Générosité et fiscalité

Publié le 06/06/2019

Avec le passage de l’ISF à l’IFI et la mise en place du prélèvement à la source, l’élan philanthropique, traditionnellement soutenu par une fiscalité sur-mesure tend à s’essouffler. Faut-il renforcer les dispositifs existants pour soutenir la collecte ?

Les réformes fiscales de 2018 ont pesé sur la générosité des Français, d’après la 6e édition du baromètre annuel du don ISF-IFI, réalisé par les Apprentis d’Auteuil. « 2018 a été une année particulièrement difficile en termes de collecte pour les Apprentis d’Auteuil, et nous restons inquiets pour 2019, témoigne, Stéphane Dauge, directeur communication et collecte des Apprentis d’Auteuil. La fondation accueille plus de 27 000 jeunes et plus de 5 800 familles fragilisés aux besoins grandissants. Nous devons continuer à leur proposer un accompagnement de qualité, personnalisé et toujours innovant, afin de les aider à trouver leur place dans notre société ». L’association des Apprentis d’Auteuil a enregistré en 2018 une baisse de 19 % de sa collecte auprès du grand public. Et le montant moyen du don s’est élevé à 1 973 €. Le montant moyen de dons déclaré a chuté de plus de 500 € par rapport à 2018. Ce chiffre, qui passe pour la première fois sous la barre des 2 000 €, est le plus bas depuis la création du baromètre en 2014. En revanche, la fréquence de don reste stable, tout comme le nombre d’organismes auxquels les donateurs ont fait un don : 4,5 dons par an en moyenne, contre 4,4 déclarés en 2018. 81 % d’entre eux ont effectué des dons à plus d’un organisme (- 2 points par rapport à 2018).

Une fiscalité attractive

L’essor de la philanthropie en France est fortement corrélé avec la fiscalité attractive qui est réservée aux dons des particuliers comme à ceux des entreprises. En application de l’article 200 du Code général des impôts (CGI), les dons consentis par les particuliers à certains organismes d’intérêt général ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu égal à 66 % de leur montant pris en compte dans la limite de 20 % du revenu imposable. Le taux de la réduction d’impôt est porté à 75 % pour les dons aux organismes d’aide aux personnes en difficulté, dans la limite de 521 € de versements pour l’imposition des revenus de 2011. Cette réduction, dite IR-Don, est réservée aux dons effectués au profit d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général ayant un caractère notamment philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel. Les dons déduits de l’impôt sur le revenu ont augmenté de + 70 % en 10 ans entre 2005 et 2015 (Observatoire de la philanthropie – Fondation de France, avr. 2018). 15 % des foyers français sont concernés, ce qui constitue un phénomène de masse même si en réalité les foyers déclarant plus de 60 000 euros de revenus annuels représentent 20 % des donateurs et 40 % du montant des dons déclarés. La progression du don n’apparaît pas seulement liée à l’augmentation du nombre de foyers déclarant des dons (+ 20 % sur la période), mais également au fait que chaque foyer donne plus qu’avant. La contribution moyenne a augmenté de 44 % au cours de cette dernière décennie, passant de 320 à 460 euros. Surtout, la croissance totale de la masse des dons est très fortement liée à la croissance du revenu imposable total qui a été de 28 % sur la période, pour une progression de plus d’un quart de la part des dons déclarés dans l’utilisation du revenu.

L’impact de la fiscalité

L’impact de la fiscalité a été particulièrement net au regard de la réduction ISF. Depuis 2007 et la loi Tepa, les personnes assujetties à l’ISF avaient la possibilité de déduire de leur ISF jusqu’à 75 % des dons effectués à certains organismes, en particulier les fondations reconnues d’utilité publique. La réduction d’ISF, instaurée par la loi Tepa du 21 août 2007, s’élevait à 75 % des sommes données, dans la limite de 50 000 € par an. La limite était atteinte par un don de 67 000 €. Les bénéficiaires de ces dons étaient les établissements de recherche ou d’enseignement supérieur ou artistique, fondations reconnues d’utilité publique, entreprises d’insertion et entreprises de travail temporaire d’insertion, ateliers et chantiers d’insertion… La réduction d’ISF était massivement utilisée. D’après le baromètre Dons ISF/2017 publié l’an dernier par les Apprentis d’Auteuil, 50 %  des donateurs avaient déduit une partie de leurs dons de leur ISF. L’attachement des personnes assujetties à l’ISF à ces dispositifs était marqué. Ils étaient 87 % à considérer ce mécanisme utile. Ils étaient également nombreux à le trouver facile à mettre en œuvre (83 %) et surtout financièrement intéressant (74 %). Pour 93 % d’entre eux, ce dispositif constituait une opportunité de reprendre la main sur leur impôt et de décider de son affectation.

