Fiscalité des successions : des processus d’encaissement à sécuriser

Publié le 02/04/2019

Une erreur à 1,5 Md€ commise par Bercy a conduit à sous évaluer les recettes budgétaires de l’État ainsi que les sommes destinées à être versées aux collectivités territoriales et à la Sécurité sociale. La Cour des comptes formule ses recommandations pour remédier à ce dysfonctionnement administratif et éviter qu’il se reproduise.

La Direction générale des finances publiques (DGFiP) a découvert, le 25 janvier 2018, une anomalie dans la comptabilité budgétaire de l’État. Des sommes importantes, encaissées en 2017 au titre des droits de mutation de biens meubles ou immeubles, sont restées comptabilisées sur le compte provisoire, faute pour l’administration d’avoir liquidé individuellement les dossiers des redevables concernés. En application des dispositions de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières, la Cour a enquêté sur les raisons qui ont conduit à la minoration, à hauteur de 1,5 Md€, dans la comptabilité budgétaire de l’État pour l’exercice 2017, des recettes tirées des droits de mutation perçus à l’occasion des opérations de cession, de donation ou de succession de biens mobiliers ou immobiliers. À l’issue de cette procédure de contrôle, un référé a été publié, en application des dispositions de l’article R. 143-11 du Code des juridictions financières. Il pointe de graves anomalies et appelle à « de nécessaires ajustements » (Cour des comptes, référé n° 82018-2805 2/5).

Lorsqu’ils traitent des cessions, des donations ou des successions, les notaires adressent à l’administration des déclarations auxquelles ils joignent le règlement des droits qui s’y attachent. Après avoir été encaissés, les montants correspondants sont enregistrés en comptabilité générale sur un compte provisoire. Celui-ci a vocation à être apuré quotidiennement, ou soldé comptablement, par une opération administrative de liquidation, qui consiste à identifier les tiers redevables et la nature des droits, puis à en arrêter le montant. Une fois la liquidation effectuée, les sommes sont inscrites sur les comptes définitifs. La comptabilisation de ces droits diffère selon qu’il s’agit de recettes de l’État, des collectivités territoriales ou d’organismes de sécurité sociale. Pour l’État, la comptabilisation s’effectue simultanément en comptabilité générale, soit l’enregistrement d’un produit, et en comptabilité budgétaire, soit en recettes. Pour les autres bénéficiaires, les montants sont enregistrés en dettes vis-à-vis de la collectivité locale ou de l’organisme de sécurité sociale. Ces dettes sont apurées lors du versement. À l’arrêté des comptes, le solde résiduel du compte provisoire, qui représente un enjeu généralement limité, est inscrit en dettes dans le compte général de l’État. Les sommes en cause sont restées inscrites sur le compte provisoire avant l’expiration de la période complémentaire prévu par l’article 28 de la LOLF.

Impact budgétaire

La comptabilité générale de l’État a pu être corrigée pour enregistrer ce montant dans les délais de l’arrêté des comptes de 2017, qui intervient chaque année au mois de mai. Cela n’a pas été le cas pour la comptabilité budgétaire, dont le solde d’exécution avait déjà été arrêté le 20 janvier 2018 en application des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, qui prévoit qu’aucune recette ou dépense ne peut être comptabilisée après cette date. Cette anomalie a induit un décalage entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale, de même qu’avec la comptabilité nationale qui s’appuie sur les mêmes données que celle-ci. Cette situation a entraîné une sous-évaluation des recettes budgétaires de 2017 de l’État, à hauteur de 1,5 Md€ (et se traduira par une amélioration « artificielle » de même montant du résultat de 2018), et une sous-évaluation des sommes destinées à être versées aux collectivités territoriales et à la sécurité sociale (respectivement 350 M€ et 50 M€). Cette situation, notamment le déport de recettes budgétaires de 2017 à 2018, a été décrite dans le compte général de l’État de 2017, puis dans la loi de règlement pour 2018 et dans le projet de loi de finances pour 2019. Elle est néanmoins de nature à fausser la signification des résultats budgétaires des années 2017 et 2018.

Une conduite du changement défaillante

Pour la Cour des comptes, « l’anomalie de comptabilisation a été la conséquence de plusieurs facteurs directement liés à une réorganisation des services chargés de l’enregistrement ». La DGFiP a procédé, durant cette période, à la mise en place de 107 nouvelles entités (services de publicité foncière ou services départementaux de l’enregistrement) chargées de traiter les formalités de l’enregistrement (successions et dons). Cette réorganisation physique et géographique d’équipes, jusque-là rattachées aux services des impôts des entreprises, a induit une perte importante de compétences puisque deux tiers des agents auparavant chargés de la gestion des droits de mutation n’ont pas suivi leurs missions dans les structures nouvellement créées. Cette perte de compétences a ralenti le rythme moyen de traitement des dossiers, augmentant mécaniquement les stocks à traiter. Le choix du calendrier de mise en place des nouvelles structures, lié aux impératifs de mobilité des agents de la DGFiP, essentiellement en septembre 2017, a concentré les difficultés en fin de gestion, alors même qu’il est courant que le flux des dossiers de donations et de successions augmente significativement en fin d’année. D’autres facteurs négatifs se sont en outre conjugués, dont les incidences n’ont, pour aucun d’entre eux, été anticipées : simultanément à la réorganisation physique des services, les outils informatiques ont en effet été modifiés sans que les conséquences prévisibles sur les écritures comptables de fin d’année aient été identifiées. Ce nouveau mode de gestion des dossiers dans la nouvelle application informatique utilisée (Fidji-Enregistrement) a ainsi provoqué un retard dans l’imputation budgétaire des droits de mutation, retard qui n’avait été anticipé par aucun des services concernés. Pour la Cour des comptes, « ce cas illustre une conduite du changement défaillante, caractérisée par un manque d’anticipation des conséquences des décisions prises, un calendrier peu pertinent et la concordance, mal préparée, d’une réorganisation géographique et d’un changement du système d’information ». À ce constat sévère, le référé précise que ces difficultés ont été accentuées par l’appropriation insuffisante de la culture comptable au sein de certains services de la DGFiP. Les agents chargés de la gestion fiscale n’ont ainsi pas anticipé, ni mesuré toutes les incidences comptables susceptibles d’être induites par le changement de l’application informatique.

