La CRPC se développe en matière fiscale

Publié le 03/10/2024
La CRPC se développe en matière fiscale
Nuthawut/AdobeStock

La procédure sur reconnaissance préalable de culpabilité, un instrument de justice négociée, répond aux enjeux de la complexité des dossiers fiscaux et échappe à la lenteur et de l’aléa des procédures classiques. Son développement permet à l’autorité publique de concilier deux objectifs : sanctionner rapidement et individualiser les peines.

Dans la cadre des affaires suivies par le parquet national financier (PNF) 111 personnes ont été condamnées en 2023. 39 d’entre elles l’ont été dans le cadre d’une procédure sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), c’est dire le succès de cette procédure de jugement rapide inspirée du plaider coupable au Canada et du plea bargaining aux États-Unis et en Angleterre. Cette procédure a été mise en place dans le cadre de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite loi Perben II, et codifiée aux articles 495-7 à 495-16 du Code de procédure pénale. Elle permet le jugement rapide de l’auteur d’une infraction, à la condition qu’il reconnaisse les faits reprochés.

Une procédure bien adaptée à la matière fiscale

Cette procédure de jugement simple et rapide peut être mise en œuvre à certaines conditions. Elle s’étend à tous les délits commis par des personnes majeures, à l’exception des délits de presse, de certaines atteintes graves aux personnes et des délits politiques. Le recours à la procédure de CRPC dans les affaires de fraude fiscale a été prévu dans le cadre de l’article 24 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.  « Ainsi, si la procédure avait été initialement créée pour les affaires simples et en état d’être jugées, ne nécessitant pas d’investigations complexes sur la personnalité de l’auteur, de préférence sans partie civile, avec un auteur unique, dont la sanction était relativement prévisible et qui ne justifiait pas d’audience devant le tribunal correctionnel, elle a progressivement été étendue aux affaires plus complexes, avec une pluralité de mis en cause et de victimes, et jusqu’aux affaires de fraude fiscale par la loi du 23 octobre 2018 », souligne un récent rapport d’information de la commission des finances du Sénat (Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, rapport d’information n° 72 du Sénat du 25 octobre 2022, de Jean-François Husson, fait au nom de la commission des finances). Très rapidement les CRPC se sont multipliées dans les affaires de fraude fiscale. Les CRPC homologuées sur présentation du PNF concernent désormais pour deux tiers des faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale. L’évolution du nombre de recours à cette procédure traduit un intérêt croissant pour ce mode de poursuite accéléré, particulièrement adapté aux faits de fraude fiscale.

Un préalable : la régularisation auprès de l’administration fiscale

À l’issue d’une enquête préliminaire, la procédure de CRPC est mise en œuvre par décision du parquet ou sur demande de l’auteur des faits ou de son avocat. Le procureur peut ne pas donner suite à cette demande. L’auteur des faits doit être assisté par un avocat au moment de la reconnaissance des faits, de la proposition de peine, de l’acceptation des peines, et de l’audition par le président du tribunal aux fins d’homologation. En pratique, au PNF, cette procédure intervient après l’ouverture d’une phase contradictoire, au cours de laquelle les parties ont accès au dossier et après des échanges entre le parquet et l’avocat de la personne mise en cause. La CRPC peut également intervenir à l’issue d’une information judiciaire. Dans ce cas, le juge d’instruction renvoie le dossier au procureur afin de mettre en œuvre la CRPC. Première condition indispensable à la mise en œuvre de la CRPC : la personne mise en cause doit reconnaître les faits qui lui sont reprochés. D’autres conditions peuvent être imposées. En pratique, en matière fiscale, le parquet national financier exige que le contribuable ait régularisé sa situation auprès de l’administration fiscale avant d’envisager la proposition d’une CRPC. Le recours à cette procédure favorise donc le recouvrement de ces sommes par le Trésor public. Inversement, la procédure pénale permet parfois la découverte de sommes taxables et l’ouverture d’une procédure fiscale de recouvrement.

Les atouts de la CRPC : célérité et individualisation des peines

La CRPC a été imaginée par le législateur comme une procédure simplifiée, offrant une plus grande célérité à la réponse judiciaire. Alors que les délais d’audiencement devant le tribunal correctionnel sont supérieurs à un an en matière économique et financière, délais auquel il faut ajouter l’exercice éventuel des voies de recours, au tribunal judiciaire de Paris, l’audiencement d’une CRPC est au maximum d’un mois. L’ordonnance est susceptible d’appel dans les 10 jours suivant son homologation. Le dossier peut ainsi être clos en quelques mois sans effacer la culpabilité de l’auteur. La CRPC apporte donc une réponse pénale rapide, plus proche des faits. En outre, elle garantit une meilleure exécution des sanctions prononcées : meilleur taux de recouvrement des amendes, exécution immédiate des interdictions d’exercice professionnel, etc.

