France-Luxembourg : feu vert pour la nouvelle convention fiscale

Publié le 10/05/2019

Clauses anti-abus, imposition des sociétés à prépondérance immobilière, élimination de la double imposition par la méthode de l’imputation, redéfinition de l’établissement stable : cette nouvelle convention marque une étape importante dans la pratique conventionnelle de la France.

60 ans après leur premier traité (du 1er avril 1958), la France et le Grand-Duché du Luxembourg se sont dotés d’une nouvelle convention fiscale en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (en France : l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, les contributions sur l’impôt sur les sociétés, les contributions sociales généralisées, les contributions pour le remboursement de la dette sociale, l’impôt sur la fortune immobilière).

Signée le 20 mars 2018 par les deux pays, la procédure de ratification française a pris fin avec la loi n° 2019-130 du 25 février 2019, parue au JO n° 0048 du 26 février 2019. Alors que son entrée en vigueur était prévue pour le 1er janvier 2019, elle devrait être reportée à 2020, compte tenu des délais de ratification.

Sont concernés un nombre croissant de ressortissants et d’entreprises des deux pays : 2 380 entreprises luxembourgeoises sont installées en France tandis que 900 filiales françaises sont installées au Luxembourg.

Saluée comme une avancée dans la lutte contre l’érosion des bases fiscales, le texte s’aligne sur les standards issus des travaux BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), le Luxembourg ayant accepté les options auxquelles la France a souscrit ainsi que plusieurs dispositifs anti-abus inspirés du droit français, visant les montages « à but principalement fiscal ».

Nouvelle définition de la résidence

La première mise en conformité aux nouveaux standards de l’OCDE concerne la résidence. Désormais, un résident est une personne qui, en vertu de la législation d’un État contractant, est assujettie à l’impôt dans cet État contractant en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de son lieu d’exploitation. L’ancienne convention ne prévoyait pas de condition d’assujettissement à l’impôt pour conférer la qualité de résident, ce qui pouvait donner lieu à des situations de non-imposition.

Par conséquent, les entités luxembourgeoises non soumises à l’impôt sur les sociétés sortent du champ d’application de la convention. De même, en France, toutes les personnes structurellement exonérées d’impôt telles les OPCI, SICAV et FCP.

Quant aux sociétés de personnes, elles sont résidentes de l’État dans lequel elles ont leur siège de direction.

Redéfinition de l’établissement stable

Afin de lutter contre les multiples formes d’évitement du statut d’établissement stable destiné à éluder l’impôt, la nouvelle convention prévoit de nouvelles règles de définition de l’établissement stable. Ainsi, il ne sera plus possible d’échapper à l’impôt en France sur un contrat signé au Luxembourg dont la négociation a été menée par un agent en France placé dans une situation de dépendance vis-à-vis de la société luxembourgeoise signataire du contrat. De même, les compagnies ne pourront plus scinder leurs contrats pour empêcher artificiellement que les chantiers de construction ne dépassent douze mois et ne soient, à ce titre, imposés en France.

Sera considérée comme étant un établissement stable toute personne qui agit exclusivement ou quasi exclusivement pour le compte d’une entreprise à laquelle cette personne est étroitement liée sans que des arrangements de pure forme, tels que les schémas de commissionnaire, n’interdisent une telle qualification.

Cette évolution met fin à des schémas sophistiqués consistant à localiser artificiellement à l’étranger des activités commerciales ou à fragmenter des fonctions de l’entreprise au sein de plusieurs entités, pour échapper largement à l’impôt sans que l’actuelle convention ne puisse y faire obstacle. En témoigne l’affaire « Société Zimmer Ltd » (CE, 31 mars 2010 n° 304715) dans laquelle le Conseil d’État avait donné tort à l’administration fiscale en jugeant qu’un commissionnaire ne peut constituer un établissement stable de son commettant étranger, sauf fonctionnement anormal du contrat de commission.

