La justice négociée appliquée à la matière fiscale : l’exemple de la CJIP

Publié le 26/06/2023
La justice négociée appliquée à la matière fiscale : l’exemple de la CJIP
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Le Parquet national financier a mis à jour les lignes directrices de la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public, un instrument appliqué avec succès aux affaires de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale.

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin 2 ») a introduit, à l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, la possibilité de conclure entre le procureur de la République et toute personne morale mise en cause pour des faits d’atteintes à la probité, une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Il s’agit d’une mesure alternative aux poursuites, destinée à accélérer les procédures, en permettant aux entreprises de négocier une amende afin d’éviter des poursuites, sans reconnaissance de culpabilité, notamment pour fraude fiscale ou blanchiment de fraude fiscale. Le parquet est seul compétent pour signer la CJIP. Acceptée par la personne morale, la CJIP est soumise à la validation du président du tribunal lors d’une audience publique, avant d’être publiée.

De nouvelles guidelines

Les conditions de son application ont été précisées par la circulaire du 31 janvier 2018 et la dépêche du 21 mars 2019 de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) qui comporte notamment en annexe un « Guide de la convention judiciaire d’intérêt public ». Le procureur de la République financier a publié le 16 janvier 2023 de nouvelles lignes directrices sur la mise en œuvre de la CJIP, qui se substituent à celles qui avaient été publiées en juin 2019. Ces nouvelles lignes directrices visent à renforcer la transparence, la prévisibilité et la lisibilité de la CJIP. Elles précisent notamment l’appréciation de la bonne foi de l’entreprise, les modalités de calcul de l’amende d’intérêt public, le régime des échanges entre la personne mise en cause et le parquet ou encore les conséquences tirées de la coopération de l’entreprise. Ces lignes directrices ont été établies par le Parquet national financier, qui conformément à la circulaire de politique pénale, du 2 juin 2020, est l’autorité judiciaire chef de file en matière de corruption internationale, et conformément à la circulaire du 4 octobre 2021, a vocation à connaître des dossiers les plus complexes de fraude fiscale et de blanchiment de ce délit. Ces nouvelles lignes directrices tiennent compte de l’expérience des CJIP conclues et exécutées au cours des cinq dernières années. Elles ont vocation à s’appliquer aux conventions mises en œuvre par le PNF en matière de corruption, de trafic d’influence, de fraude fiscale et de blanchiment de ces délits. En précisant les modalités de mise en œuvre de la CJIP, ces lignes directrices constituent pour les opérateurs économiques comme pour les autorités judiciaires étrangères un instrument de coopération des personnes morales avec l’autorité judiciaire.

L’efficacité de la CJIP

L’instrument juridique qu’est la CJIP renforce l’efficacité du dispositif de traitement des affaires pénales. Le recours à la CJIP répond aux enjeux de la complexité des dossiers fiscaux et de la lenteur et de l’aléa des procédures classiques. Elle permet à l’autorité publique de concilier deux objectifs : sanctionner sévèrement et rapidement les entreprises tout en permettant la poursuite de leur activité. « Dans un contexte international et souvent occulte des faits concernés, le principe d’une coopération de l’entreprise aux investigations et à la définition de la convention permet d’aboutir à une réponse pénale aux coûts, délais et aléas diminués », souligne le Parquet national financier dans le cadre de ses nouvelles lignes directrices sur la mise en œuvre de la CJIP, publiées le 16 janvier 2023. Cette efficacité est également à l’œuvre dans l’exécution de la sanction. Formalisée dans une convention et répondant à une exigence de proportionnalité, la sanction est acceptée par l’entreprise. La CJIP prévoit le paiement effectif et rapide d’une amende ainsi que l’indemnisation le cas échéant des victimes identifiées. Elle est susceptible de requérir des actions immédiates de mise en conformité de l’entreprise. Enfin, la CJIP est également efficace dans la prévention de la récidive. « Si la CJIP est punitive en raison du montant de l’amende qui peut être fixée et de la publicité donnée aux faits, souligne le Parquet national financier dans le cadre de ses nouvelles lignes directrices, elle contribue également à l’absence de réitération par ses exigences de progrès dans la conformité de l’entreprise, préalablement et postérieurement à la signature de la convention ». Par ailleurs en élargissant les possibilités d’action de l’autorité de poursuite française et en favorisant la coordination du Parquet national financier avec les autorités étrangères, la CJIP renforce la souveraineté pénale et économique de la France.

Le développement des CJIP en matière fiscale

Le champ d’application de cet outil, inspiré du « Deferred Prosecution Agreement » américain, a été étendu à la fraude fiscale dans le cadre de l’article 25 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. La loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale a ajouté aux autres délits prévus à l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale concernant la CJIP leur blanchiment. En novembre 2017, cette procédure a été utilisée pour la première fois en matière fiscale par HSBC Private Bank afin d’éviter un procès pour blanchiment de fraude fiscale. La banque a été mise en examen des chefs de démarchage bancaire et financier illicite et de blanchiment aggravé de fraude fiscale. La banque a reconnu l’existence des faits et accepté leur qualification légale. Le 20 juin 2019, cette procédure a été utilisée pour la première fois en matière de fraude fiscale par la société Carmignac Gestion sous le coup d’une enquête préliminaire pour fraude fiscale ouverte par le Parquet national financier en 2017, à la suite d’une plainte déposée par la Direction régionale des finances publiques d’Île-de-France. En 2022, 7 CJIP ont été conclues pour des faits de fraude fiscale, complicité de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale pour un montant total d’amendes d’intérêt public versées s’élevant à 645 millions d’euros (chiffres DGFiP, février 2023). La dernière CJIP en matière fiscale, récemment publiée, a été conclue entre la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Paris et la société ABANCA CORPORACION BANCARIA, le 23 mars 2023.