La présence d’une phase contradictoire, d’échanges nourris entre le parquet et les avocats du mis en cause permet de déterminer une peine équilibrée qui prend en compte de nombreux facteurs et s’adapte à la fois à la politique pénale du PNF et à la personnalité de la personne mise en cause, sous le contrôle du juge. La proposition de peine repose sur des critères objectifs, parmi lesquels la gravité des faits, le montant du préjudice, la durée de l’infraction, la sophistication de la fraude, la personnalité du mis en cause (antécédents judiciaires, personnalité exposée, profession réglementée…), l’indemnisation préalable de la victime… La peine proposée tient compte notamment du fait que la personne a reconnu les faits et a souvent coopéré à l’enquête en apportant des éléments de nature à mieux caractériser l’infraction.

Les critères de détermination de la peine

Le procureur peut proposer à la personne d’exécuter une ou plusieurs des peines principales ou complémentaires encourues. Lorsqu’est une peine d’emprisonnement est proposée, sa durée ne peut être supérieure à trois ans ni excéder la moitié de la peine d’emprisonnement encourue. Les peines prononcées peuvent être assorties de sursis. Les peines complémentaires (confiscation, interdiction de gérer, interdiction d’exercer une profession, inéligibilité) dépendent de la nature de l’infraction et de la personnalité du prévenu. Entre 2014 et 2021, sur les 41 CRPC homologuées, 32 ont conduit au prononcé d’une peine d’emprisonnement avec sursis. La durée moyenne d’emprisonnement avec sursis est de 10,5 mois, allant de 3 mois pour la plus petite peine proposée à 36 mois. Aucune peine d’emprisonnement ferme n’a été prononcée, cette possibilité restant cependant toujours ouverte. L’ensemble de ces CRPC ont conduit au prononcé d’une amende, dans la quasi-totalité des situations de sanctions fermes. Le montant moyen de l’amende est de 385 902, 07 €, allant de 2 000 € à 3 000 000 €. Les amendes sont substantiellement plus élevées en matière fiscale, avec une prédominance des amendes supérieures à 100 000 €, certaines pouvant dépasser le million d’euros. En matière de probité, les amendes sont en majorité inférieures à 50 000 €. En matière fiscale cette somme se cumule en outre avec les sanctions fiscales : paiement des droits éludés, majoration de 40 ou 80 %, intérêts de retard. Elle peut également se cumuler avec des dommages-intérêts versés au profit de l’État, notamment pour les infractions d’atteintes à la probité ou de blanchiment.

La procédure en pratique

La première phase correspond à la proposition de peine par le procureur. À l’issue de la phase contradictoire et des échanges avec la défense, le parquet reçoit la personne avec son avocat, vérifie qu’elle reconnaît les faits et lui propose une peine. La personne peut demander un délai de réflexion de 10 jours, accepter ou refuser la peine proposée. Si l’intéressé refuse la peine proposée, le procureur saisit le tribunal correctionnel, sauf élément nouveau. Lorsque la personne accepte la peine proposée par le procureur, elle comparaît devant le président du tribunal judiciaire, saisi par une requête en homologation. C’est la deuxième phase de la procédure qui commence : l’audience aux fins d’homologation. Celle-ci peut avoir lieu le jour même, ou dans un délai maximum d’un mois si l’intéressé n’est pas détenu. En pratique, les propositions de CRPC du PNF sont examinées au cours d’une audience mensuelle qui se tient au tribunal judiciaire de Paris. Le juge doit statuer le jour de l’audience, par ordonnance motivée et aucun renvoi n’est possible. La présence du procureur à l’audience n’est pas obligatoire, mais dans les faits les magistrats du PNF sont présents et prennent la parole pour présenter le dossier et expliquer la peine proposée. Les audiences d’homologation sont publiques. La victime est informée de la mise en œuvre de la procédure de CRPC et invitée à se présenter à l’audience d’homologation. Le juge « entend la personne et son avocat. Après avoir vérifié la réalité des faits et leur qualification juridique, il peut décider d’homologuer les peines proposées par le procureur de la République ». Le juge ne peut pas requalifier les faits ni modifier la peine proposée. L’ordonnance d’homologation a les effets d’un jugement de condamnation et est immédiatement exécutoire. La personne condamnée peut interjeter appel de l’ordonnance d’homologation dans un délai de dix jours. Le juge statue par ordonnance sur les intérêts civils. La partie civile peut interjeter appel de cette ordonnance.

Attention au refus d’homologation

Si le président estime que la nature des faits, la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire, ou lorsque les déclarations de la victime apportent un éclairage nouveau sur les conditions de commission de l’infraction ou la personnalité de son auteur, il peut refuser d’homologuer la peine. Dans ce cas, le procureur de la République saisit le tribunal correctionnel, sauf élément nouveau, et remet à l’intéressé une convocation pour une audience qui aura lieu au plus tôt dix jours après. Il peut également solliciter l’ouverture d’une information judiciaire devant un juge d’instruction. En cas d’échec de la CRPC par refus de la peine ou refus d’homologation, le procès-verbal ne peut être transmis à la juridiction d’instruction ou de jugement, et ni le ministère public ni les parties ne peuvent faire état devant cette juridiction des déclarations faites ou des documents remis au cours de la procédure. La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation de la justice a élargi l’éventail de possibilité dont dispose le procureur de la République. Il a la possibilité désormais de saisir le président du tribunal judiciaire d’une nouvelle requête en homologation sous réserve de l’acceptation de la peine par la personne poursuivie.

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