La fiscalité comme levier d’égalité hommes/femmes

Publié le 26/05/2023
La fiscalité comme levier d’égalité hommes/femmes
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Une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale propose de corriger les biais de la loi fiscale qui freinent l’autonomie économique et financière des femmes. Ses propositions portent sur la solidarité fiscale des ex-époux, la fiscalité de la prestation compensatoire ou encore le taux du prélèvement à la source.

Le 7 mars 2023, la présidence de l’Assemblée nationale a enregistré la proposition de loi n° 918 qui vise à renforcer l’égalité fiscale et successorale entre les femmes et les hommes. Ses auteurs partent du constat que l’égalité économique et financière entre les hommes et les femmes demeure inachevée « tant le statut de l’argent des femmes est soumis à questionnement ». Cette problématique se retrouve jusque dans la problématique fiscale, domaine qui n’a pas été investi par la loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle (JORF n° 0300 du 26 décembre 2021).

Des biais sexistes manifestes ou implicites qui freinent l’autonomie économique et financière des femmes

Le système fiscal français, tel qu’issu de l’après‑guerre, est conçu sur un modèle de solidarité familiale entre conjoints. À l’époque, les couples dits mono‑actifs (homme actif et femme au foyer) représentaient le modèle dominant et même la norme portée par les politiques publiques. Si des ajustements ont été apportés pour prendre en compte de l’évolution et de la diversité des structures familiales, « certains mécanismes de base n’ont pas évolué et restent très favorables aux couples, et au sein du couple au conjoint le plus aisé », indique la proposition de loi. Statistiquement ces mécanismes favorisent donc les époux puisque les femmes vivant en couple perçoivent un revenu annuel inférieur de 42 % à celui de leur conjoint. Cet écart n’est que de 9 % entre les femmes et les hommes sans conjoint. Au moment du divorce ou de la séparation, le niveau de vie des femmes baisse de 22 % contre 3 % pour les hommes. La proposition de loi entend donc corriger des biais sexistes manifestes ou implicites qui sont autant de freins à l’autonomie économique et financière des femmes. Selon que le contribuable est un homme ou une femme, ils impactent différemment leurs conditions d’emploi, la répartition du patrimoine et de la richesse, comme leurs choix. Les auteurs relèvent qu’il s’agit aussi d’un enjeu économique de croissance. « Si l’économie française avait fait un usage plus efficace des compétences de chacune et de chacun en termes d’éducation et de participation économique, cela aurait conduit à une augmentation de 5,2 % de la population active et à une hausse annuelle de 0,4 % du PIB par habitant, soit une augmentation du PIB de 9,4 % entre 2010 et 2023 », d’après l’OCDE.

L’imposition commune ou individualisée ?

L’article 1er de la proposition de loi propose de renverser le principe selon lequel un taux unique d’imposition est appliqué par défaut aux deux membres d’un même foyer fiscal, pour instaurer un taux individualisé par défaut, tout en laissant la possibilité d’opter par la suite pour un taux commun. Selon l’OCDE, le premier mécanisme à corriger est l’imposition commune du foyer, qui tend à amoindrir l’incitation à travailler du conjoint ayant les revenus les plus faibles – une femme dans 78 % des cas – en faisant peser une charge fiscale trop importante sur le second apporteur de revenu. L’imposition commune augmente en effet le taux marginal d’imposition du conjoint ayant les revenus les plus faibles de 6 points alors qu’elle diminue de 13 points celui du conjoint ayant les revenus les plus élevés. « Plus l’écart de salaires est important, plus la fiscalité est avantageuse pour le foyer ». Un couple peut donc trouver économiquement plus avantageux de maintenir des écarts de revenus forts entre ses deux membres en privilégiant le travail à temps partiel voire l’inactivité professionnelle du second apporteur de revenus. Il en ressort que le travail des femmes constitue encore fréquemment une variable d’ajustement. Au contraire, l’individualisation de l’impôt augmenterait de 0,6 point le taux de participation des femmes au marché du travail du fait de la baisse du taux marginal d’imposition (80 000 emplois supplémentaires).

