Fraude fiscale : une transaction de près d’un milliard d’euros
Fin des poursuites pour fraudes fiscales aggravées pour Google. Le GAFA a signé une convention judiciaire d’intérêt public avec Bercy, qui a été validée par le parquet national financier.
Le 12 septembre dernier, le président du tribunal de grande instance de Paris a validé la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), signée par le procureur de la République financier avec les sociétés Google France SARL et Google Ireland Ltd en matière de fraude fiscale. Par cette convention, ces sociétés s’engagent à verser une amende d’intérêt public d’un montant total de 500 millions d’euros qui abondera le budget général de l’État français. Cette convention règle au plan pénal la situation des sociétés Google France SARL et Google Ireland Ltd. S’inscrivant dans une démarche coordonnée avec l’administration fiscale, elle est adossée à un accord en matière fiscale portant sur les redressements pratiqués par l’administration fiscale, pour un montant de 465 millions d’euros. Cet accord signé avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) sous l’autorité du ministre de l’Action et des Comptes publics met un terme définitif à l’ensemble des contentieux en cours relatifs à l’imposition de Google en France. « Nous avons mis fin aux différends fiscaux et connexes que nous avions en France depuis de nombreuses années », a communiqué le groupe Google à l’issue de l’audience au tribunal. Des accords ont été également signés au Royaume-Uni et en Italie. Outre le paiement de 500 millions d’euros, ces accords comprennent un montant de 465 millions d’euros en taxes additionnelles que le groupe a accepté de payer. Avec cette convention, qui met fin aux poursuites pour fraude fiscale aggravée engagées en 2015 par le parquet national financier (PNF), Google reconnaît que les faits reprochés peuvent correspondre au délit de fraude à l’impôt sur les sociétés. Le parquet national financier reprochait à Google de s’être abstenu de payer plus de 189 millions d’euros d’impôts au fisc français entre 2011 et 2016. L’État retirera par conséquent son pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Pour Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, « cet accord est historique, à la fois pour nos finances publiques et parce qu’il marque la fin d’une époque. En normalisant la situation fiscale de Google en France, il répond à l’exigence de justice fiscale de nos concitoyens ».
Un nouvel instrument juridique
La convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), inspirée du « Deferred Prosecution Agreement » américain, a été instaurée dans le cadre de la loi n° 2016-1 691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II. Les conditions de son application ont été précisées par la circulaire du 31 janvier 2018 et la dépêche du 21 mars 2019 de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) qui comporte notamment en annexe un « guide de la convention judiciaire d’intérêt public », ainsi que par un document publié par le parquet national financier (PNF) et l’Agence française anticorruption (AFA), apportant des précisions pratiques sur l’application de ce nouvel instrument juridique. Cette procédure est considérée par les pouvoirs publics comme un outil efficace de lutte contre la corruption, notamment dans sa dimension transnationale. Ce mode de poursuite alternatif constitue une réponse pénale plus rapide et mieux adaptée à la singularité de certaines procédures. Cette justice transactionnelle permet à l’autorité publique de concilier deux objectifs : sanctionner sévèrement et rapidement les entreprises tout en permettant la poursuite de leur activité.
