Faciliter la transmission d’entreprise grâce à une fiscalité plus généreuse
L’abattement applicable aux cessions et aux donations d’entreprises a été relevé de 300 000 à 500 000 €. Avec le dispositif Dutreil, cet abattement contribue à créer un environnement réglementaire favorable à la transmission des entreprises familiales et à leur transformation en ETI.
En France, la transmission d’entreprise constitue un enjeu capital. Notre pays a en effet besoin que ses petites et moyennes entreprises (PME) se développent pour devenir des entreprises de taille intermédiaire (ETI), un maillon essentiel à la performance économique du pays, à l’emploi et au redressement de la balance commerciale.
Renforcer le tissu entrepreneurial français
Or, il faut, en moyenne, 21 ans pour qu’une entreprise puisse devenir une ETI, souligne un récent rapport d’information sur la transmission d’entreprise (Sénat, Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires, Rapport d’information n° 33 de MM. Michel CANÉVET, Rémi CARDON et Olivier RIETMANN, déposé le 7 octobre 2022). Rappelons à cet égard que la France part avec un handicap. L’Allemagne compte le double de PME par rapport à la France. Et elle peut s’enorgueillir de dénombrer 13 300 ETI alors que la France n’en compte que 5 500. En Suède, 70 % des entreprises familiales se transmettent, contre 20 % en France, soulignel’étude KPMG pour le Mouvement des entreprises de taille intermédiaires (le METI), « ETI, la relève », réalisée en 2023. Or le sujet de la transmission d’entreprise est d’autant plus stratégique que les entreprises familiales jouent un rôle essentiel dans l’économie nationale, représentant plus de 50 % de l’emploi et du chiffre d’affaires en France. À titre d’exemple, en France, 54, 1 % des entreprises cotées sont des entreprises familiales. Le maintien de ces entreprises dans les territoires est essentiel car il garantit la vitalité économique et l’emploi. Faute de repreneur, un départ à la retraite peut déboucher sur la perte des savoir-faire, des brevets, des emplois, de notre compétitivité et, selon les secteurs, de notre souveraineté économique.
Davantage d’entreprises familiales à transmettre dans les prochaines années
D’après la huitième édition du Baromètre européen des entreprises familiales KPMG/European Family Businesses (EFB) la succession va constituer un sujet primordial pour les entreprises familiales européennes. On estime en effet que 13, 9 trillions d’euros vont être transférés dans le monde d’ici 2030, dont 2,9 trillions en Europe. L’exemple de la France en est, à cet égard, une bonne illustration. Les dirigeants d’entreprises familiales y sont âgés. D’après le récent rapport d’information sur la transmission d’entreprise remis au Sénat en octobre 2022, 25 % des dirigeants ont plus de 60 ans et 11 % ont plus de 66 ans. Les transmissions d’entreprises familiales comme les cessions d’entreprises familiales risquent fort de se multiplier dans les prochaines années. L’estimation du nombre d’entreprises à céder dans les 10 prochaines années atteint jusqu’à 700 000 entreprises familiales. Et une ETI sur deux sera cédée dans les 20 prochaines années d’après l’étude KPMG/ le METI, « ETI, la relève », réalisée en 2023. Faute de repreneurs, les départs à la retraite de ces dirigeants déboucheront sur la disparition de leur entreprise.
La difficulté à identifier un futur dirigeant au sein du cercle familial
35 % des dirigeants européens d’entreprises familiales affirment d’ailleurs qu’ils envisagent de transmettre leur entreprise à leur succession, d’après la huitième édition du Baromètre européen des entreprises familiales KPMG/European Family Businesses (EFB). Cependant, cette transmission est peu aisée, notamment lorsqu’il s’agit d’identifier et de préparer un futur dirigeant au sein du cercle familial. Ainsi, alors que 84 % des dirigeants européens interrogés affirment que le président ou le CEO de leur entreprise est issu de la famille fondatrice, ils ne sont plus que 62 % à penser qu’un membre de cette même famille continuera d’occuper cette fonction dans les années à venir. Pourtant d’après l’enquête Global NextGen Survey 2019 de PWC, 70 % des héritiers se disent profondément attachés à l’entreprise familiale. Et ils sont 41 % à aspirer y avoir des fonctions de direction et un tiers à en devenir l’actionnaire majoritaire. Près de la moitié d’entre eux (48 %) indique qu’ils ont déjà géré des opérations internes importantes. Un quart (26 %) occupe déjà un poste de directeur exécutif. Pourtant, ils se disent freinés et frustrés par un manque d’opportunité. Précisons en outre que si la volonté de pérenniser l’entreprise est le principal moteur des repreneurs comme de futurs cédants de l’entreprise familiale, le renouvellement de projet d’entreprise s’avère également stratégique pour les repreneurs comme pour les cédants, souligne l’étude KPMG/ le METI, « ETI, la relève », de 2023.