L’impact de la retenue à la source

Dès l’annonce de la mise en place du prélèvement à la source, les acteurs de la philanthropie se sont inquiétés de ses conséquences sur le dispositif IR-Don et sur la collecte. Et 27 % des sondés attribuent la baisse de la collecte observée cette année à cette réforme, d’après la 6e édition du baromètre annuel du don ISF-IFI. Pourtant les mécanismes de la déduction d’impôts pour don ont été préservés. Depuis le 1er janvier 2019, l’impôt sur le revenu est prélevé directement sur les salaires, les pensions ou les allocations perçues par chaque contribuable en 2019. Conformément au principe de l’année blanche, les revenus non exceptionnels perçus en 2018 ne seront pas soumis à imposition. Le bénéfice des réductions et des crédits d’impôt, y compris les dons aux associations d’intérêt général, acquis au titre de 2018, est maintenu. Ainsi, les dons effectués aux associations au cours de l’année 2018 seront pris en compte au moment de la déclaration de revenus effectuée au printemps 2019. La réduction d’impôt sera imputée au moment du solde de l’impôt à la fin de l’été 2019. Les associations d’intérêt général continueront à envoyer les reçus fiscaux relatifs aux dons selon les procédures habituelles. Quant aux dons effectués au cours de l’année 2019, ils seront déclarés courant 2020. Mi-2020, une régularisation aura lieu, dans laquelle entreront en compte les dons effectués en 2019. Les donateurs réguliers, ou ceux ayant une prévisibilité de leurs dons et donc de leurs déductions fiscales, devraient pouvoir demander une modulation du taux de prélèvement transmis par le service des impôts à l’employeur, chargé de collecter l’impôt, leur permettant, dès 2019, d’adapter leur situation fiscale.

La création de l’IFI

Si le dispositif de réduction d’impôt pour don créé dans le cadre de l’ISF a été repris pour le nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI), cette réforme a eu des conséquences significatives sur la générosité des donateurs. Si le seuil d’entrée dans l’IFI est identique à celui d’entrée dans l’ISF : 1,3 million d’euros de patrimoine net taxable, seuls les actifs immobiliers entrent dans ce patrimoine taxable, y compris la résidence principale, qui bénéficie, comme dans le cadre de l’ISF, d’un abattement de 30 %. Le recentrage du dispositif sur les seuls actifs immobiliers, fait mécaniquement baisser le nombre de foyers concernés par l’impôt d’environ 350 000 à 150 000, diminuant d’autant les contribuables éligibles à la réduction d’impôt pour dons. D’après la 6e édition du baromètre annuel du don ISF-IFI, 22 % des sondés attribuent la baisse de la collecte observée cette année à la réforme de l’IFI.

L’IFI est calculé en appliquant le barème suivant :

– jusqu’à 800 000 € : 0 % x 10 ;

– entre 800 001 € et 1 300 000 € : 0,5 % ;

– entre 1 300 001 € et 2 570 000 € : 0,7 % ;

– entre 2 570 001 € et 5 000 000 € : 1 % ;

– entre 5 000 001 € et 10 000 000 € : 1,25 % ;

– supérieur à 10 000 000 € : 1,5 %.

Le mécanisme de plafonnement a été maintenu. L’IFI est plafonné en fonction du montant cumulé des impôts payés par le contribuable, c’est-à-dire que la somme de l’impôt sur le revenu N, des prélèvements sociaux, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de l’IFI N +1 ne peut dépasser 75 % des revenus perçus au cours de l’année 2017. En cas de dépassement, la différence est déduite du montant d’IFI à payer. Les donateurs peuvent réduire leur impôt à hauteur de 75 % du montant de l’ensemble des dons effectués, dans la limite de 50 000 € par an. S’il n’est pas possible d’utiliser l’intégralité des dons à la réduction IFI, le contribuable peut affecter la fraction non utilisée pour réduire son impôt sur le revenu. Si les deux réductions d’impôt ne sont pas pleinement cumulables, le contribuable peut décider de la part de ses dons qui seront affectés à l’IFI ou à l’impôt sur le revenu.

