La CIF publie son rapport d’activité pour 2022
La Commission des infractions fiscales (CIF) est une commission indépendante dont l’avis lie l’administration dans la répression de la fraude fiscale. Son activité est profondément impactée par la réforme du verrou de Bercy. Bilan d’étape.
Organisme indépendant créé dans les années soixante-dix, la Commission des infractions fiscales (CIF) élabore chaque année à l’attention du gouvernement et du Parlement un rapport d’activité, qui fait l’objet d’une publication, dans lequel figure notamment le nombre de dossiers reçus et examinés, le nombre d’avis favorables et défavorables émis, répartis par impôts et taxes, ainsi que par catégories socioprofessionnelles, en précisant le montant des droits visés pénalement. La CIF examine pour avis conforme les plaintes portant sur des faits autres que ceux soumis à dénonciation obligatoire et tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre. Entrent dans le champ de compétence de la CIF, pour ces seuls impôts, les délits de l’article 1741 du CGI c’est-à-dire la soustraction ou la tentative de soustraction frauduleuse à l’établissement ou au paiement de l’impôt, ceux de l’article 1743 du CGI correspondant à l’omission de passation d’écritures ou la passation d’écritures inexactes ou fictives entachant la régularité de la comptabilité ou bien encore les délits de l’article 1772 du CGI, c’est-à-dire l’organisation de fausses comptabilités par un professionnel.
Une commission administrative indépendante
La CIF tire son indépendance de son fonctionnement impartial ainsi que de sa composition. Présidée par un conseiller d’État, la commission comprend, aux termes de l’article 1741-A du Code général des impôts, vingt-huit membres : huit membres du Conseil d’État, huit magistrats de la Cour des comptes, huit magistrats honoraires à la Cour de cassation, tous élus par leurs institutions respectives, ainsi que quatre personnalités qualifiées désignées respectivement et à parité par le président de l’Assemblée nationale et par le président du Sénat. La CIF examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du Budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui l’invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu’il jugerait nécessaires. Le ministre est lié par les avis de la CIF. L’avis de la commission est notifié par son président au ministre chargé du Budget. Le contribuable est informé de l’avis par le secrétariat de la CIF s’il est défavorable à l’engagement des poursuites ou, le cas échéant, par l’administration fiscale à l’occasion du dépôt de plainte. L’avis de la commission est un avis conforme, qui place le ministre dans une situation de compétence liée. Lorsque l’avis est favorable, les plaintes sont déposées par le service chargé de l’assiette ou du recouvrement de l’impôt territorialement compétent, c’est-à-dire en pratique le directeur départemental des finances publiques. Le contribuable est préalablement mis en demeure de régulariser sa situation.
L’impact de la réforme du verrou de Bercy
L’activité de la Commission des infractions fiscales (CIF) en 2022 est en diminution. Cette baisse d’activité est consécutive à la réforme opérée par la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude imposant à l’administration de dénoncer au procureur de la République des faits de fraude de plus de 100 000 € examinés dans le cadre de ses contrôles, sans dépôt de plainte préalable et donc sans consultation de la CIF. Cette réforme a permis de supprimer ce qui était qualifié de « verrou de Bercy », un mécanisme quasi centenaire, puisque institué en 1920, et permettant de réserver le monopole du dépôt des plaintes pour fraude fiscale au ministre du Budget, après avis obligatoire d’un (CIF). En matière de fraude fiscale, le parquet ne pouvait donc mettre seul en mouvement l’action publique. Conçu à l’origine comme un mécanisme protecteur pour les intérêts des contribuables, ce dispositif a concentré les critiques pendant quelques années, notamment après l’affaire Cahuzac qui a éclaté en 2013. Un large consensus s’est fait sur la nécessité de réformer ce dispositif d’exception, perçu désormais non seulement comme un obstacle à la justice, mais aussi comme une atteinte à l’égalité entre les citoyens et les justiciables, à la séparation des pouvoirs et à la liberté de poursuite des magistrats.
Une activité en baisse
La CIF a été saisie en 2022 de 270 propositions de poursuites pénales, contre 286 en 2021, 309 en 2020, 575 en 2019, 964 en 2018, 973 en 2017, 944 en 2016 et 1 061 en 2015. Elle a tenu 24 séances contre 25 séances en 2021, 34 en 2020, 53 en 2019 et de 60 à 70 au cours des années précédentes. La diminution des saisines de la CIF correspond à la progression des dénonciations obligatoires. Cet impact est d’autant plus mécanique que la CIF est tributaire des dossiers que lui transmet l’administration. En effet, à l’exception des faits donnant lieu aux dénonciations pour lesquelles sa compétence est liée, l’administration transmet des dossiers à l’administration fiscale à son initiative, en fonction de la politique pénale qu’elle met en œuvre et qui peut la conduire dans certains dossiers à ne pas privilégier les poursuites pénales au profit notamment de la mise en recouvrement plus diligente des sommes dues par les contribuables concernés.
