La transmission de l’entreprise familiale

Publié le 17/05/2023
La transmission de l’entreprise familiale
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Freins fiscaux, gouvernance peu lisible, réticence à passer la main, difficulté à identifier un repreneur dans les rangs familiaux, financements à trouver : les embûches sont nombreuses sur le chemin de la transmission de l’entreprise familiale. Pourtant des solutions peuvent être mises en place au prix d’un effort de planification en amont.

De nombreux dirigeants vont transmettre leur entreprise dans les 10 prochaines années. On estime à 700 000 le nombre des entreprises à céder dans cette période. Ces dirigeants sont âgés : 25 % d’entre eux ont plus de 60 ans, et 11 % plus de 66 ans (Sénat, Délégation aux entreprises, Rapport d’information sur la transmission aux entreprises, octobre 2022,https://www.senat.fr/rap/r22-033/r22-033.html). Or la transmission d’une entreprise familiale à travers les générations s’avère périlleuse. Seule une entreprise familiale sur trois est transmise avec succès (Deloitte, FBN, Intuitae, Étude Family business, Baromètre Next Generation, 2015).

L’âge du dirigeant, un enjeu économique

Les dirigeants restent à la barre plus nombreux à des âges élevés. Or l’âge du dirigeant a un impact sur l’entreprise et son avenir. Une étude du groupe BPCE (Vieillissement des dirigeants de PME, quelles conséquences mai 2019, https://groupebpce.com/etudes-economiques/carnets_vieillissementdirigeants_video2) a montré que la probabilité de cession décroît nettement après 65 ans. « Impréparation du dirigeant, gestion des affaires courantes trop énergivore, prix de réserve de la cession trop élevé pour les repreneurs potentiels, difficultés à trouver un repreneur de confiance, attrait limité de la part des repreneurs pour certains types d’activité ou de localisation de l’entreprise… », seuls 17 % des dirigeants de TPE parviennent à céder leur entreprise après 65 ans, souligne le Rapport d’information sur la transmission aux entreprises d’octobre 2022. De nombreux freins psychologiques dissuadent le dirigeant de se séparer de son entreprise, notamment la crainte de la rupture du lien avec l’entreprise, le changement de statut social et la difficulté à trouver un repreneur à la hauteur de sa vision pour l’entreprise. Avec l’avancée en âge, les dirigeants adoptent un style de gestion dont les conséquences peuvent être dommageables pour l’entreprise, souligne l’étude du groupe BPCE. En effet, ils tendent à adopter précocement une stratégie de consolidation des fonds propres, de désendettement et de sous-investissement. Cette stratégie peut s’avérer moins adaptée aux transformations de son marché (demande, normes, technologies…). Moins innovante, dépendante de la personnalité de son dirigeant, l’entreprise se dévalorise. Si ce sous-investissement frappe une part croissante de TPE/PME, il peut avoir un impact macroéconomique et conduire à une de perte de compétitivité pour le tissu productif français, conclut l’étude du groupe BPCE. La mission sénatoriale recommande à cet égard, d’encourager l’anticipation des dirigeants en leur offrant un « chèque conseil pour la transmission » entre 55 et 65 ans. Et elle propose de simplifier les démarches des cédants et repreneurs en structurant la coordination, au niveau national et régional, entre les différents acteurs publics et privés de la transmission d’entreprise.