Cession d’entreprise et transfert de siège

La convention comporte une clause de participation substantielle sur les gains en capital sous l’article 13, qui fixe une limite au principe selon lequel la vente de titres est imposée uniquement sur le lieu de résidence du bénéficiaire. Désormais, les gains réalisés par une personne physique résidant au Luxembourg lors de l’aliénation d’actions ou de parts faisant partie d’une « participation substantielle » (plus de 25 % des parts) d’une société française seront désormais imposés en France, si le cédant a été résident de France à un moment quelconque au cours des 5 dernières années précédant la cession.

Cette clause vise les entrepreneurs qui transfèrent le siège social de leur entreprise au Luxembourg pour bénéficier d’une imposition plus légère sur la vente des actions de ces sociétés. Elle se traduira par une répartition de l’imposition des gains en capital plus favorable à la France.

Dividendes : une définition élargie

Les dividendes visés par la nouvelle convention correspondent à une notion élargie. Est désormais qualifié de dividende « tout revenu soumis au régime des dividendes dans l’État de résidence de la société distributrice ». Côté français, cela conduit à viser les revenus réputés distribués et les bonis de liquidation. Si les dividendes sont, par principe, imposés dans l’État de résidence de leur bénéficiaire, la convention prévoit pour l’État de la source, la possibilité de les imposer à un taux n’excédant pas 15 % de leur montant brut des dividendes.

La retenue à la source est éliminée lorsque la société bénéficiaire détient directement au moins 5 % du capital de la société distributrice pendant une période minimale de 365 jours, conformément à la directive mère-fille (Dir. 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents).

Véhicules d’investissement collectif

La nouvelle convention prévoit que les OPC établis en France ou au Luxembourg et qui sont assimilés selon la législation de l’autre État contractant à ses propres OPC pourront bénéficier des avantages des dispositions conventionnelles relatives aux dividendes ou aux intérêts notamment. Cet avantage est toutefois conditionné à la fraction des revenus de l’OPC correspondant aux droits détenus par des personnes résidentes de l’un ou de l’autre des États contractants ou par des personnes résidentes de tout autre État avec lequel l’État contractant d’où proviennent les dividendes ou intérêts a conclu une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.

Les dividendes de SIIC et d’OPCI versés au Luxembourg sont soumis à une retenue à la source en France de 15 % lorsque le bénéficiaire effectif détient directement ou indirectement moins de 10 % de ce véhicule. Au taux de 30 % en cas de détention de 10 % ou plus du capital. La retenue à la source devrait donner droit à un crédit d’impôt imputable sur l’IS luxembourgeois.

Plus-values immobilières et SPI

Les plus-values immobilières sont imposées dans l’État de situation du bien. Toutefois, la France peut désormais appliquer sa législation en matière de taxation des plus-values de cession des titres de sociétés à prépondérance immobilière (SPI) lorsqu’elles résultent de l’aliénation d’actions, mais aussi de parts ou autres droits dans toute entité.

Déjà, l’avenant de 2014 avait mis fin à la situation de non-imposition de la vente d’un immeuble situé sur le sol français, logé au sein d’une société à prépondérance immobilière, elle-même abritée par un holding luxembourgeois. Le texte renvoyait au droit interne pour définir la prépondérance immobilière, la nouvelle convention précise la période durant laquelle la prépondérance immobilière doit être appréciée.

Désormais, les gains qu’un résident de Luxembourg tire de l’aliénation d’actions, parts ou autres droits dans une société, une fiducie ou toute autre institution ou entité sont imposables en France si, à tout moment au cours des 365 jours qui précèdent l’aliénation, ces actions, parts ou autres droits tirent plus de 50 % de leur valeur, directement ou indirectement, de biens immobiliers situés en France.

Clause anti treaty shopping

L’article 28 de la nouvelle convention prévoit le refus d’octroi des avantages conventionnels en cas de situation abusive. Il vise les cas de « treaty shopping », ou chalandage fiscal, lequel consiste pour une personne physique ou une personne morale à vouloir tirer parti des avantages prévus par la convention pour obtenir des bénéfices auxquelles elle n’aurait pas droit autrement.

