La course à la baisse d’impôt

Publié le 19/12/2018

Le soutien à l’activité apporté au travers de la politique budgétaire et notamment, pour une large mesure, de la politique fiscale, voit son importance renforcée, souligne le dernier rapport sur les réformes fiscales, publié par l’OCDE. Pour stimuler l’économie, les réformes fiscales s’accélèrent afin d’alléger les impôts prélevés sur les sociétés et les personnes physiques.

L’OCDE vient de publier sa deuxième étude sur les réformes fiscales mises en œuvre dans 35 pays membres de l’OCDE ainsi qu’en Afrique du Sud, en Argentine et en Indonésie. Cette étude sera désormais annuelle. Coopérant avec plus d’une centaine de pays, l’OCDE est un forum stratégique international qui s’emploie à promouvoir des politiques propres à améliorer le bien-être économique et social des populations du monde entier. Son rapport Tax Policy Reforms 2018 décrit les dernières réformes fiscales. Il met en évidence les principales tendances observées en matière de politique fiscale et souligne que la relance budgétaire, imputable dans une large mesure à la politique fiscale, s’est renforcée. « Ce rapport relève que les réformes fiscales les plus récentes ont mis l’accent sur un allègement de la fiscalité des entreprises et des particuliers pour dynamiser l’investissement, la consommation et l’emploi, s’inscrivant ainsi dans la tendance amorcée il y a deux ans », souligne Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE et responsable de cette étude sur les réformes fiscales dans les pays de l’OCDE.

Une tendance de fond

En Argentine, aux États-Unis, en France et en Lettonie, des réformes fiscales importantes ont été engagées, mettant fortement l’accent sur le soutien de l’investissement et comportant des mesures destinées à rendre le système fiscal plus équitable. Ainsi, l’Argentine a réduit son taux d’imposition sur les entreprises de 35 % à 30 % en 2018 avec pour objectif de le baisser à 25 % en 2020. De son côté, la Lettonie a instauré pour l’impôt sur les revenus un niveau de taxe unique de 23 %. Ces revenus étaient précédemment imposés selon une échelle progressive allant de 20 % à 31,4 %. La France a prévu d’abaisser progressivement le taux d’impôt sur les sociétés à 25 %. La fiscalité du capital a été largement revue avec la création d’une flat tax de 30 % et la taxe d’habitation va être progressivement supprimée. Les autres pays ont adopté des mesures fiscales de manière plus disparate. « Parmi les pays ayant adopté des réformes importantes de la fiscalité des entreprises figuraient un certain nombre d’économies caractérisées par des taux élevés d’imposition sur les sociétés, où ces réformes n’avaient que trop tardé », précise le directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE. À travers l’ensemble des pays, le rapport met en lumière la poursuite d’une tendance de fond : la diminution des taux des impôts sur les sociétés, alimentée dans une large mesure par des réformes importantes engagées dans un certain nombre de grands pays caractérisés de longue date par des taux élevés d’imposition sur les entreprises. Le taux moyen de l’impôt sur les sociétés dans la zone OCDE a reculé de 32,5 % en 2000 à 23,9 % en 2018 pour les 35 pays de la zone. Ce taux a été abaissé en moyenne de 2,7 % dans huit pays de la zone OCDE en 2017. En 2018, il a été baissé de nouveau, cette fois de 4,8 % dans huit pays en 2018. Bien que cette tendance à la baisse du taux moyen de l’impôt sur les sociétés dans la zone OCDE se soit accélérée de nouveau ces dernières années, la baisse des taux d’imposition sur les entreprises est cependant moins prononcée qu’avant la crise. En outre, plusieurs des pays qui, en 2018, ont abaissé leur taux d’impôt sur les sociétés appliquaient encore, en 2017, un taux parmi les plus élevés comparativement. En définitive, « ces baisses d’impôt sur les sociétés ont suscité des craintes de course au moins-disant, mais la plupart de ces pays semblent engagés en fait dans une course à la moyenne, sachant que leurs récentes baisses de taux de l’impôt sur les sociétés les placent aujourd’hui en milieu de tableau », souligne Pascal Saint-Amans. Reste à savoir la façon dont les autres pays réagiront à cette tendance dans l’avenir.