Des freins financiers et fiscaux persistants
En outre, la transmission d’une entreprise familiale dans le cadre d’une succession continue à ne pas être perçue comme chose aisée, notamment en France. Pour 45 % des dirigeants français d’entreprises familiales, il est difficile de financer sa succession (+19 points par rapport à la moyenne européenne), souligne la huitième édition du Baromètre européen des entreprises familiales KPMG/European Family Businesses (EFB). Les dirigeants français sont tout aussi nombreux à penser qu’il est difficile de motiver son successeur (47 %), une tendance qui se place, là aussi, largement au-dessus de la moyenne européenne (+18 pts). La fiscalité constitue également un frein à la transmission de l’entreprise familiale. En effet, en l’absence de toute planification, la transmission du groupe familial aux héritiers est soumise aux droits de mutation à titre gratuit, lesquels peuvent atteindre 45 % en ligne directe. Et seul un dirigeant sur trois considère que l’environnement juridique et fiscal dans son ensemble est favorable aux transmissions en France, note l’étude KPMG/ le METI, « ETI, la relève », de 2023.
Le pacte Dutreil, un outil fiscal au service de la transmission d’entreprises
Le pacte Dutreil, créé en 2003 est un dispositif fiscal qui permet de bénéficier, sous certaines conditions, d’une exonération des droits de successions ou de donation à hauteur des trois-quarts, soit 75 %, de la valeur des titres ou de l’entreprise, afin d’alléger cette fiscalité et de faciliter la transmission d’entreprise. Réservé aux seules sociétés opérationnelles, c’est-à-dire exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale à l’exclusion des sociétés patrimoniales, il nécessite que le donateur ou le défunt ait pris un engagement unilatéral ou collectif avec les autres associés de conservation d’une durée minimale de 2 ans en cours au jour de la transmission portant sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote des sociétés non cotées. Les donataires, légataires ou héritiers de l’entreprise doivent, quant à eux, s’engager à poursuivre cet engagement de conservation et s’engager individuellement à conserver les titres pendant 4 ans à compter de la fin de l’engagement pris par l’auteur de la transmission. Pendant toute la durée de l’engagement collectif de conservation, un signataire doit exercer une fonction de direction ou son activité principale et après la transmission de l’entreprise familiale, sa direction doit être assurée par un signataire de l’engagement collectif ou un donataire ou un héritier pendant une durée d’au moins 3 ans.
Les limites du pacte Dutreil
90 % des transmissions d’ETI se font dans le cadre du pacte Dutreil souligne l’étude KPMG/ le METI, « ETI, la relève », de 2023. Cependant, d’après un sondage CCI France/Opinion Way de septembre 2022, réalisé sur un panel composé de chefs d’entreprise, le dispositif Dutreil reste mal connu. Seuls 8 % des répondants identifient bien ce dispositif et son contenu. 82 % des chefs d’entreprises interrogés ne le connaissent pas. Pour ceux qui l’utilisent, l’outil est salué pour les conditions favorables qu’il offre à une transmission familiale de l’entreprise. Cependant, il induit un processus souvent long et nécessite une préparation importante. Sa complexité organisationnelle, administrative est génératrice d’insécurité pour les dirigeants et leur entreprise (étude KPMG/ le METI, « ETI, la relève », de 2023). Le formalisme et la lourdeur des procédures sont également pointés du doigt. Les dirigeants soulignent également le manque de lisibilité du dispositif Dutreil, notamment le flou juridique et qui entoure la notion de holding animatrice et qui peut nécessiter une adaptation de la gouvernance, en particulier pour formaliser le caractère animateur de la holding par le biais de comptes rendus formels, relevés de décisions. Les règles de détentions des titres sont également jugées limitantes voire bloquantes, pour l’ouverture du capital aux cadres de l’entreprise. En outre, malgré l’abattement fiscal auquel les bénéficiaires sont éligibles grâce au dispositif Dutreil, 60 % des dirigeants estiment que le coût de la transmission est élevé (étude KPMG/ le METI, « ETI, la relève », de 2023). 75 % ont dû générer un revenu exceptionnel (complément de rémunération, dividende) pour financer cette opération. Or souligne encore l’étude KPMG/ le METI, « ETI, la relève », de 2023, les sommes ainsi mobilisées pour permettre la transmission, aurait pu, si celle-ci avait eu un coût moindre, financer l’investissement, l’innovation, l’emploi.
