné l’obligation de constituer des garanties afin d’obtenir un sursis d’imposition.

Le législateur a récemment réactivé ce mécanisme qui est désormais codifié à l’article 167 bis du CGI. Afin de se conformer au droit communautaire, la France a pris soin de mettre en place un sursis automatique, donc sans garantie, à présenter à Bercy, lorsque le transfert s’effectue vers un État de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen, à l’exception du Liechtenstein. Dans les autres cas, le sursis de paiement doit être demandé expressément et est subordonné à la nomination d’un représentant fiscal et à la constitution de garanties. En outre, la constitution de garantie n’est pas exigée si des raisons professionnelles gouvernent le départ à l’étranger.

Un redressement fiscal

À la suite d’un examen de la situation fiscale personnelle du contribuable, l’administration fiscale française a réévalué le montant de la plus-value déclarée et a mis à sa charge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties de pénalités. Le contribuable a déposé une réclamation afin d’obtenir la décharge de ces cotisations supplémentaires et de ces pénalités. L’administration fiscale ayant rejeté cette réclamation, il a saisi le tribunal administratif de Montreuil. Il lui a demandé de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2002 et des pénalités correspondantes. Il a soutenu, sans succès, que l’article 167 bis du CGI était incompatible avec l’Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP) en ce que la liberté d’établissement garantie par cet accord lui permettait d’être établi en Suisse et d’y exercer une activité économique en tant qu’indépendant, consistant en la gestion de ses diverses participations directes ou indirectes dans plusieurs sociétés qu’il contrôlait en France. Le tribunal administratif a rejeté sa demande en 2011 (TA Montreuil, 10 mars 2011, n° 0907034). La cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé contre ce jugement (CAA Versailles, 6 févr. 2014, n° 11VE01848). Le contribuable s’est donc pourvu en cassation devant le Conseil d’État.

Une question préjudicielle

Le requérant fondait son recours en cassation sur la réglementation relative à l’exit tax prévue par l’article 167 bis du CGI, dans sa rédaction en vigueur en 2002, qui vise les cas dans lesquels une personne physique transfère sa résidence d’un État vers un autre État partie audit accord, tout en maintenant son activité économique dans le premier de ces deux États, sans effectuer chaque jour, ou au moins une fois par semaine, un trajet du lieu de son activité économique à celui de sa résidence. Alors que ce texte prévoit l’imposition immédiate des plus-values latentes afférentes à des participations substantielles que cette personne détient dans le capital de sociétés relevant du droit du premier desdits États à l’occasion de ce transfert de résidence et n’admet le recouvrement différé de l’impôt dû qu’à la condition que soient constituées des garanties propres à assurer le recouvrement dudit impôt, l’article précise en revanche qu’une personne qui détient également de telles participations, mais qui continue de résider sur le territoire du premier de ces mêmes États n’est imposée qu’au moment de la cession de ces participations.

Cette différence de traitement est-elle contraire au droit de l’Union européenne ? Face aux arguments présentés par le requérant, le Conseil d’État a choisi de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 23 juin 2016) afin de déterminer si le droit d’établissement en tant qu’indépendant, tel qu’il est défini par les articles 1 et 4 de l’accord du 21 juin 1999 et par l’article 12 de son annexe I, peut être regardé comme équivalent à la liberté d’établissement garantie aux personnes ayant une activité non salariée par les traités (article 43 du Traité instituant la Communauté européenne devenu l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Dans cette hypothèse, compte tenu des stipulations de l’article 16 de l’accord, y a-t-il lieu d’appliquer la jurisprudence (CJUE, 7 sept. 2006, n° C-470/04) postérieure à cet accord, dans l’hypothèse d’un ressortissant d’un État membre ayant transféré son domicile en Suisse qui se borne à conserver les participations qu’il détenait dans des sociétés relevant du droit de cet État membre, lesquelles lui confèrent une influence certaine sur les décisions de ces sociétés et lui permettent d’en déterminer les activités, sans soutenir envisager d’exercer en Suisse une activité indépendante différente de celle qu’il exerçait dans l’État membre dont il était le ressortissant et consistant en la gestion de ces participations ? Cet arrêt concerne un ressortissant des Pays-Bas ayant transféré son domicile de cet État au Royaume-Uni et qui était, au moment de ce transfert, l’actionnaire unique de trois sociétés à responsabilité limitée de droit néerlandais. La CJUE a jugé que, peut se prévaloir de l’article 43 du Traité instituant la Communauté européenne, un ressortissant communautaire qui réside, depuis le transfert de son domicile, dans un État membre et qui détient la totalité des actions de sociétés établies dans un autre État membre. Elle a également jugé que cet article doit être interprété en ce sens que, en cas de transfert du domicile d’un contribuable hors de cet État membre, il s’oppose à ce qu’un État membre institue un régime d’imposition des plus-values qui conditionne l’octroi du sursis de paiement de cet impôt à la constitution de garanties et qui ne tient pas entièrement compte des moins-values susceptibles de se produire ultérieurement au transfert de domicile de l’intéressé et non prises en compte par l’État membre d’accueil. Enfin, interroge encore le Conseil d’État, dans l’hypothèse où ce droit ne serait pas équivalent à la liberté d’établissement, doit-il être interprété de la même manière que la Cour de justice de l’Union européenne l’a fait pour la liberté d’établissement dans le cadre de cette jurisprudence ?

