La fiscalité, un levier pour réguler le marché de la location saisonnière ?

Publié le 06/06/2024
Airbnb, location
elroce/AdobeStock

Une récente réforme fiscale devrait dissuader nombre de propriétaires d’investir dans des locations saisonnières afin de lutter contre la réduction du parc de location classique. Cette réforme ne satisfait pas le gouvernement qui cherche à en moduler les effets dans l’attente d’un nouveau texte.

Depuis son arrivée sur le marché français en 2010, Airbnb a bouleversé l’économie de la location de courte durée. La France est devenue le deuxième marché de la start-up californienne, derrière les États-Unis, créant une perte sèche pour le marché de la location classique.

L’essor des locations de courte durée en France

Louer sa résidence principale quelques semaines, voire investir dans un bien dédié à la location saisonnière est devenu chose courante au sein des propriétaires français. On recensait ainsi plus de 800 000 annonces de locations sur Airbnb en France en février 2023. D’après une étude du cabinet Asterès, en 2022, les hôtes français non professionnels ont dégagé un revenu net médian de 3 086 euros grâce à leur activité sur Airbnb, soit un gain de pouvoir d’achat de 6,6 % par rapport à l’année 2021. Paris est la ville la plus rentable sur Airbnb avec un revenu mensuel moyen de 2 680 euros pour la location d’un appartement, d’après les chiffres du logiciel de location saisonnière Lodgify. En seconde et troisième positions arrivent Megève et Chamonix, avec un revenu mensuel moyen supérieur à 2 000 euros pour des taux d’occupation moins élevés qu’à Paris. En quatrième et cinquième positions viennent Montpellier et Toulouse avec un taux d’occupation d’environ 70 % et des revenus significativement plus intéressants en location saisonnière qu’en location classique.

L’effet Jeux olympiques

Et les Jeux olympiques pourraient convertir encore davantage de propriétaires aux avantages de la location saisonnière. D’après les estimations du cabinet Deloitte, plus d’un demi-million de visiteurs devraient faire un séjour via Airbnb pendant toute la durée des Jeux olympiques et paralympiques, soit environ le double du nombre global de voyageurs accueillis en région parisienne pendant la même période en 2022. Ces séjours devraient générer plus d’un milliard d’euros pour l’économie française. Un habitant de la région parisienne sur cinq envisage de devenir hôte pour la première fois pendant les Jeux olympiques. On estime que ces hôtes franciliens devraient gagner environ 2 000 euros de revenus supplémentaires en moyenne pendant les Jeux de Paris 2024. Au total, les hôtes devraient gagner collectivement environ 257 millions d’euros sur Airbnb sur l’ensemble de la période.

Lutter contre l’assèchement du parc locatif classique

Si on prend l’exemple de Paris, une de ses destinations phare, d’après les chiffres de la mairie de Paris, entre 2011 et 2016, le parc locatif traditionnel de Paris a perdu au moins 20 000 logements, dont la majorité a été transformée en locations touristiques meublées, louées à la nuit ou à la semaine durant toute l’année. Dans plusieurs arrondissements, notamment dans le centre et l’ouest de Paris, les meublés de tourisme représentent désormais jusqu’à 20 % de l’offre locative globale. Et Airbnb se taille la part du lion sur ce marché. Et ce phénomène est loin de se limiter à l’Île-de-France. Ainsi, en juin 2021, 30 % des logements du centre‑ville ancien de Saint‑Malo avaient été placés sur le marché de la location touristique de longue durée (proposition n° 1176 visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue).

Un des facteurs de la crise immobilière

Pour nombre de spécialistes, ce phénomène contribue à la crise du logement que nous subissons. Le prix des loyers a connu une hausse ininterrompue depuis 40 ans, entre 1984 et 2020, notamment dans le parc locatif privé (proposition n° 1176 visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue). Dans les zones particulièrement touristiques, comme les zones de montagne ou littorales, la part des résidences principales diminue nettement face à l’importance prise par les résidences secondaires dans le parc total et l’essor des meublés de tourisme. L’intérêt des investisseurs particuliers et professionnels pour ce type de location a mené à un fort renchérissement du coût du foncier, entraînant à son tour une raréfaction de l’offre et, corrélativement, une hausse des loyers qui pousse les commerces de proximité et les résidents à quitter les centres-villes. Pour lutter contre le développement exponentiel de la location saisonnière et préserver l’accès au logement des Français, d’aucuns ont imaginé alourdir la fiscalité du régime de la location saisonnière, jugé particulièrement avantageux.

Une réforme votée dans le cadre de la loi de finances pour 2024

Jusqu’à présent, les revenus issus de la location de meublés de tourisme classés bénéficiaient en effet d’un abattement de 71 %, à condition de réaliser un chiffre d’affaires inférieur à 188 700 euros pour l’année N-2, tandis que ceux issus de meublés non classés bénéficiaient d’un abattement de 50 %, à condition de réaliser un chiffre d’affaires inférieur à 77 700 euros.

Pour nombre d’observateurs, l’attractivité de la location saisonnière est un des facteurs de diminution du parc immobilier locatif classique alimentant la crise immobilière. Dans le cadre du vote de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, sous la pression des sénateurs, le régime fiscal applicable aux locations saisonnières a été considérablement durci. Les dispositions votées, introduites dans le texte final par voie d’amendement, sont supposées s’appliquer aux revenus de l’année 2023. Désormais, la limite du régime micro-BIC est abaissée de 77 700 euros à 15 000 euros. Et l’abattement forfaitaire pour charges passe de 50 % à 30 %. L’abattement de 71 % et le plafond des recettes du micro-BIC à 188 700 euros restent inchangés. Cet abattement est même porté à 92 % dans certaines zones rurales et les stations de sports d’hiver.

