Fiscalité minimale des grandes entreprises : un calendrier accéléré

Publié le 07/10/2022

L’Europe veut agir rapidement pour mettre en place l’imposition minimale des sociétés. Le projet de directive de la Commission européenne jette les premières bases d’un niveau minimum d’imposition des bénéfices des entreprises multinationales.

C’était il y a un peu plus d’un an : les ministres des Finances du G7 annonçaient un accord historique pour réformer la fiscalité internationale. Cette réforme fiscale mondiale présentée le 5 juin 2021 a été développée dans le cadre inclusif de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20, un groupe de travail composé de 141 pays et juridictions. Ce groupe de travail s’est employé à trouver une solution consensuelle à l’échelle mondiale pour réformer le cadre international en matière d’imposition des sociétés, qui a abouti à un accord global entre 137 juridictions en octobre 2021. Pour relever les défis fiscaux de l’économie numérique, ils se sont concentrés sur une approche reposant sur deux piliers reflétant les deux thèmes principaux de discussion qui ont animé le groupe de travail. Le premier axe de la réforme repose sur une taxation des « géants du numérique et des multinationales surprofitables ». Il s’agit pour le G7 de réallouer les surprofits des multinationales les plus rentables en fonction des pays où elles créent de la valeur et non plus seulement là où elles sont juridiquement implantées. Le pilier 1 porte donc sur la réattribution partielle des droits d’imposition. Second axe de la réforme : mettre en place un impôt mondial des sociétés avec un taux d’imposition effectif minimal mondial d’au moins 15 % pour les entreprises de plus de 750 M€ de chiffre d’affaires. Le pilier 2 concerne donc le niveau minimum d’imposition des bénéfices des entreprises multinationales. En pratique, les grandes entreprises implantées en France et qui délocalisent leurs profits dans des pays où elles paient moins d’impôts paieront la différence à la France. Des milliers d’entreprises sont concernées au niveau mondial et le gain pour la France se compte en milliards d’euros de recettes fiscales en plus.

Concrétiser cet accord au sein de l’Union européenne

Le 19 mai dernier, le Parlement européen a approuvé la proposition de directive de la Commission transposant dans le droit de l’Union européenne l’accord international sur un taux d’imposition mondial minimum de 15 % pour les entreprises. La résolution approuve les éléments-clés de la proposition de la Commission, notamment le maintien du calendrier proposé et de la date limite de mise en œuvre fixée au 31 décembre 2022, afin de permettre une application rapide de la législation. Il s’agit de concrétiser l’engagement pris par l’Union européenne d’agir très rapidement et d’être parmi les premiers à mettre en œuvre l’accord global historique de réforme fiscale conclu par le cadre inclusif de l’OCDE et du G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Conformément à cet engagement, la directive applique le pilier 2 de l’accord global, en faisant de l’imposition minimale effective des sociétés au niveau mondial une réalité pour les grands groupes situés dans l’Union européenne. Elle définit la méthode de calcul de taux d’imposition effectif par juridiction et comprend des règles claires et juridiquement contraignantes qui garantiront que les grands groupes présents dans l’Union européenne paieront un taux minimum de 15 % pour chaque juridiction dans laquelle ils exercent une activité.

Ce projet de directive s’inscrit également dans un programme plus vaste, la vision globale de la fiscalité des entreprises dans l’Union européenne, présentée par la Commission le 18 mai 2021. La fiscalité des entreprises pour le XXIe siècle doit garantir l’équité et la transparence dans le domaine de la fiscalité des entreprises, répondre aux défis de demain et garantir le bon fonctionnement du marché unique. La présente directive s’articulera avec les mesures prévues dans ce programme ainsi que celles annoncées dans le plan d’action pour une fiscalité équitable et simplifiée, adopté en juillet 2020. En outre, d’ici à 2023, la Commission proposera un nouveau cadre pour l’imposition des entreprises dans l’Union européenne (BEFIT) afin de créer un environnement plus robuste mais aussi plus favorable aux entreprises au sein du marché unique.

Les entreprises concernées

La directive adaptera le champ d’application de l’accord inclusif pour inclure aussi les groupes purement nationaux, alors que le champ d’application du pilier 2 de l’OCDE est limité aux groupes multinationaux et qu’une entité mère soumet uniquement ses filiales étrangères à la règle d’inclusion du revenu. Cet écart par rapport aux règles types de l’OCDE est nécessaire afin de respecter les libertés fondamentales de l’Union européenne, en particulier la liberté d’établissement.

Les règles types de l’OCDE laissent aux juridictions la possibilité d’appliquer un impôt minimum national en fonction de certains critères. La proposition de la Commission permettra aussi aux États membres de l’Union européenne de faire usage de la possibilité d’appliquer un impôt supplémentaire national aux filiales nationales faiblement imposées. Grâce à cette possibilité, l’impôt supplémentaire dû par les filiales du groupe multinational pourra être perçu au niveau local, dans l’État membre concerné, et non au niveau de l’entité mère.