La CJUE a répondu par la négative à cette question préjudicielle (CJUE, 15 mars 2018, n° C-355/16, Christian Picard c/ Ministre des Finances et des Comptes publics). Pour la Cour, dès lors qu’une situation, telle que celle du contribuable, ne relève pas du champ d’application ratione personae de la notion d’indépendants au sens de l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse sur la libre circulation des personnes, d’autre part, signé à Luxembourg le 21 juin 1999 (ALCP), les stipulations de cet accord doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une législation d’un État partie à cet accord. La CJUE a également rappelé que, la Confédération suisse n’ayant pas adhéré au marché intérieur de l’Union, l’interprétation donnée des dispositions du droit de l’Union relatives à ce marché, notamment celles relatives à la liberté d’établissement, ne peut être automatiquement transposée à l’interprétation de l’ALCP, sauf dispositions expresses à cet effet prévues par cet accord lui-même. Elle a ensuite relevé que l’ALCP ne prévoyait pas de telles dispositions expresses et ajouté que ni le libellé ni la portée de l’article 43 du Traité instituant la Communauté européenne ne pouvaient être assimilés à ceux des dispositions pertinentes de l’ALCP.

La position du Conseil d’État

Le Conseil d’État, conformément à l’arrêt de la CJUE, a considéré que la cour administrative d’appel n’a pas commis une erreur de droit en jugeant que le contribuable ne pouvait, dès lors que le principe communautaire de la liberté d’établissement n’a pas été rendu applicable aux relations entre la France et la Suisse, utilement se prévaloir de ce que l’article 167 bis du CGI méconnaîtrait ce principe. De même, elle a suffisamment motivé son arrêt et n’a pas commis une erreur de droit en restreignant la portée de l’accord du 21 juin 1999 sans se prononcer expressément sur ses conséquences sur la liberté d’établissement. Elle n’a pas non plus commis une erreur de droit en jugeant que la gestion de ses participations par M. A. ne constituait pas une activité économique au sens de l’article 1 de l’accord du 21 juin 1999. En outre, précise le Conseil d’État, contrairement à ce qui est soutenu par le requérant, la juridiction d’appel n’a pas omis de répondre au moyen soulevé par le requérant, tiré de ce que l’administration aurait dû, afin de pondérer les effets de la hausse conjoncturelle du montant des titres en litige dans la période précédant son départ de France, étendre à six mois la période de référence retenue pour procéder à leur évaluation.

La question des cotisations sociales

Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France, au sens de l’article 4 B du CGI, sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l’établissement de l’impôt sur le revenu des plus-values soumis à cet impôt à un taux proportionnel (art. L. 136-6 du Code de la sécurité sociale et article 1600-0 C du CGI, dans leur rédaction applicable aux impositions en litige). Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France, au sens de l’article 4 B du CGI, sont assujetties à un prélèvement sur les revenus et les sommes visés à l’article 1600-0 C, en vertu de l’article 1600-0 F bis du CGI. Et les personnes physiques désignées à l’article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale sont assujetties à une contribution perçue à compter de 1996 et assise sur les revenus du patrimoine définis au I de l’article L. 136-6 de ce code. La cour administrative d’appel a jugé que les dispositions mentionnées ci-dessus relatives aux contributions sociales étaient applicables aux plus-values latentes réalisées par le contribuable. Conformément à l’arrêt de la CJUE, la juridiction d’appel en confirmant l’application de cette réglementation n’a pas commis d’erreur de droit. En effet, le moyen soulevé par le requérant tiré de ce que la cour aurait, en jugeant ainsi, entaché son arrêt d’erreur de droit dès lors que ces dispositions relatives aux contributions sociales ne pourraient recevoir application en conséquence de l’inapplicabilité de l’article 167 bis du CGI, ne pouvait prospérer. En outre, l’ensemble des dispositions en cause dans leur rédaction en vigueur en 2002, qui n’établissent aucune distinction entre les plus-values constatées et les plus-values effectivement réalisées, s’applique en conséquence aux plus-values mentionnées à l’article 167 bis du CGI. Par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en regardant comme sans incidence la circonstance que les dispositions de l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale, depuis leur modification par la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, prévoient expressément qu’elles s’appliquent aux plus-values mentionnées au I de l’article 167 bis du CGI, dans sa nouvelle rédaction résultant de la même loi. En outre, les instructions administratives 5 L-4-97 et 5 L-6-97 du 26 mai 1997 relatives, respectivement, à la contribution au remboursement de la dette sociale et à la CSG, reprises dans les documentations administratives de base 5 B 3233 et 5 B 3234 du 23 juin 2000, se bornent à rappeler la teneur de la loi fiscale sans y ajouter et ne comportent ainsi aucune interprétation formelle de cette loi, en ce qui concerne son application aux plus-values mentionnées à l’article 167 bis du CGI. Dès lors, le contribuable n’était pas fondé à s’en prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 A du LPF. Ce motif, qui n’appelle l’appréciation d’aucune circonstance de fait, doit être substitué à celui retenu par l’arrêt, dont il justifie légalement le dispositif en ce qui concerne l’assujettissement à la contribution sociale généralisée et à la contribution au remboursement de la dette sociale.

LPA 26 Juil. 2018, n° 137r9, p.4

Référence : LPA 26 Juil. 2018, n° 137r9, p.4

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