Les premières CJIP pour fraude fiscale
La CJIP permet à l’origine aux entreprises de négocier une amende afin d’éviter des poursuites, sans reconnaissance de culpabilité, pour les cas de corruption, trafic d’influence ou de blanchiment de fraude fiscale. Cette nouvelle procédure a été codifiée aux articles 41-1-2 et 180-2 dans le Code de procédure pénale. Cette procédure a été utilisée pour la première fois en novembre 2017 par HSBC Private Bank afin d’éviter un procès pour blanchiment de fraude fiscale. La banque a été mise en examen des chefs de démarchage bancaire et financier illicite et de blanchiment aggravé de fraude fiscale. La banque a reconnu l’existence des faits et accepté leur qualification légale. Le profit illicite dégagé par la banque a été estimé à 86 millions d’euros. La transaction a été conclue entre HSBC Private Bank et le parquet national financier pour un montant de 300 millions d’euros. La deuxième procédure a été conclue en mai 2018 entre la Société Générale et le parquet national financier pour un montant de plus de 250 millions d’euros, pour des faits de corruption d’agents publics prévus et réprimés par l’article 435-3 du Code pénal. La loi relative à la lutte contre la fraude du 24 octobre 2018 a étendu la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) à la fraude fiscale. Cette possibilité a été adoptée par le gouvernement par voie d’amendement, maintenant le blanchiment des délits de fraude fiscale dans le champ d’application de la CJIP, tout en permettant son extension aux délits de fraude fiscale. Cette possibilité a été utilisée pour la première fois par la société Carmignac Gestion sous le coup d’une enquête préliminaire pour fraude fiscale ouverte par le parquet national financier en 2017, à la suite d’une plainte déposée par la direction régionale des finances publiques d’île-de-France. L’accord mis en place repose sur le paiement d’une amende de 30 millions d’euros outre le montant des impôts éludés déjà acquittés auprès de l’administration fiscale, soit 11 143 832 euros au titre des années 2010 à 2014 et des pénalités fiscales. Avec l’affaire Google, la CJIP est utilisée pour la quatrième fois en France et pour la deuxième fois pour fraude fiscale.
Une enquête judiciaire en cours
Le règlement de ce dossier dans son volet pénal comme de contrôle fiscal, après deux ans de travail, est rendu possible par la réforme portée par la loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018 qui a élargi la CJIP, jusque-là réservée aux dossiers de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment de fraude fiscale, aux cas de fraude fiscale et, surtout au cas présent, qui a autorisé le règlement par voie transactionnelle de dossiers fiscaux faisant l’objet d’une enquête judiciaire en cours. « La conclusion de cette affaire montre que la justice financière dispose dorénavant d’outils efficaces pour lutter contre la fraude fiscale. L’égalité devant l’impôt est l’un des principes fondateurs de notre pacte républicain. Notre détermination à faire respecter ce principe est essentielle pour restaurer la confiance de nos concitoyens dans l’action de l’État », a commenté Nicole Belloubet, garde des Sceaux.
Cette CJIP intervient en effet à l’issue d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet national financier, le 16 juin 2015, à la suite d’une plainte déposée par la direction régionale des finances publiques d’Île-de-France sur le fondement d’un défaut de souscription par la société Google Ireland Ltd de déclarations à l’impôt sur les sociétés au titre des exercices fiscaux 2011 à 2014. L’enquête, menée notamment du chef de fraude fiscale, a été confiée à la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale de la Direction centrale de la police judiciaire. L’impôt sur les sociétés n’était pas le seul impôt contesté, les contentieux portaient aussi sur la taxe sur la valeur ajoutée, la taxe professionnelle et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ainsi que sur une retenue à la source portant sur des redevances versées à la société Google Netherlands Holding BV, dont le siège est aux Pays-Bas.
