Fisc : quand la dénonciation ne paye pas

Dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, l’administration fiscale recourt à des informateurs : les aviseurs fiscaux. Le Conseil d’État vient de préciser l’application de ce régime, notamment dans le temps (CE, ch. réun., 18 février 2025, n° 493183). Cet arrêt a été rendu dans le cadre de l’affaire UBS. La lanceuse d’alerte, à l’origine des révélations sur cette affaire et d’une enquête en France, entendait être indemnisée au titre des sommes récupérées par les finances publiques. Cette informatrice sollicitait la rémunération prévue pour les aviseurs pour des informations transmises antérieurement au 1er janvier 2017. Pour le Conseil d’État, il n’est pas possible de répondre à cette demande dans la mesure où les informations transmises étaient antérieures à la création du régime des aviseurs fiscaux
L’affaire UBS
Dans l’affaire UBS, il a été reproché à la banque suisse d’avoir incité des clients français à placer des sommes inconnues de Bercy en Suisse entre 2004 à et 2012. Ces procédés visant à faciliter la fraude fiscale de riches contribuables français pendant huit ans ont valu à la banque suisse et à sa filiale française d’être poursuivies pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et démarchage bancaire illégal. Il s’agit d’un cas loin d’être isolé. En novembre 2017, le Parquet national financier a transigé avec HSBC Private Bank pour un montant de 300 M€, dans une affaire de démarchage bancaire illicite et de blanchiment de fraude fiscale (TGI Paris, 14 nov. 2017, n° PNF1102409201). Faute d’avoir choisi la voie de la transaction UBS Suisse s’est vu condamné le 13 décembre 2021 par la cour d’appel de Paris à payer 1,8 milliard d’euros au Trésor public pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et démarchage bancaire illégal (CA Paris, 13 déc. 2021,n° 19/05566). La filiale française d’UBS a été condamnée à plus d’un million d’euros d’amende au titre de sa complicité dans le processus de démarchage bancaire illégal mais n’a pas été condamnée pour blanchiment de fraude fiscale, contrairement à ce qui avait été admis en première instance. La filiale française n’a pas formé de recours en cassation et sa peine est définitive. La société mère du groupe UBS a formé un pourvoi en cassation. Dans un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 15 novembre 2023 ses condamnations pour démarchage bancaire illicite et blanchiment de fraude fiscale aggravé ont été confirmées. Seules ont été censurées les dispositions relatives aux peines et aux intérêts civils qui ont été renvoyées devant la cour d’appel de Paris (Cass. crim., 15 novembre 2023, n° 22-81.258).
Le rôle des lanceurs d’alerte dans l’affaire UBS
Plusieurs anciens employés d’UBS ont contribué à dénoncer les pratiques du groupe suisse et au déclenchement d’une enquête en France. Parmi ces lanceurs d’alerte, l’ancienne directrice du marketing, chargée notamment d’organiser des événements qui permettaient à la banque de venir prospecter des clients en France, ont été particulièrement médiatisés. Cette dernière s’est vue reconnaître officiellement la qualité de lanceuse d’alerte par le Défenseur des droits. Le Défenseur des droits accompagne les lanceurs d’alerte dans leurs démarches et veille à leurs droits et libertés. Il est habilité à rendre un avis sur la qualité de lanceur d’alerte pour que la personne soit pleinement protégée quel que soit le régime applicable à l’auteur du signalement. Cette lanceuse d’alerte a sollicité l’administration fiscale d’une demande d’indemnisation à raison des renseignements qu’elle soutient lui avoir transmis et visant à dénoncer des faits constitutifs de blanchiment de fraude fiscale et de démarchage bancaire illicite. L’administration fiscale a rejeté cette demande par une décision du 23 décembre 2020, au seul motif que ces renseignements ont été transmis antérieurement au 1er janvier 2017, date de mise en place du régime des aviseurs fiscaux, alors qu’un arrêté du 21 avril 2017 exige qu’ils le soient postérieurement à cette date pour pouvoir donner lieu à indemnisation.
Lanceurs d’alerte et aviseurs fiscaux
La qualité de lanceur d’alerte qui bénéficie d’un régime protecteur notamment à l’encontre de potentielles représailles professionnelles, comme un licenciement ou des sanctions, par exemple, ne saurait se confondre avec celle d’aviseur. Aviseurs fiscaux et lanceurs d’alerte renvoient à deux dispositifs bien différents. Le régime du lanceur d’alerte a été créé dans le cadre de la loi n° 2016-1991 du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2. Le régime des lanceurs d’alerte a été renforcé dans le cadre de deux textes, la loi n° 2022-400 du 21 mars 2022 sur le Défenseur des droits et la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 sur les lanceurs d’alerte transposant la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte, une réforme validée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 17 mars 2022, n° 2022-839 DC, loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte) et entrée en application au 1er septembre 2022. Si comme l’aviseur, le lanceur d’alerte peut conserver l’anonymat, conformément aux droits de l’Union européenne, le lanceur d’alerte ne peut se voir offrir aucune contrepartie financière directe pour les renseignements apportés, même s’il peut bénéficier de mesures de soutien financier, comme une provision pour frais de justice ou si sa situation financière s’est dégradée. Le deuxième rapport coordonné par Christine Pirès Beaune destiné à faire le point sur l’ampleur du phénomène des aviseurs fiscaux (A.N. Rapport d’information n ° 4489, du 22 septembre 2021), souligne d’ailleurs ce point.
