Fiscalité foncière : demandez le nouveau calendrier de réforme !

Publié le 08/02/2023
Calendrier
Piman Khrutmuang/AdobeStock

La révision des bases cadastrales, très attendue par les collectivités locales, est retardée de deux ans. Le point sur cette réforme de grande ampleur qui devrait entraîner d’importants transferts de charges fiscales.

D’après l’Observatoire national des taxes foncières sur les propriétés bâties de l’UNPI, publiés en octobre 2022, dans les 200 villes les plus peuplées de France, la taxe foncière a progressé en moyenne de +4,7 % sur un an. Cette hausse n’était que de 1,3 % entre 2021 et 2022. Le poids de la taxe foncière a augmenté sous l’effet des hausses de taux votées par les collectivités locales mais également de la revalorisation légale des bases locatives. Chaque année, ces valeurs locatives sont majorées par application d’un coefficient forfaitaire applicable au niveau national. Ce coefficient est fixé en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH). Le niveau d’inflation actuel entraîne automatiquement les bases à la hausse +3,4 % en 2022 et +7,1 % en 2023. La réforme des bases locatives prévue pour 2026 devrait accentuer cette charge fiscale pour les propriétaires bailleurs. Cependant, dans le cadre du vote de la loi de finances pour 2023, le calendrier de la réforme des valeurs locatives des locaux d’habitation a été amendé.

Le calendrier de la réforme revu et corrigé

Prévue dans le cadre de la loi de finances pour 2020 (article 146 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020), l’actualisation des valeurs locatives des locaux d’habitation (RVLLH) qui reposent aujourd’hui sur les loyers constatés en 1970 constitue une réforme de grande ampleur. Ce chantier devait démarrer par une phase de collecte d’informations prévue au premier semestre 2023 afin d’obtenir un maximum de données sur les valeurs réelles du marché locatif grâce un dispositif de déclaration à l’administration des loyers pratiqués par propriétaires bailleurs de locaux d’habitation. Grâce à ces données, un rapport destiné à présenter la réforme aux contribuables et aux collectivités territoriales devait être rédigé avant le 1er septembre 2024. Les nouveaux secteurs et tarifs devant de base aux nouvelles valeurs locatives devaient être déterminés en 2025, pour que la réforme entrer en application pour le contribuable à partir du 1er janvier 2026. La loi de finances pour 2023 décale ce calendrier de deux ans afin de tenir compte notamment des travaux préparatoires complémentaires nécessaires pour fiabiliser les bases d’imposition actuelles, en amont de la campagne déclarative. Ces travaux seront conduits pour permettre un meilleur ciblage de la campagne et garantir une plus grande qualité des données recueillies et, par conséquent, une meilleure exploitation. Ce calendrier est également modifié pour tenir compte du décalage de la première actualisation sexennale des valeurs locatives des locaux professionnels. En effet, les modalités de mise en place de cette actualisation doivent apporter un éclairage utile à la mise en œuvre de la réforme pour les députés à l’origine de l’amendement qui a proposé ce report de calendrier. La phase de collecte d’information ne démarrera donc qu’en 2025. Et la réforme n’entrera en application qu’en 2028. Une mesure de report qui n’a pas convaincu les sénateurs pour qui les élus locaux sont « dans l’attente de la modernisation de leurs impôts ». Ils ont souligné que « l’établissement de bases reflétant mieux la valeur des locaux est un impératif de justice fiscale et un élément essentiel pour préserver le consentement à l’impôt et le lien fiscal entre le citoyen et sa commune ».

La notion de valeur locative cadastrale

Fixées par les services du cadastre avec le concours de la Commission communale des impôts directs, les valeurs locatives cadastrales servent à calculer les bases d’imposition des taxes directes locales. Lors de la révision générale de 1970, après une analyse des déclarations souscrites par chaque propriétaire, un zonage géographique a été établi et des valeurs de référence ou de comparaison ont été établies dans chaque zone, pour chaque type et catégorie de biens. Pour les locaux d’habitation, la valeur locative cadastrale d’un bien immobilier correspond à son loyer annuel aux conditions du marché. Cette valeur locative cadastrale est calculée par unité d’évaluation, l’unité étant le local, c’est-à-dire une propriété ou fraction de propriété faisant l’objet d’une utilisation distincte. La révision de 1970 a permis de choisir pour chaque zone les locaux représentatifs de chaque catégorie de locaux présents sur le territoire communal, afin de constituer une nomenclature de classement et fixer, suivant le cas, des tarifs (des valeurs au mètre carré pondéré) ou des valeurs locatives de référence par catégorie de local. La valeur locative cadastrale résulte de l’application de neuf paramètres qui interviennent dans la fiche de calcul : la surface totale des pièces et annexes affectées à l’habitation, la catégorie du logement, l’importance du logement, la surface des dépendances, le degré d’entretien, la situation générale, la situation particulière, l’existence ou non d’un ascenseur, l’équipement et le confort mesurés en équivalences superficielles. Pour obtenir la valeur locative cadastrale du local, on applique donc un tarif d’évaluation à la surface pondérée totale.