Les règles proposées s’appliqueront à tous les grands groupes, d’envergure nationale et internationale, ce qui inclut le secteur financier, qui génèrent plus de 750 millions d’euros par an de recettes financières cumulées et disposent d’une société mère ou d’une filiale située dans un État membre de l’UE. Conformément à l’accord du cadre inclusif de l’OCDE et du G20, les entités publiques, les organisations internationales ou sans but lucratif, les fonds de pension ou les fonds de placement qui sont des entités mères d’un groupe multinational ne relèveront pas du champ d’application de la directive relative au pilier 2 de l’OCDE. En effet, ces entités sont généralement exonérées de l’impôt sur les sociétés national. Enfin, l’accord exclut du champ d’application les revenus générés par le transport maritime international, ce secteur spécifique étant soumis à des règles fiscales particulières.

Le calcul de l’impôt

Dans l’accord du cadre inclusif de l’OCDE et du G20, une méthode transparente de calcul du taux d’imposition effectif a été convenue par les 137 pays concernés. La directive proposée tient compte de cette méthode. Les calculs seront effectués par l’entité mère ultime du groupe, sauf si le groupe désigne une autre entité. Le taux d’imposition effectif est établi par juridiction en divisant les impôts payés par les entités dans la juridiction par les revenus de celles-ci.

Si le taux d’imposition effectif applicable aux entités dans une juridiction donnée est inférieur au minimum de 15 %, alors les règles du pilier 2 sont appliquées et le groupe doit payer un impôt supplémentaire pour arriver à un taux de 15 %. Cet impôt supplémentaire est connu sous le nom de la « règle d’inclusion du revenu ». Ce supplément s’applique que la filiale se trouve dans un pays qui a adhéré ou non à l’accord international de l’OCDE et du G20.

Si le taux minimum mondial n’est pas appliqué par un pays tiers dans lequel une entité d’un groupe est établie, les États membres appliqueront ce que l’on appelle la « règle relative aux paiements insuffisamment imposés ». Il s’agit d’un filet de sécurité à la règle primaire d’inclusion du revenu. Cela signifie qu’un État membre percevra effectivement une part de l’impôt supplémentaire dû au niveau de l’ensemble du groupe si certaines juridictions dans lesquelles les entités du groupe sont établies appliquent un taux d’imposition inférieur au niveau minimal et ne prélèvent aucun impôt supplémentaire. Le montant de l’impôt supplémentaire qu’un État membre percevra auprès des entités du groupe situées sur son territoire est déterminé au moyen d’une formule basée sur les salariés et les actifs.

La directive vise à garantir un taux d’imposition effectif minimum mondial de 15 % pour les grands groupes exerçant leurs activités dans l’Union européenne.

Lorsque les recettes et les bénéfices dans une juridiction sont inférieurs à un montant minimal donné, alors aucun impôt supplémentaire ne sera dû sur les bénéfices du groupe générés dans cette juridiction, même si le taux d’imposition effectif est inférieur à 15 %. Il s’agit de « l’exclusion de minimis ».

Les sociétés pourront en outre exclure de l’impôt supplémentaire un montant de revenus correspondant au moins à 5 % de la valeur des actifs corporels et à 5 % des salaires : une « exception fondée sur la réalité économique ».

Le calendrier à venir

La balle est désormais dans le camp du Conseil qui doit adopter le texte final à l’unanimité. Le rapport, qui constitue la position du Parlement a été adopté par 503 voix pour, 46 contre et 48 abstentions. Il a été transmis au Conseil. Les éléments-clés de la proposition de la Commission ont été validés, notamment le maintien du calendrier proposé et de la date limite de mise en œuvre fixée au 31 décembre 2022, afin de permettre une application rapide de la législation. Les députés ont néanmoins apporté quelques modifications à la proposition de la Commission. Ils ont notamment introduit une clause de réexamen permettant de réviser le seuil de recettes annuelles au-dessus duquel une multinationale serait sujette au taux d’imposition minimum. Le rapport appelle également à une évaluation de l’impact de la législation sur les pays en développement. Les députés ont aussi souhaité réduire certaines exemptions proposées par la Commission, et limiter la possibilité d’abus en intégrant un article spécifique qui inclut des règles pour lutter contre les systèmes d’évasion fiscale. Pour la rapporteure Aurore Lalucq, l’accord trouvé sur ce texte « n’est pas parfait. Nous aurions par exemple souhaité obtenir un taux d’imposition plus élevé, mais c’est le résultat d’un compromis et, aujourd’hui, l’urgence est d’aboutir à un accord avec les ministres de l’UE pour une mise en œuvre rapide. Voilà ce qui a guidé notre vote aujourd’hui ».

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