Fin de partie pour la fraude « CumCum »

La loi de finances pour 2025 met en place un dispositif de lutte contre l’arbitrage frauduleux aux dividendes dans un cadre international, applicable au 1er janvier 2026.
À l’initiative du Sénat, la loi de finances a adopté un dispositif contre la fraude dite « Cumcum » (L. n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025, JORF n° 0039 du 15 février 2025). En 2018, dans une vaste enquête « CumEx Files », Le Monde et plusieurs médias internationaux mettaient à jour une fraude fiscale organisée par plusieurs établissements bancaires européens. Sur 20 ans, son coût est estimé à 33 milliards de recettes fiscales pour la France.
Un abus de droit généralisé
Lorsque les dividendes (et produits assimilés) sont versés par une société française à des personnes (physiques ou morales) n’ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège social en France, la France prélève une retenue à la source (CGI, art. 119 bis). Le montage incriminé consiste à contourner cette taxation par le transfert temporaire, juste avant la date de détachement du dividende, de la propriété des titres à des entités qui ne sont pas soumises à cette retenue à la source. Cet intermédiaire est, soit un résident fiscal de France (le plus souvent un établissement bancaire), et on est alors en présence d’un « CumCum interne », soit un non-résident qui n’est pas soumis à la retenue à la source du fait d’une convention fiscale ou de son statut, on est alors en présence d’un « CumCum externe » ou « CumEx ». Ledit transfert prend la forme de prêts de titres, de ventes à réméré ou d’opérations impliquant l’usage de produits dérivés. L’économie d’impôt ainsi réalisée est partagée avec l’établissement financier associé, qui rend après prélèvement de sa commission les titres à l’actionnaire non-résident. D’après le Sénat, ces montages frauduleux se sont complexifiés, il peut y avoir des recours à des opérations sur des marchés réglementés, sans contact direct entre le propriétaire du titre et l’établissement associé. En France, cette pratique occasionne entre 1,5 et 3 milliards d’euros par an de perte de recettes fiscales.
Un arsenal juridique jusque-là inefficace
Dénuées de toute logique économique ou financière, ces opérations sont réputées artificielles et peuvent être poursuivies sur le fondement de l’abus de droit (LPF, art. 64), mais ce dispositif de requalification ne permet pas de lutter efficacement contre une fraude à grande échelle. En réaction, le Sénat a introduit un dispositif anti-abus dans la loi de finances pour 2019 (L. n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, JORF n° 0302 du 30 décembre 2018). Exclusivement applicable aux montages « Cumcum » internes, le dispositif prévoit que les sommes liées à ces pratiques sont assimilées à des revenus distribués soumis à la retenue à la source (CGI, art. 119 bis A). Toutefois, le texte ne concerne que les opérations de cessions temporaires ou comportant des obligations de restitution ou de revente, et seulement les opérations réalisées dans un délai de 45 jours. En raison de ses limites, le dispositif a eu des effets peu dissuasifs et la fraude a continué à se développer.
Les tentatives de Bercy
De son côté, l’administration fiscale a réagi en considérant que la retenue à la source s’appliquait au « bénéficiaire effectif » du dividende, emboîtant le pas à de nombreux pays européens qui se sont appuyés sur cette notion de bénéficiaire effectif pour mettre fin, avec succès, aux pratiques frauduleuses d’arbitrages de dividendes. Le recours à la notion de bénéficiaire effectif permet en effet d’écarter le bénéficiaire de façade impliqué dans le cadre des montages « CumCum » et d’appliquer la retenue à la source aux personnes non-résidentes qui bénéficient effectivement de ces revenus. Sa doctrine administrative indiquait que la retenue à la source « s’applique aux revenus considérés dans la mesure où ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. À cet égard, la retenue à la source s’applique y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c’est-à-dire la personne qui a le droit d’en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France » (BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10, paragraphe 1). Elle ajoutait « Dans certaines situations, la détermination des personnes qui bénéficient effectivement des revenus sur lesquels s’applique cette retenue à la source peut présenter des spécificités, notamment en ce qui concerne le traitement fiscal de certaines activités des établissements bancaires concernant les acquisitions temporaires d’actions de sociétés françaises et les opérations sur certains produits dérivés » (BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10, paragraphe 5). Deux rescrits sur les opérations particulières du secteur bancaire complétaient ses commentaires (BOI-RES-RPPM-000122 et BOI-RES-RPPM-000123).
La censure du Conseil d’État
Saisi par la Fédération Bancaire Française (FBF), le Conseil d’État a annulé pour excès de pouvoir une partie de ces commentaires : la retenue à la source s’applique « y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c’est-à-dire la personne qui a le droit d’en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France ». Il juge que l’administration fiscale, en se plaçant sur le terrain du bénéficiaire effectif, était allée au-delà de l’intention exprimée par le législateur à l’article 119 bis du CGI (CE, 3e, 8e, 9e et 10e ch. réun., 8 décembre 2023, n° 472587). En annulant partiellement sa doctrine, la haute juridiction a privé l’administration fiscale d’une base légale spécifique et efficace pour lutter contre l’arbitrage des dividendes.
La consécration de la notion de bénéficiaire effectif
C’est dans ce contexte qu’intervient la loi de finances pour 2025 (art. 96). Le législateur consacre la notion de « bénéficiaire effectif » dans la rédaction de l’article 119 bis du CGI, ce qui permet d’atteindre le bénéficiaire final en présence de structures intermédiaires en cascade. Selon le Sénat « dans tous les pays où la notion de bénéficiaire effectif a été précisée, il a été constaté une disparition de l’arbitrage de dividendes, ainsi qu’une augmentation des recettes fiscales de la retenue à la source ». Ainsi, la nouvelle rédaction de l’article 119 bis du CGI prévoit désormais que « Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé par l’article 187 lorsque leurs bénéficiaires effectifs sont des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France, autres que des organismes de placement collectif constitués sur le fondement d’un droit étranger situés dans un État membre de l’Union européenne ou dans un autre État ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales (…) ». En outre, la loi étend ce mécanisme aux prêts et cessions temporaires d’actions ou d’instruments financiers permettant à un résident de transférer la valeur économique d’un dividende à un non-résident.
CumEx : une retenue à la source à titre conservatoire
De plus, pour en adapter le dispositif aux montages « CumEx », la loi institue, à titre conservatoire, une retenue à la source sur les dividendes et produits assimilés versés aux résidents d’un État bénéficiant en principe d’une exemption par voie de convention, en permettant toutefois à ces résidents d’obtenir le remboursement de cette retenue à la source s’ils démontrent qu’ils sont les bénéficiaires effectifs de ces revenus et que ceux-ci leur ont été versés dans le cadre d’opérations ayant principalement un objet autre que d’obtenir un avantage fiscal. Concrètement, les personnes effectuant des versements soumis à retenue à la source devront transmettre à l’administration fiscale, à sa demande et sous format dématérialisé, le montant et la date des opérations, l’identité de l’émetteur des actions ou des parts en faisant l’objet et celle du bénéficiaire effectif. Si l’établissement n’est pas ne mesure de déterminer l’identité du bénéficiaire effectif, il devra transmettre les informations nécessaires à l’identification de sa résidence fiscale.
Ces dispositions entrent en vigueur au 1er janvier 2026.
Référence : AJU017c7
