Fiscalité 2025 : où en est-on ?

Arrêt de l’examen du projet de loi de Finances pour 2025, l’adoption d’une loi spéciale et les annonces de Bercy le 31 décembre 2024 : que faut-il retenir de ces trois événements pour les contribuables ?
Fait exceptionnel dans le déroulement législatif et politique de la Ve République, le projet de loi de Finances pour 2025 a été rejeté le 4 décembre dernier. Le gouvernement de Michel Barnier constitué le 5 septembre 2024 a été renversé par une motion de censure après avoir eu recours à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer sans vote le projet de loi de Financement de la sécurité sociale pour 2025 dans sa version issue de la commission mixte paritaire. Conséquence de cette démission forcée : l’examen du projet de loi de Finances pour 2025 (PLF 2025) par le Sénat a été arrêté.
Une loi spéciale pour assurer la continuité du service public
Dans ce contexte exceptionnel, une loi dite spéciale a été adoptée le 20 décembre 2024 pour assurer la continuité du service public (loi n° 2024-1188 du 20 décembre 2024 spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de Finances, JORF n° 0302 du 21 décembre 2024). « En l’absence de possibilité d’aboutir à la promulgation d’un projet de loi de finances pour 2025 avant le 31 décembre 2024 et dans l’attente de l’adoption en 2025 d’un tel projet par le Parlement, le gouvernement démissionnaire présente ce projet de loi destiné à assurer la continuité de la vie nationale et l’exécution des services publics », indique le conseil des ministres du 11 décembre 2024. Son article 1er autorise ainsi le gouvernement à percevoir les impôts existants : « jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de Finances pour 2025, la perception des ressources de l’État et des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État est autorisée conformément aux lois et règlements ». Ses articles 2 et 3 autorisent l’État et les organismes de Sécurité sociale à émettre des emprunts, pour couvrir les besoins de financement des services publics et de la Sécurité sociale et gérer la dette de l’État.
Le statu quo fiscal
Sur le plan fiscal, la loi spéciale ne contient aucune mesure. Plusieurs amendements déposés à l’Assemblée nationale visant à indexer le barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation ont été jugés irrecevables, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet les ayant déclarés contraires à la Constitution, conformément à l’avis consultatif du Conseil d’État (CE, avis 9 décembre 2024, n° 409081). Le Conseil d’État considère en effet que les mesures nouvelles d’ordre fiscal, qui ne sauraient, en tout état de cause, être regardées comme des mesures nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, ne relèvent pas du domaine de la loi spéciale. « L’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu, laquelle n’est au demeurant pas systématiquement opérée et a déjà fait l’objet de modulations par le passé, ou encore la modification du droit aux fins de prolonger la durée d’application de crédits d’impôts dont une loi de finances précédente a prévu l’extinction au 31 décembre 2024, ne sont pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale dès lors qu’elles constituent des modifications affectant les règles de détermination des impôts existants et excèdent ainsi l’autorisation de continuer à percevoir ces impôts ».
Pour l’heure, le gouvernement de François Bayrou est autorisé à lever l’impôt dans les mêmes conditions qu’en 2024. Cela signifie que tant qu’une nouvelle loi de Finances n’est pas adoptée, l’heure est au statu quo fiscal. Le droit s’applique selon le droit antérieur à l’adoption de la loi spéciale. Cette situation peut entraîner une hausse des impositions : le barème de l’impôt sur le revenu n’est pas indexé sur l’inflation, et l’abattement de 500 000 euros sur les plus-values de cession de titres par les dirigeants partant à la retraite qui a pris fin le 31 décembre 2024 n’existe plus faute de l’adoption de sa prorogation jusqu’en 2031. Cette situation s’avère plus avantageuse que celle qui aurait résulté de l’adoption du PLF 2025 version Barnier : le taux du PFU sur les revenus mobiliers perçus en 2024 reste stable, la contribution différentielle sur les hauts revenus perçus par les particuliers n’existe pas, pas plus que la taxe sur les rachats d’actions.
Les intentions de Bercy
Un projet de loi de Finances pour 2025 devrait être adopté d’ici la fin du premier trimestre, sauf nouvelle censure, dont le risque n’est pas à écarter. Le Premier ministre a annoncé qu’il repartirait de la version du PLF pour 2025 avant le changement de gouvernement, laquelle est juridiquement toujours valable. Déjà, des pistes se dessinent, que Bercy a exprimé par voie de communiqué de presse le 31 décembre 2024. Voici quelques-unes des « positions que le gouvernement entend défendre devant le Parlement lors de l’examen à venir de la loi de finances pour 2025 », étant précisé que « ces indications ne préjugent pas de l’issue de l’examen du PLF par le Parlement et ne correspondent pas à un inventaire exhaustif des mesures dont l’entrée en vigueur aura lieu au 1er janvier ». Dans ce document, Bercy indique que « le gouvernement soutiendra l’adoption (…) avec une entrée en vigueur au 1er janvier 2025, d’une reconduction à l’identique, dans l’état où elles étaient en vigueur en 2024, des dépenses fiscales suivantes, adoptées par le Sénat en première lecture de la première partie du PLF 2025 ». Il s’agit notamment de dépenses fiscales s’étant éteintes au 31 décembre 2024 : le crédit d’impôt collection (CIC), l’exonération d’impôt sur les sociétés sur les revenus patrimoniaux des établissements scientifiques, d’enseignement et d’assistance, la réduction d’impôt Loc’Avantages, le crédit d’impôt au titre des dépenses de remplacement pour congé de certains exploitants agricoles, le crédit d’impôt au titre de l’obtention d’un label haute valeur environnementale, le suramortissement pour les navires verts, l’abattement sur la plus-value sur l’actif professionnel lors du départ en retraite du chef d’entreprise, la suppression de la réduction d’impôt au titre des dépenses engagées pour la tenue de la comptabilité et l’adhésion à un organisme de gestion agréé. Ces dépenses fiscales seraient reconduites à l’identique. Pour le crédit d’impôt innovation, le gouvernement appuiera une reconduction de la dépense fiscale à compter du 1er janvier, mais avec un taux d’aide ramené de 30 % à 20 %.