Typiquement, l’article 28 pourrait trouver à s’appliquer dans le schéma suivant.

Une entreprise en France paie une redevance à une société-écran au Luxembourg qui la reverse par la suite à une entreprise située au Royaume-Uni. Ce « détour » par le Luxembourg a pour but de contourner les dispositions de la convention fiscale entre la France et le Royaume-Uni. La France va prélever une retenue à la source de 15 % sur ce flux de redevance. La nouvelle convention fiscale limite à 5 % la retenue à la source d’un flux de redevance entre la France et le Luxembourg. En vertu de l’article 28, le plafonnement du taux de retenue à la source peut être refusé à l’entreprise en France lorsqu’il est avéré que le montage a été élaboré principalement pour bénéficier de cet avantage.

Pour refuser le bénéfice de la convention, l’administration doit établir que le bénéfice de l’avantage conventionnel était l’un des objectifs principaux du schéma ayant entraîné directement ou indirectement l’octroi de cet avantage.

La situation des frontaliers

La question transfrontalière concerne plus de 100 000 résidents de Lorraine qui traversent la frontière luxembourgeoise pour travailler. Un accord supplémentaire est réclamé. Au cœur du problème : les nouvelles modalités d’imposition par les deux États. Jusqu’à présent, les revenus du travail étaient imposés selon la méthode dite d’exemption qui consiste à assujettir le travailleur que dans l’État où il exerce son activité. Désormais, la double imposition des revenus de source luxembourgeoise et perçus par des personnes résidentes de France est éliminée par l’imputation sur l’impôt français d’un crédit d’impôt (article 14). Le montant du crédit d’impôt dépend du type de revenus.

Cette méthode d’élimination de la double imposition consiste à imposer le contribuable au Luxembourg mais également en France. L’impôt français sera alors calculé après application d’un crédit d’impôt égal au montant payé au Luxembourg. Le crédit d’impôt ne pourra pas dépasser le montant de l’impôt français correspondant aux revenus concernés.

Deux situations peuvent se présenter. Si l’imposition française est plus lourde que celle du Grand-Duché, c’est l’imposition française qui servira de base. Si au contraire la taxation française est moins élevée qu’au Luxembourg, l’excédent de crédit d’impôt ne sera pas imputé. En pratique, compte tenu des écarts d’imposition, cela conduit à appliquer aux revenus luxembourgeois le barème de l’impôt français.

Télétravail de 30 jours

En cas de télétravail, l’application stricte du principe de l’imposition des travailleurs frontaliers sur leur lieu d’activité, à savoir le Luxembourg, aurait conduit à imposer ces travailleurs en France au prorata de chaque jour de télétravail depuis leur lieu de résidence. À des fins de souplesse, le Luxembourg a souhaité que, lorsque les travailleurs frontaliers télétravaillent moins de 30 jours par an, ils peuvent continuer à payer exclusivement leurs impôts au Luxembourg, dès lors qu’il s’agit de leur lieu principal d’activité. À titre de comparaison, le Luxembourg dispose d’accords de ce type avec l’Allemagne (20 jours) et la Belgique (24 jours).

Pensions : une concession faite au Luxembourg

S’agissant des pensionnés, la convention a maintenu à la demande du Luxembourg le principe de l’imposition par le pays source présent dans la précédente convention, par opposition à l’imposition sur le lieu de résidence généralement privilégié par la France.

La nouvelle convention fiscale mise en place par la France et le Luxembourg pourrait servir de modèle pour la renégociation des conventions fiscales liant la France et ses autres partenaires, en particulier la Belgique, la Suisse et les Pays-Bas. Malgré plusieurs avenants, ces traités sont datés : ils ne contiennent pas de clause anti-abus générale contre les montages ayant un objectif principalement fiscal, ni les nouvelles règles de définition de l’établissement stable d’entreprise, telles qu’elles ont été révisées dans le cadre du projet BEPS.