Pas de transfert des sommes économisées vers le don

La proportion de donateurs parmi les anciens assujettis à l’ISF a diminué : 77 % ont effectué au moins un don à une fondation ou à un organisme caritatif au cours de l’année passée, contre 82 % l’année précédente. Les donateurs anciennement assujettis à l’ISF et qui n’ont pas payé l’IFI cette année n’ont pas transféré les sommes économisées vers des dons. Elles ont majoritairement affecté leurs économies d’impôt aux dépenses de consommation (42 %), à l’épargne classique (41 %) ou encore à des investissements dans des entreprises (29 %), à des dons à leurs proches (23 %), à des investissements immobiliers (12 %) bien devant les dons à des organismes d’intérêt général (11 %). Ces chiffres ont surpris le secteur qui, l’an passé, avait anticipé près du double de transfert des sommes économisées vers le don (21 %) d’après le baromètre du don ISF/IFI 2018, publié en avril 2018, par les Apprentis d’Auteuil. Un défaut d’information est-il en cause ? Les redevables savent-ils qu’ils peuvent bénéficier du même mécanisme de réduction d’impôt que pour l’ISF ? C’est une source d’inquiétude pour le secteur des organismes sans but lucratif (OSBL). L’an passé, plus d’un tiers (37 %) des sondés se disait mal informée sur le nouvel impôt sur la fortune immobilière et près de la moitié (44 %) s’estimait mal informé sur les modalités de réduction d’impôt don IFI. Ainsi, moins d’un sondé sur deux (49 %) savait qu’il lui était toujours possible de réduire autant son impôt en donnant à certains organismes caritatifs. Cette année, le déficit d’information est moins patent. 72 % des sondés s’estiment bien informés sur le nouvel impôt (règles d’imposition, placements exonérés, dispositions concernant les dons…). Ils n’étaient que 63 % en 2018 à considérer être bien informés. Mais seuls 27 % ont le sentiment de l’être « très bien » et plus d’un sur 4 se considère même comme étant mal informé (28 %). 61 % des personnes interrogées s’estiment bien informées sur les modalités de réduction de l’IFI au titre de dons faits à des organismes caritatifs, vs 56 % en 2018. Mais seulement 20 % disent l’être « très bien » et 38 % avouent ne pas l’être. Les assujettis à l’IFI sont mieux informés (64 %) que les non assujettis (59 %).

Et demain ?

D’après la 6e édition du baromètre annuel du don ISF-IFI, réalisé par les Apprentis d’Auteuil, le nombre de personnes qui ont l’intention de réaliser un don (80 %) demeure stable par rapport à 2018, les assujettis à l’IFI se montrant plus nombreux (89 %, + 7 par rapport à 2018) que les non assujettis (75 %, + 1). Si 39 % des donateurs comptent augmenter le montant consacré aux dons en 2019, 16 % envisagent de diminuer leurs dons. La hausse envisagée par les donateurs qui souhaitent augmenter leur don, ne compense pas la baisse prévue par ceux qui souhaitent le diminuer. Le montant de don annoncé par les anciens assujettis à l’ISF ne s’élève qu’à 1 944 € en moyenne, contre 1 973 € en 2018, soit 29 € de moins. D’après la 6e édition du baromètre annuel du don ISF-IFI, réalisé par les Apprentis d’Auteuil, 78 % des personnes interrogées estiment qu’il est essentiel ou important de mettre en place de nouveaux dispositifs fiscaux incitatifs pour encourager la générosité.

À cet égard, l’incendie de Notre Dame a réveillé l’intérêt pour les dispositifs fiscaux, réservés aux dons. Des mesures spécifiques ont été mises en place afin de renforcer ces dispositifs incitatifs. Dès le premier jour, Jean-Jacques Aillagon à l’origine du régime actuel du mécénat créé dans le cadre de la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, votée alors qu’il était ministre de la Culture et de la Communication, a demandé que les incitations fiscales soient augmentées, notamment en reconnaissant à la cathédrale le caractère de « Trésor national ». Les entreprises qui effectuent des versements afin d’acheter un « Trésor national » pour le compte de l’État peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 90 % des sommes investies (CGI, art. 238 Bis – OA). La notion de « Trésor national » vise des biens culturels qui, présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie et ont en conséquence fait l’objet d’un refus temporaire de sortie du territoire. Ces biens culturels ne peuvent être exportés pendant une période de 30 mois. Dans ce délai, l’État peut présenter au propriétaire une offre d’achat qui tient compte des prix sur le marché international. Afin de permettre de financer cette acquisition, il peut solliciter les entreprises. La réduction d’impôt, qui ne peut être supérieure à 50 % du montant de l’impôt dû par l’entreprise, s’applique sur l’impôt dû au titre de l’exercice au cours duquel les versements ont été acceptés par les ministres chargés de la Culture et du Budget.

Le dispositif a été appliqué pour la première fois, en février 2003, quand l’entreprise PGA Holding a permis l’acquisition par l’État, d’un trésor national constitué par l’ensemble de neuf grands panneaux décoratifs de Jean-Baptiste Oudry, désormais exposé au Louvre. Depuis, il est utilisé très régulièrement. Si l’entreprise souhaite acquérir un trésor national et en rester propriétaire, la déduction d’impôt est alors limitée à 40 % des dépenses engagées (CGI, art. 238 Bis – O AB). Ce dernier dispositif n’est généralement pas utilisé. Si le gouvernement a indiqué que le concept de trésor national ne pouvait être appliqué dans le cas de Notre Dame, la cathédrale ne pouvant être exportée et donc soumise à une interdiction de sortie du territoire, il a choisi d’augmenter la réduction d’impôt sur le revenu. Le projet de loi prévoit une réduction d’impôt de 75 % et de 66 % au-delà de 1 000 euros pour les dons effectués par les particuliers.

LPA 06 Juin. 2019, n° 144k3, p.7

Référence : LPA 06 Juin. 2019, n° 144k3, p.7

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