En France, l’impôt prélevé à la source sur les revenus de chaque membre du couple peut être individualisé. Par défaut, le taux de prélèvement est calculé par foyer fiscal, d’après l’ensemble des revenus et charges. Le taux est ensuite appliqué à chacun des conjoints, indistinctement de leurs revenus propres. Le couple peut opter pour un taux de prélèvement individualisé afin de prendre en compte les écarts de revenus entre conjoints. Les auteurs préconisent de l’instaurer par défaut (CGI, art. 204 F et 204 H).

La prestation compensatoire

L’article 2 propose de réformer le traitement fiscal des prestations compensatoires versées sur une période supérieure à 12 mois afin qu’elles ne constituent plus un revenu imposable pour le bénéficiaire. Pour mémoire, la prestation compensatoire sert à effacer les déséquilibres financiers provoqués par le divorce dans les conditions de vie des ex‑époux. Depuis la loi n° 2000-596 du 30 juin 2000, le régime de la prestation compensatoire dépend de la forme du versement de la prestation et de la durée de son règlement.

• Lorsque le débiteur verse une prestation compensatoire sous forme de capital, en numéraire dans les 12 mois à compter de la date du jugement : il bénéficie d’une réduction d’impôt sur le revenu égale à 25 % du montant, dans la limite de 30 500 euros, soit une réduction d’impôt maximale de 7 625 euros. De son côté, le créancier n’est pas imposé sur la somme reçue (CGI, art. 199 octodecies).

• Lorsque le débiteur verse une prestation compensatoire sous forme de rente ou sous forme de capital, en numéraire sur une période supérieure à 12 mois : les versements suivent le régime fiscal des pensions alimentaires (CGI, art. 80 quater). Ils sont déductibles pour le débiteur et imposables pour le bénéficiaire.

Or cette taxation lui fait perdre une partie de la compensation financière qui lui revient. « Un principe qui interroge en matière d’équité et de justice et qui peut même constituer un levier de violence économique, indiquent les auteurs de la proposition. En effet, l’ex‑conjoint débiteur à qui l’on accorde une facilité de paiement pourra dès lors choisir le régime fiscal le plus avantageux, tandis que l’ex‑conjoint bénéficiaire, en plus de souffrir d’un paiement différé et étalé de son dû, se verra imposé sur des sommes qui n’auraient pas dû l’être ».

La proposition de loi propose de ne plus soumettre les prestations compensatoires au régime des pensions alimentaires. Et ce, pour l’imposition des revenus perçus à compter du 1er janvier 2024.

Rendre plus accessible la décharge de solidarité fiscale

L’article 3 propose de supprimer le critère de « disproportion marquée » de la situation du demandeur en décharge de l’obligation de solidarité de paiement des dettes communes du couple afin de rendre le droit à la décharge de solidarité plus juste et propice à l’autonomie économique des individus.

Les époux et partenaires d’un pacs sont codébiteurs des dettes fiscales communes, constituées par le foyer fiscal au nom de l’impôt sur le revenu et impôt sur la fortune immobilière dus dans le cadre de leur imposition commune. En tant que codébiteurs, chacun peut être poursuivi par l’administration fiscale à raison de la totalité de la dette fiscale (CGI, art. 1691 bis). Cette solidarité perdure même après un divorce ou une rupture de pacs tant que la dette commune existe. Il est possible de solliciter une décharge en solidarité auprès de l’administration fiscale, sous condition. Or ce principe de solidarité interroge « dans le cas où, par exemple, l’un des conjoints fait l’objet d’un redressement fiscal professionnel avec fraude et dissimulation ; les liens du mariage ne garantissant pas l’information totale de l’un sur la situation professionnelle de l’autre », indique l’exposé des motifs de la proposition de loi. Selon le collectif des femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale, 80 % des demandes en décharge de solidarité, qui émanent quasi exclusivement de femmes, concernent une dette fiscale consécutive à un contrôle fiscal portant sur les bénéfices professionnels d’un ex‑conjoint ou partenaire de pacs. Très souvent c’est l’ex‑conjoint innocent que le trésorier public poursuit durant de nombreuses années.