Une enquête pour blanchiment de fraude fiscale

C’est la troisième fois qu’une banque conclut une CJIP. Cet accord a été conclu dans le cadre d’une mise en cause du chef de blanchiment, commis de matière habituelle de fraude fiscale aggravée. En 2011, dans le cadre d’une enquête diligentée pour des faits distincts, un système de compensations entre des encaissements de chèques sans contrepartie économique et la fourniture de liquidités, permettant aux clients de rétribuer en France des activités non déclarée et de masquer des détournements de fonds, était mis au jour au sein du bureau de représentation parisien de la banque CAIXA GALICIA. Les investigations réalisées faisaient apparaître que des clients sans liens avec l’Espagne regroupaient des encaissements de chèques sur des comptes de transit sans aucun contrôle par la banque de l’origine des flux et de leur réalité économique. L’information judiciaire ouverte le 3 mai 2013 faisait apparaître que les remises de chèques avaient porté sur 8 205 810, 86 euros mais ne permettait pas de déterminer les infractions précises dont ces sommes étaient le produit. Les investigations étayaient l’existence d’un système de compensation organisé avec l’intervention du bureau de représentation parisien de CAIXA GALICIA. CAIXA GALICIA a fusionné avec CAIXA NOVA pour devenir NOVA CAIXA GALICIA devenue ensuite NCG BANCO et finalement ABANCA CORPORACION BANCARIA, laquelle était mise en examen le 31 mars 2021 du chef de blanchiment aggravé de plusieurs délits, notamment de fraude fiscale commise entre 2011 et 2013. L’ensemble des faits révélés dans le cadre de cette enquête a été considéré comme susceptible de recevoir la qualification de blanchiment, commis de manière habituelle, de tout délit, et notamment de fraude fiscale aggravé. C’est dans ce cadre que le Parquet a proposé à la société ABANCA CORPORATION BANCARIA de signer une CJIP, proposition que la société a acceptée.

Une amende pénale de 3 800 000 euros

En effet, aux termes de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, le procureur de la République peut proposer à une personne morale mise en cause pour les délits prévus aux articles 1741 et 1743 du Code général des impôts et leur blanchiment, ainsi que pour des infractions connexes, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public imposant une ou plusieurs obligations. Il s’agit d’abord de verser une amende d’intérêt public au Trésor public. Le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements. Son versement peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an et qui est précisée par la convention. En l’espèce, il a été prévu que la société ABANCA CORPORATION BANCARIA s’acquitte d’une amende de d’intérêt public d’un montant total de 3 800 000 euros. Ce montant a été fixé en tenant compte de la reconnaissance des faits, de leur ancienneté, de leur antériorité à l’existence de la société ABANCA CORPORATION BANCARIA, des mesures correctrices engagées ainsi qu’à la coopération de la direction de la personne morale dès la phase d’enquête puis lors de la phase de négociation de la CJIP, tous points positifs mais également en tenant compte de la gravité et du caractère habituel de ces faits.

Lorsque la victime est identifiée, et sauf si la personne morale mise en cause justifie de la réparation de son préjudice, la convention prévoit également le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l’infraction dans un délai qui ne peut être supérieur à un an. La victime est informée de la décision du procureur de la République de proposer la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public à la personne morale mise en cause. Dans ce cadre, elle peut transmettre au procureur de la République tout élément permettant d’établir la réalité et l’étendue de son préjudice. Au cas présent, l’État français a demandé la réparation de son préjudice en proportion des sommes non déclarées. Le montant de son préjudice est fixé à 500 000 euros. La société ABANCA CORPORATION BANCARIA, représentée par son représentant légal, a déclaré accepter le paiement de cette indemnisation.

Un vrai intérêt pour les entreprises

Parce qu’il participe directement de l’intérêt public, l’intérêt de la personne morale est pris en compte lors de la conclusion d’une CJIP. En effet l’exécution d’un CJIP éteint l’action publique à l’encontre de la personne morale sans générer les effets d’une condamnation judiciaire sur la pérennité de son activité économique. Elle évite une exclusion des procédures de marchés publics, elle ne porte pas structurellement atteinte à ses capacités de financement et à la qualité de son évaluation par des tiers. « La célérité de la voie transactionnelle, renforcée par la coopération de la personne morale à l’enquête, atténue le préjudice porté à la réputation de l’entreprise », analyse le Parquet national financier dans le cadre de ses nouvelles lignes directrices. Le recours à une CJIP confère à l’entreprise un rôle actif dans la procédure judiciaire et lui permet une meilleure gestion de l’aléa financier de son issue. Il permet à l’entreprise de montrer sa détermination à rompre avec des pratiques antérieures, son adhésion à une résolution judiciaire pour solder le passé et son engagement dans une démarche préventive renforcée, le cas échéant, par un programme de mise en conformité. La publicité de la convention marque une volonté de transparence à l’égard des parties prenantes. L’acceptation d’une CJIP par l’entreprise est susceptible de contribuer à la qualité du climat social, en témoignant de l’engagement de ses dirigeants à prévenir, détecter et traiter les infractions. Enfin, lorsque la personne morale fait l’objet d’investigations simultanées menées par d’autres autorités, le recours à une CJIP par le Parquet national financier crée les conditions d’une coordination avec les autres autorités, favorisant ainsi la conclusion simultanée d’accords cohérents et la mise en œuvre d’un seul programme de mise en conformité.

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