Un nouvel abattement de 500 000 euros pour faciliter la transmission d’entreprise
Afin de faciliter les transmissions d’entreprises, l’abattement sur les transmissions d’entreprises à titre onéreux a été relevé de 300 000 euros à 500 000 euros (CGI, art. 732 TER) dans le cadre de l’article 22 de la loi de finances pour 2024. Bercy a récemment commenté au BOFiP ce relèvement du seuil de l’abattement sur les transmissions d’entreprise (BOI-ENR-DMTOM-10-20-20). Il s’applique aux rachats en pleine propriété d’entreprises par leurs salariés et les membres du cercle familial proche du cédant qui s’engagent à poursuivre leur activité professionnelle dans l’entreprise pendant cinq ans. Sauf structure de type unipersonnel, l’acquéreur ne peut donc pas être une personne morale. Le cas échéant, la cession peut être réalisée au profit de plusieurs acquéreurs. Les activités d’ordre purement patrimonial ou civil sont exclues du dispositif. En revanche, les holdings animatrices y sont éligibles. Les biens ou droits sociaux cédés doivent être détenus depuis plus de deux ans par le cédant si ce dernier les avait acquis à titre onéreux. En outre, la transmission doit s’opérer au profit des proches du cédant c’est-à-dire son conjoint, son partenaire de pacs, ses ascendants ou descendants en ligne directe, frères ou sœurs ou de ses salariés, dans la mesure où ils sont titulaires d’un CDI depuis deux ans dans l’entreprise au moins ou d’un contrat d’apprentissage et exercer leurs fonctions à temps plein. Les acquéreurs doivent poursuivre l’exploitation de l’entreprise de manière effective et continue pendant cette période de cinq années et l’un d’eux doit assurer la direction effective de l’entreprise pendant cette période. Il n’est pour autant pas exigé le maintien de la même activité pendant cette période. Le dispositif ne peut s’appliquer qu’une seule fois entre un même cédant et un même acquéreur. Lorsque la valeur du fonds cédé directement ou compris dans la valeur des titres est inférieure à cet abattement, le reliquat d’abattement ne peut être utilisé ultérieurement à l’occasion d’une autre cession entre les mêmes personnes. Les autres actifs de l’entreprise ou de la société éventuellement transmis de façon concomitante demeurent soumis aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dans les conditions de droit commun. L’acte de cession doit alors nécessairement comporter une ventilation des différents éléments cédés.
Et pour les mutations à titre gratuit ?
Pour la liquidation des droits de mutation à titre gratuit, en cas de donation en pleine propriété de fonds artisanaux, de fonds de commerce, de fonds agricoles ou de clientèles d’une entreprise individuelle ou de parts ou actions d’une société, l’abattement pratiqué sur la valeur du fonds ou de la clientèle ou sur la fraction de la valeur des titres représentatifs du fonds ou de la clientèle (CGI, art. 790 A) a également été porté de 300 000 euros à 500 000 euros dans de cadre de la loi de finances pour 2024. Les conditions d’éligibilité sont similaires à celles décrites plus hauts. Seule différence notable, cet abattement est réservé aux seuls salariés de l’entreprise cédée dans la mesure où les proches du cédant sont déjà éligibles au dispositif du pacte Dutreil.
Référence : AJU014o4