Un dispositif dont le périmètre a évolué au fil du temps
Le dispositif des aviseurs fiscaux a été initié dans le cadre de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, un texte voté à la suite de révélations concernant plusieurs affaires de fraude fiscale internationale de grande ampleur afin notamment de lutter contre situations de fausse domiciliation fiscale d’une entreprise exploitée en France, de transfert de bénéfices à l’étranger, de non-déclaration de comptes bancaires ou de contrats d’assurance-vie ouverts ou souscrits à l’étranger ou de trusts. Initialement prévu à titre expérimental pour deux ans, le dispositif a été prolongé en 2018, dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude (L. n° 2018-898 du 23 octobre 2018). Le périmètre du dispositif des aviseurs fiscaux a été étendu dans le cadre de la loi de finances pour 2020 à la TVA ainsi qu’à titre expérimental pour certains agissements, manquements ou manœuvres en infraction avec la législation fiscale, lorsque le montant estimé des droits éludés est supérieur à 100 000 euros. La loi de finances pour 2022 a prévu la prolongation de cette expérimentation de deux ans, soit jusqu’au 31 décembre 2023. Le dispositif a été pérennisé à titre définitif par l’article 123 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
La rémunération des aviseurs
L’ex-responsable marketing d’UBS France réclamait une rémunération à hauteur de 3,50 M€ sur le fondement de l’article L 10-0-AC du Livre des procédures fiscales. Le décret n° 2017-601 du 21 avril 2017 autorise l’administration fiscale à indemniser les aviseurs fiscaux. La décision d’attribution de l’indemnité est prise après examen par la DNEF du rôle de l’aviseur et de l’intérêt fiscal, pour l’État, des informations transmises. Aucun barème ne fixe son montant qui est fonction des montants estimés des impôts éludés. L’indemnité est à la discrétion de l’administration fiscale. Son montant n’est ni forfaitaire, ni strictement proportionnel au montant des droits éludés. Il n’est arrêté qu’à l’issue des opérations de contrôle ayant permis de corroborer les renseignements fournis. Si aucun texte législatif ou réglementaire ne fixe de plafond à cette indemnité, elle est en pratique limitée à un million d’euros par affaire, mais peut être portée jusqu’à 15 % des droits recouvrés dans le cas d’affaires de grande importance.
La date de transmission des informations
En juillet 2022, (TA Montreuil, 7 juill. 2022, n° 2101809), le juge administratif a jugé que l’administration fiscale ne pouvait subordonner l’indemnisation d’un informateur à la condition que les renseignements aient été fournis à l’administration après le 1er janvier 2017. En effet, il a estimé que l’arrêté du 21 avril 2017 ne pouvait fixer comme unique condition la date des renseignements fournis en ne tenant pas compte de ce que ceux-ci étaient encore exploités par l’administration. La cour administrative d’appel n’a pas eu la même position considérant que les dispositions entrées en vigueur le 1er janvier 2017 ne peuvent être regardées comme « imposant l’indemnisation des personnes ayant fourni de tels renseignements avant son entrée en vigueur » (CAA Paris, 27 septembre 2023, n°22PA04079). La circonstance que « l’administration continue à exploiter après 2017 des renseignements obtenus auparavant » est indifférente poursuit le juge d’appel qui se fonde sur la date de transmission des documents à l’administration fiscale. En l’espèce, « aucune pièce du dossier ne permet d’identifier que des renseignements ont été fournis après le 1er janvier 2017 ».
Pas d’indemnisation pour la lanceuse d’alerte
Pour le Conseil d’État, « en se bornant à prévoir la possibilité pour le pouvoir réglementaire d’autoriser l’administration fiscale à indemniser les personnes, couramment dénommées aviseurs fiscaux, lui ayant fourni des renseignements ayant conduit à la découverte de certains manquements à la loi fiscale et en renvoyant à un arrêté du ministre chargé du Budget la détermination des conditions et modalités d’une telle indemnisation, le législateur ne saurait être regardé comme ayant entendu exclure que l’indemnisation puisse être subordonnée à une condition tenant à la date à laquelle les renseignements ont été portés à la connaissance de l’administration ». Le juge de cassation confirme la solution du juge d’appel qui a considéré que l’arrêté du 21 avril 2017 n’avait pas méconnu les dispositions de l’article L 10-0 AC du Livre des procédures fiscales en limitant la possibilité pour l’administration fiscale d’indemniser les aviseurs fiscaux aux seuls cas dans lesquels les renseignements fournis l’avaient été postérieurement au 1er janvier 2017, la cour n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit. L’argument avancé par l’informatrice selon lequel l’administration, qui est liée par sa parole, a méconnu le principe de confiance légitime, dès lors qu’elle avait reconnu dans un message vocal qu’il avait droit à une indemnisation sur le fondement de l’article 109 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 est également balayé par le Conseil d’État. En tout état de cause, le requérant n’établit pas qu’un agent de la DNEF aurait pris position ni pris aucun engagement sur le droit à indemnisation de l’informatrice au regard de l’article 109 de la loi de finances pour 2017. Enfin, les informations fournies concernaient, d’une part, une fraude sur des droits d’enregistrement et de donation et, d’autre part, une fraude à l’impôt de solidarité sur la fortune. C’est à bon droit que le service a considéré que ces renseignements ne concernaient que des manquements relatifs à des problématiques de fraude fiscale nationale, et n’entraient donc pas dans le champ des manquements dont le signalement pouvait donner lieu à indemnisation. La lanceuse d’alerte n’est donc pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.
Référence : AJU017d2