La réforme américaine

L’exemple des États-Unis est emblématique de cette grande tendance de fond. « La plus vaste de ces réformes a été mise en œuvre aux États-Unis, avec un remaniement radical des règles fiscales, touchant à la fois l’impôt sur les bénéfices des sociétés et l’impôt sur le revenu des personnes physiques », souligne Pascal Saint-Amans. Le Tax Cuts and Job’s Act (TCJA) adopté par le Congrès le 22 décembre 2017, constitue une réforme fiscale de grande ampleur. Elle organise une refonte à grande ampleur de la fiscalité des entreprises, avec une réduction massive du taux d’imposition des bénéfices de 35 à 21 %, soit une réduction de 14 points de pourcentage. Les profits accumulés à l’étranger sont imposables à 15,5 % et 8 % pour ceux détenus sous forme d’actifs physiques, qu’ils soient rapatriés aux États-Unis ou non. Cette taxe unique libératoire applicable aux profits réalisés à l’étranger va permettre aux États-Unis de passer d’un régime d’imposition où les entreprises sont imposées sur leur revenu mondial à l’exception des profits conservés à l’étrange à un régime fiscal territorial, où elles seront imposées principalement sur leurs bénéfices réalisés aux États-Unis au taux de 21 % et à un taux réduit de 10,5 % pour les bénéfices réalisés par leurs filiales à l’étranger, dans la mesure où ils représentent plus de 10 % du total des investissements à l’international. Avec cette réforme, les États-Unis se sont alignés sur le reste du monde, « avec une baisse de taux très agressive », observe Pascal Saint-Amans. Pour les ménages, la réduction d’impôt est plus modérée et plus inégalement répartie. Le barème progressif fondé sur sept tranches d’imposition a été maintenu mais les taux et des tranches réduits pour la plupart des contribuables. Elle prévoit certes une réduction du taux d’imposition pour la plupart d’entre eux mais augmente pour partie leur revenu imposable en supprimant ou en plafonnant certaines déductions fiscales, comme le plafonnement des déductions d’intérêts sur les emprunts hypothécaires ou celui du montant déductible des impôts versés aux États et collectivités locales. La réforme est particulièrement favorable aux ménages les plus aisés. Ainsi le taux marginal d’imposition pour la tranche la plus élevée est abaissé de 39,6 % à 37 % et le seuil de revenu imposable à partir duquel il s’applique est, quant à lui, augmenté de 17 %. En outre, les contribuables des tranches supérieures d’imposition n’auront plus à payer la Pease Limitation, une surtaxe sur le revenu qui date de 1991 qui concernait principalement les contribuables imposés aux taux marginaux les plus élevés (33 %, 35 % et 39,5 %).

Les mesures en faveur des ménages

Au-delà des réformes de l’imposition des sociétés, l’OCDE met en évidence un certain nombre d’évolutions communes en matière fiscale dans le présent rapport. Des mesures de réduction de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ont été adoptées dans de nombreux pays, essentiellement dans le but d’alléger la charge fiscale des personnes ayant des revenus d’activité faibles ou moyens. Une stratégie courante a consisté à accroître les crédits d’impôt sur les revenus du travail, ce qui peut permettre à la fois de rehausser le taux d’activité et d’améliorer la progressivité du système fiscal. Les réformes relatives aux cotisations de sécurité sociale ont généralement été limitées, et ces prélèvements continuent de peser lourdement sur les revenus du travail dans de nombreux pays. Les taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) se sont stabilisés, l’Afrique du Sud est le seul pays où le taux normal de TVA a été revu à la hausse en 2018. Le niveau élevé des taux de TVA a conduit de nombreux pays à chercher d’autres leviers à actionner pour accroître leurs recettes de TVA, notamment en introduisant de nouvelles mesures administratives et de lutte contre la fraude. De nouveaux droits d’accise destinés à dissuader la consommation de produits nocifs sont en train d’être instaurés, parallèlement à la poursuite des augmentations des droits d’accise sur le tabac et l’alcool. Parmi les réformes les plus notables figurent l’introduction de nouvelles taxes sur les boissons sucrées en Afrique du Sud, en Irlande et au Royaume-Uni, ainsi que l’instauration d’une taxe sur le cannabis au Canada.