Des dispositifs d’alerte insuffisants

Faute de dispositifs d’alerte et de contrôle interne appropriés et coordonnés, tant entre la DGFiP et la direction du budget qu’entre les services de la DGFiP eux-mêmes, qu’il s’agisse de services centraux ou de services déconcentrés, l’administration reconnaît n’avoir aucunement anticipé le risque de survenue de cet incident. Dès lors, elle a été incapable de le prévenir ou d’y remédier dans un délai compatible avec le calendrier d’arrêté des comptes de comptabilité budgétaire. De ce fait, l’anomalie, qui a entraîné une détérioration des délais et induit un risque, au regard à la fois de la qualité du service rendu et de la comptabilisation des recettes, n’a été repérée qu’après la date de clôture des opérations de comptabilité budgétaire. L’analyse de l’incident n’a pas été immédiatement partagée avec l’ensemble des services concernés. Pour la Cour des comptes, « le souci qu’une situation comparable à celle constatée à l’issue de l’exercice 2017 ne puisse se renouveler appelle des mesures immédiates et d’autres de moyen terme ». Afin de résorber le stock des dossiers non liquidés et d’améliorer le traitement des nouvelles déclarations, la DGFiP a défini un plan d’action en avril 2018, complété fin septembre. La forte mobilisation des directions déconcentrées, en particulier celles qui présentaient les montants à traiter les plus significatifs, a conduit, fin août 2018, à une réduction des deux tiers de l’encours. L’apurement du stock et du flux devrait, selon la DGFiP, être réalisé d’ici la fin de l’année 2018. Désormais, la liquidation d’un dossier n’intervient plus systématiquement dès sa prise en compte initiale par l’agent et donne lieu à la saisie d’informations plus détaillées. Toutefois, à l’automne 2018, il n’est toujours pas possible de ventiler correctement, par impôt et par année, le montant total des recettes non affectées résultant de l’incident, soit 1,9 Md€ (toutes administrations publiques confondues). Or la DGFiP n’a pas donné l’assurance qu’elle serait en mesure de distinguer les montants par catégorie d’impôts (droits de mutation à titre onéreux, dits DMTO, ou à titre gratuit, dits DMTG) et, surtout, de les rattacher au bon exercice (2017 ou 2018). L’apurement du stock revêt pourtant un double enjeu de fiabilité des comptes et de transparence de l’information, pour l’État, comme pour les collectivités territoriales et les administrations de sécurité sociale. En particulier, certaines collectivités (départements et communes) bénéficiaires des DMTO ont pu voir une part (le plus souvent marginale) de leurs recettes rattachables à l’exercice 2017 décalées sur l’année 2018. Elles doivent donc être correctement informées pour être en mesure d’analyser leur situation financière en pleine connaissance de cause.

Les recommandations de la Cour des comptes

Au-delà du traitement des retards accumulés, une adaptation du paramétrage de l’application Fidji-Enregistrement est nécessaire à court terme, pour permettre un suivi automatisé de l’encours du compte provisoire. Concomitamment, les modalités du travail doivent être adaptées afin que la liquidation des droits intervienne le plus tôt possible après leur encaissement. La DGFiP indique que ces évolutions seront mises en œuvre de manière prioritaire en 2019. Il importe que ce calendrier soit strictement respecté. La Cour des comptes pointe la nécessité d’ajustements plus structurants. Pour la Cour des comptes « l’incident survenu à la fin de l’exercice 2017 et au début de 2018 appelle des changements durables dans le traitement des formalités de l’enregistrement ». À moyen et long terme, la Cour recommande non seulement la dématérialisation des procédures, mais aussi qu’une revue complète des processus de traitement des droits de mutation soit menée pour supprimer autant que possible les tâches de saisie. Enfin, compte tenu des enjeux de fiabilité de la comptabilité budgétaire en fin d’exercice, la direction du budget et la DGFiP doivent formaliser leur suivi des comptes d’attente et d’imputation provisoire. Pour la première, il s’agit de s’assurer que la comptabilité budgétaire prend bien en compte des recettes, potentiellement élevées, en attente d’imputation. Pour la DGFiP, il est impératif de fiabiliser ses travaux de production et de justification des comptes. La Cour des comptes recommande dès lors d’apurer le stock de dossiers non traités à la fin de 2017 en établissant l’imputation précise des droits de mutation, par impôt et par exercice, et assurer une correcte information des collectivités territoriales bénéficiaires. Elle préconise également d’adapter rapidement le système d’information afin de permettre un enregistrement comptable automatique et en continu des droits de mutation. Elle recommande également de mettre en place un dispositif commun à la Direction générale des finances publiques et à la Direction du budget propre à fiabiliser le processus de comptabilisation des recettes tout au long de l’année.