Pour pouvoir bénéficier de la décharge, il est nécessaire de réunir trois conditions : rupture de la vie commune, absence d’irrégularités fiscales depuis la rupture et disproportion marquée entre la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale du demandeur. La notion de « disproportion marquée » a le défaut d’être « trop vague et laissée à l’entière appréciation de l’administration fiscale qui a une interprétation extensive de la loi et qui la refuse quasi systématiquement aux personnes actives ou disposant d’un patrimoine aussi réduit soit‑il ». La proposition de loi suggère de supprimer purement et simplement le critère de « disproportion marquée » afin de rendre le droit à la décharge de solidarité plus juste et propice à l’autonomie économique des individus.

Pour une réduction Madelin plus attractive

L’article 4 porte sur la réduction d’impôt sur le revenu dite Madelin, ouverte en cas de souscription au capital des entreprises non cotées (CGI, art. 199 terdecies‑0 A). La réduction d’impôt sur le revenu s’élève à 18 %, ou 25 % en période de taux majoré, des sommes investies chaque année dans la limite d’un plafond de 50 000 euros pour une personne seule et de 100 000 euros pour un couple. Ce dispositif est soumis au plafonnement global des niches fiscales de 10 000 euros. La proposition de loi propose de l’inscrire dans le plafonnement global spécial de 18 000 euros. En effet, le plafonnement de 10 000 euros est commun à d’autres crédits d’impôt, dont le crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants ou le crédit d’emploi à domicile. Le « rattachement de ces déductions au même plafond amoindrit l’attractivité du dispositif Madelin pour les parents et, en particulier, pour les familles monoparentales, constituées à 85 % de mères célibataires ».

Selon les auteurs, placer l’avantage « Madelin » sous un plafond de 18 000 euros permettrait de corriger ce biais et d’envoyer un signal favorable en direction de l’investissement dans les PME, en incitant plus fortement les ménages à injecter des fonds dans l’économie réelle, permettant ainsi aux entreprises d’innover et de se développer. L’exposé des motifs rappelle que sur les 6 000 business angels français recensés, seuls 15 % sont des femmes. Selon une étude américaine, si les femmes investissaient les mêmes montants que les hommes, 3 200 millions de dollars additionnels pourraient être investis dans l’économie réelle dont 1 800 millions de dollars dans la finance responsable.

L’égalité comme objectif intérêt général

L’article 5 de la proposition de loi propose de faire de la lutte pour l’égalité homme/femme un objectif d’intérêt général, qui justifierait l’éligibilité des dons effectués au profit des associations engagées en ce sens à la réduction d’impôt sur le revenu aux œuvres d’intérêt général (CGI, art. 200). Les auteurs reconnaissent que, depuis la fin du XIXe siècle, l’ouverture de nouveaux droits aux femmes est historiquement le fait d’organisations féministes qui, depuis le terrain, sont parvenues à faire bouger les lignes dans des domaines de l’action publique. Aujourd’hui, ces organisations qui « constituent un relai indispensable de l’action de l’État en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes » ne sont pas couvertes par le champ d’application de l’article 200 du CGI et ne sont donc pas systématiquement reconnues d’intérêt général. Elles peuvent se trouver en situation de non‑éligibilité à un certain nombre de financements privés et publics, ainsi que dans l’incapacité éventuelle d’émettre un rescrit fiscal à leurs adhérents. L’article 5 ajoute donc l’égalité femmes/hommes dans la liste des champs ouvrant droit à la réduction d’impôt sur le revenu afin de sécuriser le financement des associations féministes et les soutenir dans leurs combats.

Nettoyer le droit successoral

Enfin, l’article 6 du texte propose d’instaurer une égalité en valeur et en nature entre les héritiers. Aujourd’hui, l’égalité entre les héritiers est une égalité en seule valeur. Or certains schémas familiaux reproducteurs d’inégalités économiques persévèrent, au détriment des femmes. Les fils héritent plus souvent des biens dits « structurants » du capital économique familial (entreprises, logements, terres…), quand les filles reçoivent des compensations financières « souvent sous‑évaluées par rapport à la valeur des parts en nature ». Conséquence : entre 1998 et 2015, l’écart de patrimoine entre les hommes et les femmes est passé de 9 % à 16 %. Les auteurs du texte estiment donc nécessaire de réinstaurer une égalité en valeur et en nature.

Le texte nettoie également de Code civil des scories de l’historique patriarcal que peut revêtir notre droit en réécrivant des dispositions faisant référence aux seuls fils (remplacé par « enfant ») et père (remplacé par « parent »).

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