Privilégier la coopération fiscale

Beaucoup de ces réformes vont dans le bon sens, selon les observateurs de l’OCDE. Plusieurs pays se sont attachés à rehausser le taux d’activité, notamment en augmentant les crédits d’impôt au titre des revenus d’activités professionnelles. Des efforts ont également été consentis pour élargir les assiettes fiscales et poursuivre la lutte contre l’évitement fiscal international des entreprises, conformément aux engagements pris en faveur de l’adoption des recommandations et standards minimums définis dans le cadre du projet de l’OCDE et du groupe des Vingt (G20) sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Des améliorations administratives et de nouvelles mesures de lutte contre la fraude, en particulier en matière de TVA, figurent également parmi les stratégies couramment adoptées pour gagner en efficacité et accroître le montant des recettes fiscales recouvrées. La poursuite des initiatives de coopération constitue un facteur de réussite essentiel pour empêcher toute concurrence fiscale dommageable et continuer de lutter contre l’évasion fiscale des entreprises au niveau international, conformément à ces engagements internationaux. À cet égard, la tendance à la réduction du taux moyen de l’impôt sur les bénéfices des sociétés qui s’est accentuée dans les pays de l’OCDE ces dernières années ne doit pas céder la place à un mouvement de dumping fiscal.

Attention à la fiscalité environnementale

Les réformes des taxes liées à l’environnement sont restées axées sur le domaine des taxes énergétiques, dans lequel les pouvoirs publics se sont efforcés de ne pas se cantonner au seul secteur du transport routier. Bien qu’elles offrent des possibilités considérables d’amélioration de l’environnement, les réformes fiscales engagées en dehors des secteurs de l’énergie et des véhicules, concernant par exemple les taxes sur les déchets, les sacs en plastique ou les produits chimiques, ont été nettement moins fréquentes, selon le rapport. « En matière de fiscalité environnementale, des progrès urgents s’imposent », souligne Pascal Saint-Amans. Si certaines avancées ont été acquises concernant la taxation de la consommation d’énergie, les récents relèvements de taxes ne suffiront pas à entraîner un recul significatif des émissions de carbone en dehors du secteur des transports routiers. Faire en sorte que les prix de l’énergie reflètent les coûts du changement climatique et de la pollution atmosphérique doit être une ligne de force de toute politique efficace de défense de l’environnement. Plus généralement, il conviendrait de mettre davantage l’accent sur la fiscalité verte afin de favoriser les changements de comportement qui améliorent les résultats environnementaux, sachant que les recettes fiscales supplémentaires ainsi obtenues permettraient de financer l’allégement d’autres impôts aux effets de distorsion plus importants.

Privilégier l’inclusivité

Le présent rapport souligne qu’il est plus que jamais nécessaire de poursuivre les efforts accomplis ces dernières années pour renforcer l’équité. Pour l’OCDE, il est essentiel que « les politiques fiscales continuent de mettre l’accent sur l’inclusivité pour garantir que les gains de revenus et de niveaux de vie soient plus justement répartis. La question est d’autant plus d’actualité que les évolutions positives sur le front de l’emploi sont éclipsées par la stagnation des salaires, en particulier pour les travailleurs à faible revenu. Si l’impôt sur le revenu des personnes physiques à revenus faibles et intermédiaires a enregistré une baisse continue, les réductions appliquées sont restées le plus souvent marginales. De manière générale, la politique fiscale pourrait continuer d’alléger la fiscalité sur les salaires des personnes ayant des revenus d’activité faibles ou moyens, en supprimant les dépenses fiscales qui profitent de manière disproportionnée aux plus riches et en garantissant une imposition effective des revenus du capital des personnes physiques. Il y aurait également lieu de poursuivre les réformes qui augmentent la part de la fiscalité générale dans le financement des systèmes de protection sociale, qui se substituerait ainsi en partie aux cotisations de sécurité sociale. « La promotion de l’inclusivité suppose aussi d’identifier clairement quels seront les gagnants et les perdants des nouvelles réformes fiscales, et de prévoir une compensation appropriée pour les contribuables pénalisés, en particulier lorsqu’ils se trouvent en bas de l’échelle de la répartition des revenus et du patrimoine », conclut le directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.

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