L’affaire Google
Bercy fondait la procédure d’imposition sur l’existence en France d’un établissement stable. Dans les faits, la société Google France, filiale de Google Inc., société américaine, fournit à Google Ireland Limited (GIL), elle aussi filiale de Google Inc., une assistance commerciale et des conseils à ses clients français (GIL commercialisant en France un service payant d’insertion d’annonces publicitaires, AdWords). Google France joue un rôle prépondérant et central dans l’activité de GIL, démarchant les clients, leur présentant les services et, d’après l’administration fiscale française, réalisant l’essentiel des opérations à la seule exception de la validation formelle des annonces mises en ligne, qui relève de GIL. Les relations entre la société Google Ireland Limited et la SARL Google France sont définies par un contrat de prestation de services énumérant précisément et limitativement les missions confiées à la société française, qui est rémunérée par la société irlandaise en fonction des dépenses qu’elle expose, majorées d’une marge, et imposée en France sur ses bénéfices. Dans plusieurs jugements très médiatisés et rendus le 12 juillet 2017 par le tribunal administratif de Paris, le juge administratif n’a pas suivi la position de l’administration fiscale. Pour le tribunal administratif de Paris, malgré l’importance de Google France dans le processus commercial de GIL en France, la seule circonstance que la validation des annonces mises en ligne relève exclusivement de GIL suffit à priver Google France de la qualité d’établissement stable : Google France ne dispose pas du pouvoir d’engager GIL (TA Paris, 12 juill. 2017, , n°s 1505113/1-1, 1505126/1-1, 1505147/1-1, 1505165/1-1 et 1505178/1-1, Société Google Ireland Limited). Or la convention fiscale franco-irlandaise exige, pour reconnaître la qualité d’établissement stable, non seulement une dépendance de l’agent commissionnaire à l’égard de la société de l’autre pays, mais aussi la disposition de « pouvoirs qu’il exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l’entreprise » (article 2 § 9, c de la convention). Dès lors, et même si GIL se bornait à une validation formelle sous la forme d’un contreseing, la qualité d’établissement stable de cette entreprise ne pouvait être reconnue à Google France.
La position du juge d’appel
En avril dernier, saisie par le ministre de l’Action et des Comptes publics de cinq requêtes d’appel dirigées contre ces jugements, la cour administrative d’appel de Paris a confirmé que la société Google Ireland Limited n’était pas imposable en France au titre des années 2005 à 2010 (CAA Paris, 25 avr. 2019, n° 17PA03065 ; CAA Paris, 25 avr. 2019, n° 17PA03066 ; CAA Paris, 25 avr. 2019, n° 17PA03067; CAA Paris, 25 avril 2019, n° 17PA03068 ; CAA Paris, 25 avril 2019, n° 17PA03069). S’agissant de l’impôt sur les sociétés, l’administration fiscale a estimé que la convention fiscale entre la France et l’Irlande permettait d’imposer la société Google Ireland Limited en France au motif qu’elle y exerçait une activité de vente de publicité par l’intermédiaire d’un établissement stable, la SARL Google France. L’administration fiscale s’est donc efforcée de démontrer que la SARL Google France était placée sous la dépendance de la société Google Ireland Limited et que ses salariés disposaient des pouvoirs leur permettant de conclure des contrats au nom de la société irlandaise. Ces deux conditions étaient en effet nécessaires pour que soit applicable la stipulation de la convention fiscale applicable en l’espèce qui prévoit une imposition des bénéfices en cas de présence d’un établissement stable en France. En l’espèce, la cour administrative d’appel de Paris a admis que la première de ces conditions était remplie mais, après avoir analysé les relations contractuelles entre les deux sociétés, celles entre la société irlandaise et ses clients français et les éléments invoqués par l’administration pour tenter de prouver que, malgré la lettre des contrats, les salariés de la société française disposaient en réalité de pouvoirs leur permettant d’engager la société irlandaise dans une relation contractuelle avec ses clients français, elle a considéré que la seconde condition n’était pas remplie. L’administration fiscale faisait également valoir devant le juge d’appel, à titre subsidiaire, que la société Google Ireland Limited devait être regardée comme disposant en France d’une installation fixe d’affaires constituée par les locaux et le personnel de la SARL Google France. La cour administrative d’appel de Paris, considérant que ceux-ci n’étaient à la disposition que de la société française, pour son activité propre dans le cadre du contrat de prestation de services la liant à la société irlandaise, n’a pas validé cette thèse. S’agissant des autres impositions (TVA, taxe professionnelle, CVAE et retenue à la source), la Cour a, de la même manière, confirmé les jugements de première instance qui ont déchargé la société Google Ireland Limited des redressements fiscaux dont elle avait fait l’objet.