Finances publiques : « Médias et politiques se saisissent davantage du sujet »

Publié le 15/12/2021

Président depuis septembre 2017 de la Société française de finances publiques (SFFP), Xavier Cabannes quittera sa fonction avant la fin de l’année 2021. Le professeur de droit public revient notamment sur son mandat, le rôle de son association et le sujet des finances publiques à l’aune du « quoi qu’il en coûte ».

Actu-Juridique : Vous quittez votre mandat à la tête de la Société française de finances publiques (SFFP), quel bilan dressez-vous de ces quatre années passées à la présidence de l’association ?

Xavier Cabannes : Mon mandat se termine le 17 décembre précisément. Pour être tout à fait transparent, j’aurais dû le poursuivre jusqu’à l’été 2022 puisque celui-ci dure cinq ans, mais pour des raisons d’intendance et de gestion administrative il est plus simple que je laisse un peu plus tôt cette fonction, en fin d’année civile. En 2017, lors de ma prise de fonction, nous avions revu les statuts de l’association de sorte que le mandat de président ne soit pas renouvelable, ainsi je ne me représenterai pas. Je crois que cela est fort utile pour le renouvellement des idées, des méthodes, des personnes et pour le bien général de la SFFP.

En plus de quatre ans, avec l’ensemble des membres du Bureau de l’association – composé des vice-présidents Étienne Douat, Marc Leroy, Christian Michaut et Corinne Delon Desmoulin, de la secrétaire générale Céline Viessant, du secrétaire général adjoint Aurélien Baudu, et d’Alexandre Guigue le trésorier – nous pouvons nous féliciter d’avoir proposé une activité scientifique assez riche. Nous avons mis en place de nouvelles façons de travailler, je pense notamment à notre séminaire annuel itinérant qui se déroule en plusieurs séances en différentes villes, ce qui permet de rencontrer des collègues, magistrats et autres membres de l’association partout en France. De même, l’université d’été organisée tous les ans sur trois jours, depuis 2018, rythme les années civiles et permet de rassembler les membres de la Société ; la dernière s’est tenue à Reims début juillet. Globalement, nous sommes parvenus à créer une nouvelle dynamique entre chercheurs et professionnels (magistrats, avocats, administrateurs, etc…), tout en consolidant les acquis passés, la SFFP existant depuis bientôt 40 ans.

AJ : Quelles sont les missions que vous remplissez à travers l’association ?

X.C. : La Société française de finances publiques est une société savante constituée sous forme d’une association sans but lucratif régie par la loi de 1901, et fondée en 1984. Nous cherchons à répondre à un double objectif. D’abord, nous soutenons la recherche sur la matière financière au sein des universités. Ainsi, nous aidons, par exemple, à l’organisation de colloques ou de groupes de recherche qui s’intéressent aux finances publiques. À côté de cela, nous essayons également de créer une synergie entre tous les acteurs, qu’ils soient chercheurs, spécialistes, professionnels ou simplement intéressés, qui se penchent sur le champ, très vaste, des finances publiques.

En plus du séminaire itinérant, qui par exemple porte cette année sur les juridictions financières et la réforme de celles-ci à l’horizon 2025, et de l’université d’été, dont je vous ai déjà parlé, qui sont des rendez-vous majeurs annuels, nous proposons aussi des ateliers de réflexion autour de thématiques d’actualité. Le dernier atelier portait ainsi sur le projet de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Enfin, nous essayons, via la diffusion des comptes-rendus de ces rendez-vous, dans la presse notamment, de faire connaître le résultat de nos réflexions de praticiens.

AJ : En décembre se tient, à la Cour des comptes, le colloque conclusif de votre séminaire itinérant 2021. Il porte, vous le disiez, sur la réforme des juridictions financières. Que se dégage-t-il des discussions que vous avez pu avoir jusqu’à présent ?

X.C. : Le séminaire itinérant, organisé en partenariat notamment avec les Chambres régionales des comptes d’Occitanie, pour la séance tenue en mai dernier, et de Normandie, pour la séance tenue en octobre dernier, ne s’intéresse pas uniquement à la réforme qui a été présentée en février dernier, mais aux juridictions financières de manière large. Nous étudions, réfléchissons et échangeons sur leur fonctionnement puisque – nous sommes peut-être trop peu à le savoir – la Cour des comptes a près de 215 ans, et les Chambres régionales et territoriales des comptes vont fêter leurs 40 ans. C’était ainsi l’occasion pour nous de discuter de leurs activités, de leurs actions et d’essayer de voir ce qui pourrait être amélioré à travers nos analyses d’experts, et ce dans le cadre de la réforme mentionnée. En tant qu’association indépendante, la SFFP est libre dans ses observations.

