Fiscalité : fin de partie pour la niche fiscale Airbnb
Le feuilleton de la fiscalité des locations meublées vient de connaître un nouvel épisode avec l’invalidation, par le Conseil d’État, de la doctrine fiscale proposant de ne pas tenir compte des mesures législatives adoptées dans la loi de finances pour 2024. Explications sur cette décision qui conduit à supprimer la niche fiscale des bailleurs de locations meublées de tourisme.
Depuis plusieurs années, la crise du logement pousse de nombreuses voix à réclamer une réforme de la fiscalité des locations meublées de courte durée. Jusqu’à la loi de finances pour 2024 (Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023, JORF n° 0303 du 30 décembre 2023), cette fiscalité offrait un traitement assez favorable aux bailleurs.
La niche fiscale Airbnb
Au regard de l’impôt sur le revenu, les revenus issus des locations de locaux meublés constituent des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Leur taxation relève du régime réel d’imposition qui tient compte des frais réels, ou du micro-BIC, un régime d’imposition simplifié qui permet d’appliquer un forfait représentatif des frais et charges. Prévu par l’article 50-0 du Code général des impôts (CGI), le régime micro-BIC est réservé aux entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à certains plafonds, qui varient selon la nature de l’activité de location. Pour la location de locaux classés meublés de tourisme et de chambres d’hôtes, il s’appliquait dans la limite de 188 700 euros de chiffre d’affaires. Il prévoyait un abattement forfaitaire représentatif de charges de 71 % du chiffre d’affaires hors taxes. Ce régime a été désigné par ses détracteurs comme la niche fiscale Airbnb. Pour la location de logements meublés et de locaux de tourisme non classés, il s’appliquait dans la limite de 77 700 euros de chiffre d’affaires. Il prévoyait un abattement forfaitaire de 50 %. Les bailleurs peuvent opter pour le régime réel d’imposition quel que soit le montant du chiffre d’affaires réalisé. Les locations de meublés type Airbnb relevaient de l’abattement de 71 %. Comparativement, les locations nues classiques sous soumises, quant à elles, à un régime fiscal nettement moins attractif, à savoir : un abattement de 30 % et un plafond de 15 000 euros de revenus fonciers en vertu de l’article 32 du CGI.
Le loupé de la loi de finances pour 2024
Si le gouvernement avait inscrit quelques mesures relatives à la fiscalité locative dans le texte initial du projet de loi de finances pour 2024, il était resté muet sur le régime fiscal de la location meublée de courte durée, tant critiqué. Un amendement introduit par les députés en première lecture a prévu une réforme minimale, en alignant le régime fiscal des locaux meublés de tourisme sur celui des autres locations de meublés : le plafond de recettes de 188 700 euros était abaissé à 77 700 euros et l’abattement était abaissé de 71 % à 50 %. Un abattement supplémentaire de 21 % était prévu pour les locations de locaux classés meublés de tourisme en zone rurale, sous réserve que le chiffre d’affaires ne dépasse pas 50 000 euros. Jugeant cette mesure insuffisante, les sénateurs ont modifié le texte du projet de loi en première lecture. Leur mouture consistait à supprimer la niche fiscale Airbnb avec un plafond de recettes du micro-BIC unique à tous les locaux meublés de tourisme à 15 000 euros et un abattement pour frais et charges à 30 %. L’abattement supplémentaire de 21 % dans les zones peu denses était maintenu. En seconde lecture à l’Assemblée nationale, le gouvernement a cru pouvoir modifier la version transmise par le Sénat et revenir à sa mouture, à savoir le plafond du micro-BIC à 77 700 euros et l’abattement à 50 %. Le 21 décembre 2024, le projet de loi de finances pour 2024 a été adopté par l’Assemblée nationale en seconde lecture après que le gouvernement a engagé sa responsabilité sur le fondement de l’article 49-3 de la Constitution, lui permettant de faire passer ses dernières modifications sans discussion, ni en commission, ni en séance publique. Pourtant, le texte adopté n’est pas conforme à l’intention du gouvernement, loin de là. Selon une « erreur matérielle » comme évoqué par le gouvernement, le texte final retient un micro-BIC à tous les meublés de tourisme revu à la baisse avec un plafond de recettes à 15 000 euros et abattement à 30 %, auquel s’ajoute éventuellement un abattement supplémentaire de 21 % si l’ensemble de ses recettes ne dépassent pas 15 000 euros pour les meublés de tourisme classés hors zone tendue. Définitivement adopté sous l’article 45 de la loi de finances pour 2024, ce régime est applicable de façon rétroactive aux revenus perçus en 2023 imposables en 2024.
La doctrine fiscale en question
Conscient de sa bourde, le gouvernement a réagi le 20 décembre 2023 par la voix de son ministre délégué chargé des Comptes publics, Thomas Cazeneuve, assurant que « rien ne changera dans l’immédiat ». Cet engagement a été suivi de la publication le 14 février 2024 au BOFiP d’une actualité destinée à geler la mesure adoptée et à réintroduire les conditions fiscales avantageuses pour la location meublée de courte durée. L’administration fiscale indiquait : « Les dispositions de [l’article 45 de la loi de finances pour 2024] sont réputées s’appliquer aux revenus de l’année 2023, y compris lorsqu’elles ont pour effet de faire basculer des contribuables du régime des microentreprises vers un régime réel d’imposition du fait de la baisse du seuil de chiffre d’affaires d’application du régime des microentreprises. Cette modification impose aux contribuables concernés de reconstituer a posteriori une comptabilité commerciale pour l’année 2023. Les contribuables peuvent donc appliquer, dès l’imposition des revenus de l’année 2023, les modifications issues de l’article 45 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024. Toutefois, afin de limiter les conséquences d’une application rétroactive de cette mesure à des opérations déjà réalisées, il est admis que les contribuables puissent continuer à appliquer aux revenus de 2023 les dispositions de l’article 50-0 du CGI, dans leur version antérieure à la publication de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 » (BOI-BIC-CHAMP-40-20, paragraphe 55). Contestant cette réintroduction par voie d’instruction fiscale du régime fiscal favorable, source de concurrence, plusieurs acteurs de l’hôtellerie ont porté l’affaire en justice au côté de deux sénateurs, Ian Brossat (PCF) et Max Brisson (Les Républicains). L’Association pour un tourisme professionnel (ATOP), le Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR) et l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) ont formé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation du paragraphe 55 des commentaires administratifs publiés au Bofip.