Une erreur que Bercy cherche à corriger

Seul bémol, cette réforme, votée contre le souhait du gouvernement, ne devait pas figurer dans la version finale du texte de loi. En outre, cette réforme adoptée par erreur pose des difficultés pratiques de mise en œuvre. En effet, elle a pour effet de faire basculer des contribuables du régime des microentreprises vers un régime réel d’imposition du seul fait de la baisse du seuil de leur chiffre d’affaires, leur imposant de reconstituer a posteriori leur comptabilité commerciale pour l’année 2023. Afin de corriger le tir, le gouvernement a annoncé que les mesures votées ne seraient pas appliquées en l’état. Dans la foulée, un Bulletin officiel des impôts a été publié le 14 février dernier, précisant que les contribuables auraient le choix entre appliquer dès l’imposition des revenus de l’année 2023 les nouvelles règles fiscales ou continuer à appliquer les règles antérieures afin de limiter les conséquences de l’application rétroactive de cette mesure à des opérations déjà réalisées (BOI-BIC-CHAMP-40-20 n° 55, 14-2-2024).

Un nouveau texte de loi en préparation

En parallèle, afin de réformer en profondeur la fiscalité des revenus locatifs et de mieux réguler le marché des locations saisonnières, une proposition de loi transpartisane (proposition n° 1176 visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue) est en cours de discussion. Il soumet la mise en location d’un meublé de tourisme à la réalisation préalable d’un diagnostic de performance énergétique (DPE), ce qui entraîne sa subordination aux mêmes obligations de performance énergétique que les logements du parc immobilier de location de longue durée. Le conseil municipal a la faculté de déroger à l’obligation si une telle dérogation est justifiée par l’existence de circonstances locales particulières. En outre, ce texte vise à doter les élus de compétences élargies pour réglementer l’implantation des locaux à usage touristique. En premier lieu, le régime du changement d’usage d’un local, prévu dans le Code de la construction et de l’habitation et qui ne concerne actuellement que les communes de plus de 200 000 habitants ainsi que celle des trois départements de la petite couronne francilienne, est élargi pour concerner l’ensemble des zones tendues, c’est‑à‑dire situées dans une commune classée A bis, A ou B1 au titre du classement ABC. En second lieu, la faculté d’encadrer dans le plan local d’urbanisme les destinations des nouvelles opérations de construction situées dans les zones urbaines (U) et à urbaniser (AU) est renforcée.

Réorganiser la fiscalité des locations de courte durée

Surtout cette proposition de loi réorganise la fiscalité des logements meublés et réoriente le régime particulièrement avantageux du micro‑BIC des locations soumises à un abattement fiscal de 71 % des revenus fonciers, qui s’applique actuellement, sous condition de classement, aux meublés de tourisme et aux chambres d’hôtes. Pour les meublés de tourisme, l’article resserre le régime préférentiel à ceux qui sont situés dans une commune de montagne ou en zone détendue, afin notamment de contribuer à mieux protéger les gîtes ruraux. En zone détendue ou en station de montagne, les meublés de tourisme classés continueront de bénéficier d’un abattement de 71 % et d’un plafond de chiffre d’affaires de 176 200 euros et les meublés de tourisme non classés bénéficieront d’un régime à 50 % et 72 600 euros. En zone tendue, les meublés de tourisme classés bénéficieront d’un régime à 50 % et 30 000 euros et les meublés de tourisme non classés passeront à un régime à 30 % et 15 000 euros, par alignement avec le plafond du régime microfoncier pour les revenus locatifs.

Des recours pour excès de pouvoir en cours

Cependant, les mesures d’assouplissement décidées par Bercy n’ont pas convaincu tous les acteurs du secteur. Premiers à réagir, les parlementaires à l’origine de l’amendement ont en mars dernier formé un recours pour excès de pouvoir contre le BOI, afin que le Conseil d’État se prononce sur la légalité de l’absence de mise en application des dispositions de la loi de finances pour 2024. Selon eux, le maintien de cette niche fiscale crée « un manque à gagner gigantesque pour les finances publiques ». Les professionnels de l’hôtellerie mécontents de la concurrence des plateformes internet de location saisonnière se sont également mobilisés. L’Association pour un tourisme professionnel (AToP), le Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR) et l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) ont dans la foulée déposé un recours pour excès de pouvoir contre « la réintroduction par voie d’instruction fiscale » d’un avantage fiscal « qui a transformé la location saisonnière en un outil de rendement et encouragé des dizaines de milliers de propriétaires à détourner leur logement de l’habitat permanent ».

Une décision au fond attendue dans les prochaines semaines

Leur référé destiné à suspendre en urgence l’application du BOI n’a pas trouvé d’issue favorable. Le 20 mars dernier, le Conseil d’État a en effet refusé de suspendre l’application du BOI litigieux. Le Conseil d’État a rejeté leur demande en référé estimant qu’il n’y avait pas de « situation d’urgence telle qu’elle justifie la suspension de son exécution sans attendre le jugement au fond ». Une audience destinée à vérifier la légalité du BOI se tiendra en effet « dans les prochaines semaines ».

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