Des bases obsolètes

Initialement le législateur a prévu que les valeurs locatives cadastrales, fixées à la date de référence du 1er janvier 1970 pour les propriétés bâties ou du 1er janvier 1961 pour les propriétés non bâties seraient actualisées tous les trois ans et revalorisées chaque année pour prendre en compte l’évolution des loyers. En réalité, cette actualisation n’a eu lieu qu’une seule fois en 1980 permettant de mettre en place un premier coefficient d’actualisation 1980 reflétant l’évolution du marché locatif au niveau départemental entre 1970 et 1980. Chaque année à partir de 1981, on y a ajouté un coefficient de revalorisation nationale fixé chaque année en loi de finances. Ces valeurs locatives cadastrales sont désormais déconnectées de la réalité du marché locatif. Devenues obsolètes, elles entraînent de ce fait des répartitions d’impôts entre les contribuables qui peuvent être source d’iniquité. Si en 1970, les immeubles anciens de centre-ville ne disposaient pas de tout le confort moderne au contraire des immeubles neufs construits en périphérie des grandes villes, cinq décennies plus tard, le marché immobilier locatif a beaucoup changé et les bases de calcul de la valeur locative ont perdu leur pertinence. Les pouvoirs publics souhaitent depuis plusieurs années revoir ces bases, pour qu’elles soient plus en cohérence avec les loyers actuels. La révision des bases qui commencera désormais en 2025 a pour objectif de proposer un système d’évaluation simple et reflétant la réalité économique du marché locatif. Cette réforme se fonde sur le modèle de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels, reposant sur une révision initiale, et sur un dispositif de mise à jour permanent, permettant de prendre en compte au fur et à mesure les évolutions locales du marché locatif. Si la réforme est préparée à euro constant elle devrait cependant sérieusement rebattre les cartes de l’impôt comme l’a déjà montrée l’expérimentation menée en 2015.

La phase test de 2015

La révision des valeurs locatives des locaux d’habitation était déjà au programme de la loi de finances rectificative pour 2013 (loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, article 74). Elle a donné lieu à une première opération test initiée dans les départements de la Charente-Maritime (17), de l’Orne (61), de Paris (75), du Nord (59), et du Val-de-Marne (94). Pour que cette expérimentation soit représentative de la diversité de situation du marché selon les départements, il était en effet nécessaire de choisir des zones très urbaines, des zones rurales, des départements comportant de nombreuses communes, des zones très touristiques… Cette expérimentation avait pour objectif de faire le point sur les valeurs actuelles du marché locatif et de mesurer les écarts avec les valeurs locatives utilisées aujourd’hui, qui datent de 1970. Les conclusions de cette première phase test ont été sans ambiguïté. La révision des valeurs locatives des locaux d’habitation engendre potentiellement des transferts de charge importants entre les contribuables. Pour les appartements, les valeurs locatives issues du travail mené dans les cinq départements augmentent de 125 %, alors que pour les maisons d’habitation, elles augmentent de 185 %. Pour les petits appartements, l’augmentation serait de 223 %. En moyenne, les grandes maisons gagneraient à cette réforme tandis que les petits appartements y perdraient. En effet, la valeur du prix au mètre carré des petites surfaces est plus importante que la valeur au mètre carré des grandes surfaces d’habitation.

Des transferts de charges attendus

Une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP) de 2020 (Révision des valeurs locatives sur les locaux d’habitation : une évaluation sur grandes agglomérations, Rapport IPP n° 29 – décembre 2020) a évalué l’impact de cette révision sur la distribution des valeurs locatives dans le cas des vingt plus grandes agglomérations françaises hors Paris. À partir de données récentes sur le marché de l’immobilier, elle a estimé pour chaque logement une valeur locative révisée, qu’elle a comparé à la valeur locative actuellement utilisée pour les impôts locaux. Une telle analyse permet d’appréhender les changements d’allocation des impôts locaux entre ménages d’un même territoire que cette révision implique. L’étude conclut que la date de construction joue un rôle important : les logements construits avant 1950 verraient leur valeur locative augmenter de plus de 15 % en moyenne, alors que ceux construits dans les années 1960 et 1970 verraient leur valeur baisser en moyenne de 16 %. Les résultats de l’étude suggèrent que ces différences sont essentiellement associées à des changements de caractéristiques des biens, notamment dus à des rénovations et non pas à des phénomènes géographiques, comme des phénomènes de gentrification, même si par ailleurs, ils constatent une importante hétérogénéité des variations de valeurs locatives entre quartiers. L’analyse à l’échelle intercommunale révèle une survalorisation des villes centres, les sous-valorisations étant concentrées dans les villes périphériques. Ce résultat peut s’interpréter comme la conséquence des phénomènes d’étalement urbain qui ont augmenté la valeur des logements de certaines communes périphériques, une hausse non prise en compte dans les valeurs locatives utilisées actuellement. Les logements occupés par les ménages les plus modestes sont en moyenne survalorisés, contrairement aux logements occupés par les ménages les plus aisés, souligne encore l’étude. La révision entraîne ainsi pour l’échelon communal une baisse moyenne de 5,6 % des valeurs des 10 % des logements occupés par les ménages les plus modestes, et une hausse moyenne de 9 % pour les 10 % des logements occupés par les ménages les plus aisés. Pour faire face à ces transferts de charges, des dispositifs d’accompagnement, comme des mécanismes de lissage pourront permettre d’atténuer les effets de la révision des valeurs locatives cadastrales.

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