Le Conseil d’État annule la tolérance administrative
Un référé avait été déposé le 14 mars 2023, jour de la publication des commentaires administratifs, par ces trois associations professionnelles et les sénateurs. Le 18 mars 2024, la haute juridiction administrative avait rejeté leurs requêtes : « Dès lors que les recours pour excès de pouvoir introduits par les requérants seront appelés à une audience dans les prochaines semaines (…) et qu’il n’apparaît pas, au vu des éléments apportés par les requérants, que la mise en œuvre de la mesure contestée caractériserait une situation d’urgence telle qu’elle justifie la suspension de son exécution sans attendre le jugement au fond » (CE, Juge des référés, 18 mars 2024, n° 492386). Sa décision sur le fond était donc très attendue.
C’est chose faite. Le 8 juillet 2024, le Conseil d’État a annulé le paragraphe 55 de l’actualité et ce faisant le maintien de la niche fiscale pour les locations meublées de type Airbnb (CE, 8e ch., 8 juillet 2024, n° 492382).
L’incompétence de l’administration pour ajouter à la loi
Tout d’abord, le Conseil d’État juge recevable le recours contre le commentaire administratif. « Cette interprétation émanant des services chargés d’établir l’assiette de l’imposition, qui ne se borne pas à renvoyer sans s’y substituer aux commentaires de la loi fiscale publiés sous la référence BOI-BIC-CHAMP-40-20, est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui, ayant réalisé au titre de l’année 2023 des activités entrant dans le champ d’application de l’article 50-0 du Code général des impôts, pourraient faire le choix de ne pas appliquer, pour la déclaration desdits revenus, les dispositions en vigueur depuis le 31 décembre 2023 ». Ensuite, le Conseil d’État écarte le moyen relatif à une prétendue restriction du champ d’application de la loi : « Les énonciations du deuxième alinéa du paragraphe 1 de l’actualité attaquée qui, introduites par l’adverbe “notamment”, se bornent à commenter les incidences de l’article 45 de la loi de finances pour 2024 sur le régime fiscal applicable aux activités de location de locaux meublés de tourisme non classés, ne comportent aucun commentaire relatif à l’application de ces dispositions aux locaux meublés de tourisme classés. Le moyen tiré de ce que ces dispositions restreindraient illégalement le champ d’application de l’article 50-0 du Code général des impôts, dans sa rédaction applicable à compter du 31 décembre 2023, ne peut qu’être écarté ».
En revanche, il considère que la tolérance administrative ajoute effectivement à la loi et que l’administration n’en a pas la compétence : « En indiquant, au sixième et dernier alinéa du paragraphe 1/ de l’actualité attaquée, les bénéficiaires de revenus entrant dans le champ de ces dispositions, ont la possibilité d’appliquer, pour la détermination de leurs bases d’imposition au titre de 2023, les dispositions de l’article 50-0 du Code général des impôts dans une rédaction qui n’était plus applicable auxdits revenus, par l’effet de la modification législative mentionnée au point 7, l’administration a incompétemment ajouté à la loi. Il y a lieu, par suite, d’annuler cet alinéa ».
Quels sont les effets de cette décision ?
La tolérance administrative ainsi annulée, l’application littérale des dispositions de l’article 50-0 du CGI telles que votées dans la loi de finances pour 2024 est désormais incontournable. Pour mémoire, le régime micro-BIC ainsi applicable prévoit :
• un plafond de recettes de 15 000 euros s’il s’agit de la location directe ou indirecte de meublés de tourisme au sens de l’article L. 324-1-1 du Code du tourisme ;
• un abattement de 30 % ;
• un abattement supplémentaire de 21 % pour le chiffre d’affaires afférent à leur activité de location de locaux classés meublés de tourisme, sous réserve que le chiffre d’affaires hors taxes n’excède pas, au cours de l’année civile précédente, 15 000 euros.
En principe, ce traitement plus sévère s’applique aux revenus 2023 qui ont été déclarés au printemps dernier. Toutefois, l’arrêt du Conseil d’État est intervenu après la campagne déclarative et il ne revêt pas de caractère rétroactif. Autrement dit les contribuables vont bénéficier des anciennes règles pour leurs revenus perçus en 2023. Pour la suite, la correction de la loi de finances devait s’inscrire dans la proposition de loi Remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue, sur laquelle le gouvernement avait engagé la procédure accélérée en novembre dernier. L’adoption de ce texte a été stoppée par la dissolution de l’Assemblée nationale après son passage en commission mixte paritaire en mai 2024. Il a été déposé en seconde lecture devant la nouvelle chambre le mardi 23 juillet 2024. Affaire à suivre dans la prochaine loi de finances ou non…
Référence : AJU014v0