Maintien du zonage pour les entreprises
Par ailleurs, Bercy indique que le gouvernement soutiendra dans le futur PLF « Bayrou » pour 2025 :
– l’octroi des avantages propres au zonage France Revitalisation Rurale (FRR) pour les entreprises installées à compter du 1er juillet 2024 dans les communes anciennement classées en ZRR et sorties du classement FRR,
– la reconduction pour les installations d’entreprises en 2025 des avantages fiscaux inhérents aux Zones Franches Urbaines et Quartiers Prioritaires de la Ville tels qu’ils s’appliquaient aux installations d’entreprises jusqu’au 31 décembre 2024,
– la reconduction des avantages propres aux Bassins d’Emploi à Redynamiser pour les entreprises qui s’y installeront jusqu’en 2027.
Mesures en faveur des exploitations agricoles
Par ailleurs, le gouvernement souhaite que les mesures fiscales incitatives permettant de soutenir les exploitations agricoles puissent être applicables dès le 1er janvier 2025. Cela concerne :
– le dispositif incitant à l’accroissement du cheptel bovin français via un avantage fiscal et social relatif aux stocks de vaches laitières et allaitantes,
– les mesures d’incitation à la transmission des exploitations au profit des jeunes agriculteurs, notamment :
– le relèvement de 100 000 euros des seuils de recettes ouvrant droit à l’exonération de la plus-value professionnelle dégagée en cas de cession d’une entreprise agricole au profit d’un jeune agriculteur,
– la possibilité d’échelonner les cessions de droits ou parts d’une société ou d’un groupement relevant de l’impôt sur le revenu sur une période de 72 mois lorsque la cession est réalisée au profit d’un jeune agriculteur,
– le renforcement de l’abattement prévu lorsque la cession est réalisée au profit d’un jeune agriculteur (de 500 000 à 600 000 euros),
– le rehaussement des plafonds de valeur des éléments transmis ouvrant droit à une exonération des plus-values professionnelles.
Bénéfices des multinationales et non-résidents
Par ailleurs, le gouvernement souhaite l’application du Pilier 2, de la réforme de l’imposition des bénéfices des multinationales et l’adoption de la mesure confortant l’application de la retenue à la source sur les salaires versés aux personnes non-résidentes de France en application d’une convention fiscale. Enfin, le gouvernement indique également souhaiter l’abrogation au 1er janvier 2025 de la taxe sur les hydrofluorocarbures, l’annulation du relèvement prévu au 1er janvier 2025 des tarifs de la TGAP déchets outre-mer dû à la diminution des taux de réfaction applicables à ces territoires.
Vers une petite rétroactivité fiscale ?
Selon les mots des signataires de ce communiqué (Éric Lombard, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique et Amélie de Montchalin, ministre chargée des Comptes publics) « l’objectif [de ces indications ] est ainsi d’apporter des précisions sur des situations qu’il serait, juridiquement ou opérationnellement, impossible de traiter rétroactivement par le PLF promulgué après le 1er janvier sans annonce préalable du gouvernement et qui, faute de prévisibilité, pourraient perturber les transactions du début de l’année ». En procédant de la sorte, « le gouvernement se ménage la possibilité d’intégrer les mesures listées dans son communiqué avec une application rétroactive aux revenus perçus en 2024 déclarés en 2025, sans encourir la censure du Conseil constitutionnel en cas de saisine de celui-ci,explique Karine Lecocq, associé-gérant Lazard Frères Gestion. En effet, la rétroactivité fiscale peut présenter une forme juridique particulière liée au jour de l’annonce. « Par le passé, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions adoptées par une loi fiscale, peuvent être avancées rétroactivement à la date de leur annonce, dès lors qu’elles correspondent à un motif d’intérêt général suffisant afin d’éviter les effets d’optimisation contraire aux objectifs poursuivis », poursuit-elle (Cons. const., 19 déc. 2013, n° 2013-682 DC, JORF n° 0298 du 24 décembre 2013). « Dans ce contexte, l’absence de certaines mesures dans ce communiqué est signifiante. Ainsi de la contribution différentielle sur les hauts revenus, de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des entreprises clôturant au 31 décembre, de la modification de la définition juridique du gain d’exercice de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise ou encore la revalorisation des tranches du barème de l’impôt sur le revenu. Le gouvernement ne semble pas souhaiter rendre ces mesures applicables aux revenus perçus en 2024 », analyse Karine Lecocq.
Référence : AJU016t8