Les autres missions de la CIF génèrent peu d’activité
L’année 2022 a confirmé la baisse très marquée des saisines constatée depuis 2019. Cette baisse du nombre de projets de plainte fiscale soumis à la CIF n’a pas été quantitativement compensée par des saisines au titre des deux nouvelles missions consultatives que la loi du 23 octobre 2018 a attribuées à la Commission. Celle-ci est en effet également chargée de donner un avis à l’administration lorsque cette dernière envisage de rendre publiques des sanctions administratives pécuniaires infligées à des personnes morales, en application de l’article 1729 A bis du Code général des impôts, ou de publier l’identité d’opérateurs de plateforme qui ne coopèrent pas avec elle sur la liste des opérateurs de plateformes non coopératifs, en application de l’article 1740 D du même code, cette publicité étant assimilée à une sanction. Dans les deux cas, la CIF doit émettre un « avis conforme et motivé ». La CIF a été saisie en 2022, et pour la première fois, de cinq propositions de publication des sanctions administratives. Le volume de saisines à ce titre demeurera nécessairement limité à l’avenir, le législateur ayant strictement encadré les conditions de mise en œuvre de ce dispositif, eu égard, notamment aux effets potentiellement très intrusifs du « name and shame », dont il s’inspire, pour la vie des entreprises et des personnes. La publication des sanctions fiscales pécuniaires ne concerne que les personnes morales, à l’exception des personnes physiques. Elle est réservée aux « manquements graves caractérisés » : le montant de droits fraudés doit être au minimum de 50 000 € ; le contribuable en cause a recouru à une manœuvre frauduleuse ; les manquements n’ont pas fait l’objet d’un dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’administration. En outre, concernant le dispositif de publication de l’identité d’opérateurs de plateforme non coopératifs, « on peut penser que la seule menace de sa mise en œuvre peut avoir un effet dissuasif à l’égard des personnes concernées. Concernant l’inscription sur la liste des plateformes non coopératives, l’opérateur de plateforme doit avoir fait l’objet, en moins de douze mois, d’au moins deux sanctions parmi celles énumérées à l’article 1740 D du CGI », souligne le rapport.
L’importance du montant des sanctions
La CIF n’a plus à connaître désormais de dossiers de fraudes particulièrement sophistiquées, celles-ci entrant désormais dans le champ des dénonciations obligatoires. Cependant, souligne le rapport, « la réforme de 2018 n’a pas pour autant modifié la nature de son office ». La CIF émet des avis conformes sur les propositions de dépôt de plaintes dont elle est saisie par le ministre chargé du Budget ou ses délégataires, hormis ceux donnant lieu à la transmission automatique susmentionnée ou ceux pour lesquels l’administration estime qu’il n’y a pas lieu d’aller au-delà des sanctions pécuniaires fiscales. Enfin, la CIF a été saisie en 2022 de dossiers de montants fraudés demeurant élevés, du même ordre que les années précédentes : 289 000 € en moyenne. « Ces saisines semblent encore marquées par la référence à un quantum minimal de droits fraudés qui semblait prévaloir dans les saisines adressées à la CIF avant 2018 », souligne le rapport. Pourtant, la réforme de 2018 devrait drainer vers la Commission plus de dossiers inférieurs à 100 000 €. Ces dossiers pourraient concerner des « primo-délinquants pour lesquels l’engagement de poursuite pénales permet d’enrayer le plus tôt possible des comportements d’incivisme fiscal caractérisé », analyse le rapport.
Complémentarité des sanctions fiscales et pénales
L’arsenal législatif contre la fraude fiscale comporte à la fois des sanctions administratives fiscales et des sanctions pénales dans une logique de complémentarité. La politique pénale vise à concentrer la lutte contre la fraude fiscale sur les cas de fraudes particulièrement caractérisées et, partant, à réserver l’engagement de poursuites pénales aux cas les plus graves pour lesquels la sanction pénale a valeur d’exemplarité, et ce, au-delà des majorations de droits assimilées à des sanctions fiscales déjà infligées aux contribuables en cause. Le Conseil constitutionnel a encadré les conditions de mise en œuvre des poursuites pénales. Il juge à cet égard que la répression pénale permet d’assurer, avec la répression fiscale, la protection des intérêts financiers de l’État ainsi que l’égalité devant l’impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive, et que le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l’objectif de lutte contre la fraude fiscale peuvent justifier l’engagement de procédures complémentaires (Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).
Le cadre du cumul des sanctions
Concernant le cumul de sanctions fiscales et de sanctions pénales, le Conseil constitutionnel considère ainsi, qu’« aux contrôles à l’issue desquels l’administration fiscale applique ses sanctions pécuniaires peuvent ainsi s’ajouter des poursuites pénales dans des conditions et selon des procédures organisées par la loi, ce cumul possible de sanctions administratives et pénales permettant d’assurer une répression effective des infractions ». Toutefois, dans le cas de cumul de sanctions, les poursuites pénales pour des faits de fraude fiscale mentionnés à l’article 1741 du CGI ne doivent « s’appliquer qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention (…) ». Le Conseil constitutionnel fixe deux limites au cumul des sanctions fiscales et pénales. Un contribuable déchargé pour un motif de fond par une juridiction fiscale au terme d’une décision de justice devenue définitive ne peut être condamné pour fraude fiscale. En outre, conformément à l’exigence relative à la proportionnalité du cumul des sanctions, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
Référence : AJU009q2