AJ : Les finances publiques sont mises à mal par la crise sanitaire. Cela a-t-il, d’après vous, un effet positif sur l’intérêt qu’on y accorde ?

X.C. : Il est vrai que la crise Covid, avec le creusement de la dette et du déficit public qu’elle a engendré, a replacé quelque peu au centre du débat le sujet des finances publiques. Médias et politiques se saisissent davantage de cette problématique et s’interrogent sur la soutenabilité de la dette, et notamment via le débat sur son remboursement. À ce propos, la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, adoptée récemment par le Parlement, prévoit que celui-ci puisse s’intéresser d’un peu plus près au niveau de la dette publique et améliorer la transparence et les informations à son propos. C’était là une idée chère à la SFFP, puisque je l’avais fortement défendue, avec le professeur Douat, dans un article de presse largement diffusé et dans lequel nous demandions, en mars 2019, à faire « entrer la dette publique au Parlement ». Des membres de la SFFP (les professeurs Baudu, Douat et Pariente) l’avaient de nouveau évoquée, quelques semaines plus tard, à l’Assemblée nationale dans le cadre des travaux de la Mission d’information relative à la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (MILOLF). Le rôle du Parlement dans l’examen et le contrôle de la dette publique sera, il faut l’espérer, renforcé.

AJ : En qualité d’expert des finances publiques et professeur de droit public, comment jugez-vous les débats politiques actuels sur les finances publiques ?

X.C. : J’observe un décalage, pour le moment, entre la place qui est faite dans les débats publics aux finances publiques, dans le cadre par exemple du creusement de la dette dont nous parlions, et les débats politiques. Les candidats à l’élection présidentielle ne font pas campagne dessus. Nous verrons si c’est encore le cas dans quelques semaines. Pour l’heure, cela me paraît normal puisque les citoyens ne semblent pas eux-mêmes s’en alerter. Si la dette devient un réel problème financier et économique alors les citoyens et les politiques s’en saisiront davantage.

Je crois que les hommes et femmes politiques savent très bien que derrière leurs propositions de mesures et leurs programmes, et notamment la question des services publics, qui, elle, préoccupe énormément les Français, il y a celle des finances publiques. En réalité, si le sujet des finances publiques n’est pas en « première ligne », il est toujours présent en arrière-plan. Tous les discours politiques sont ainsi influencés, il me semble, par les finances publiques. N’oublions pas que pour avoir des services publics, il faut avoir des finances publiques tenables. Peut-être que les politiques préfèrent le taire parfois car ils savent que ce n’est malheureusement pas très porteur auprès des citoyens, et donc des électeurs.

AJ : Pour conclure, que diriez-vous pour convaincre un citoyen désintéressé par le sujet des finances publiques ?

X.C. : Je répondrai en deux temps. Premièrement je lui dirais qu’il n’est pas nécessairement responsable de son désintérêt parce qu’il n’a jamais été formé à ce propos. Je trouve dommage que le sujet des finances publiques ne soit jamais abordé dans le cadre scolaire. Notamment au lycée, où les élèves ont des cours d’économie mais aussi d’enseignement civique. Il serait bon et utile pour les futurs citoyens en formation d’aborder la question des finances publiques, et donc de la vie financière de l’État, ne serait-ce que de façon légère. Et ce d’autant que nombre de ces jeunes paieront, peu de temps après la sortie du lycée, des impôts ; or l’expérience montre que beaucoup de contribuables ne savent pas à quoi sert et comment est redistribué l’argent collecté.

Ensuite, je lui rappellerais tout simplement que le paiement des impôts permet le fonctionnement des services publics, dits « gratuits » et qui sont ouverts à tous. Enfin, j’insisterai sur les dangers d’avoir une dette trop élevée car celle-ci nous rend « vulnérable » vis-à-vis de nos créanciers et peut nous soumettre à de fortes tensions financières si les taux d’intérêt augmentent.

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