Des freins à anticiper : alléger la fiscalité

Le poids de la fiscalité constitue l’un des principaux freins à la transmission d’entreprises familiales en France (Rapport Mellerio, La transmission de l’entreprise familiale, 2009, http://www.finadoc-actionnal.com/documents/actionnal/Rapport%20Mellerio%202009%20Transmission.pdf). En effet, en l’absence de toute planification, la transmission d’une entreprise par son fondateur à ses héritiers est soumise aux droits de mutation à titre gratuit calculés sur la valeur de l’entreprise ou des titres transmis dans les conditions de droit commun (abattements, tarifs, réductions et paiement des droits). La taxation en ligne directe s’élève ainsi à 45 % à partir de 1,8 million d’euros (1 805 677 euros). Cependant des dispositifs existent pour alléger une partie de l’impôt sur la transmission. Le paiement des droits de succession et de donation sur l’entreprise peut être différé durant 5 ans, pendant lesquels les intérêts seront dus. À l’issue de ce délai, le paiement peut être fractionné sur 10 ans, à raison d’un règlement de 1/20 tous les 6 mois. Ces crédits bénéficient d’un taux réduit de 0,4 % en 2022 (contre 1,2 % pour les autres biens).

Anticiper la transmission

En anticipant la transmission, le chef d’entreprise peut alléger sa facture fiscale. Il peut dans ce cadre envisager une donation de titres avec réserve d’usufruit. Dans ce type de schéma, le dirigeant donne la nue-propriété des titres de l’entreprise à ses héritiers, en s’en réservant l’usufruit, ce qui lui permet de conserver son droit aux dividendes. Les droits de donation sont calculés sur une base plus étroite qu’en cas de donation en pleine propriété. La valeur des titres transmis subit une décote forfaitaire, qui est fonction de l’âge de l’usufruitier au moment de la donation. Au décès du donateur, les donataires récupèrent automatiquement la pleine propriété des titres sans impôt supplémentaire à payer. Il peut aussi envisager une donation-partage qui consiste à réaliser de son vivant une donation à ses héritiers pour réaliser un partage définitif des biens donnés, qui peuvent inclure l’entreprise. Cette opération a le mérite de figer la valeur de l’entreprise au jour de la donation, ce qui écarte le risque de comptes relatifs à sa valeur au moment de la succession. De plus, le partage réalisé par cette opération n’est en principe pas soumis au droit de partage de 2,5 %. Il peut accompagner cette donation-partage d’un pacte successoral (ou pacte de famille), à travers lequel certains héritiers renoncent, de façon anticipée à agir contre les donations qui pourraient porter atteinte à leurs droits, afin de s’assurer d’éviter tout conflit entre héritiers et de sécuriser la transmission. En présence de plusieurs héritiers, le mécanisme d’attribution préférentielle de l’entreprise à un héritier permet d’éviter que l’entreprise transmise soit détenue en indivision par l’ensemble des héritiers. L’entreprise est attribuée à un (ou plusieurs) héritier désigné, à charge pour lui d’indemniser ses cohéritiers par le versement d’une soulte si l’actif de la succession ne permet pas d’assurer l’équilibre entre eux. Cette attribution préférentielle peut prendre place dans le cadre d’un pacte successoral.

Le dispositif Dutreil

Pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit, les transmissions d’entreprise par donation ou succession peuvent bénéficier d’un abattement de 75 % de la valeur de l’entreprise transmise en pleine propriété ou en nue-propriété en vertu du dispositif Dutreil, les transmissions d’entreprises peuvent bénéficier de l’exonération des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % de la valeur de l’entreprise transmise. Ce dispositif est soumis à de nombreuses conditions dont des engagements de conservation des titres par les associés sous forme de pactes. Le chef d’entreprise doit prendre un engagement collectif de conservation des titres de la société à transmettre. Cet engagement est pris par le chef d’entreprise qui transmet, seul ou avec un ou plusieurs autres associés de la société. Les signataires s’engagent à conserver leurs titres pendant une durée minimale de deux ans avant la transmission.

Cet engagement doit être en cours au jour de la transmission à titre gratuit. Un second pacte intervient au moment de la transmission. Il s’agit d’un engagement individuel pris par chacun des héritiers, légataires ou donataires, de conserver les titres reçus pendant quatre ans. L’engagement doit s’inscrire dans la déclaration de succession ou dans l’acte de donation. Enfin, le législateur a posé également une condition relative à la direction de l’entreprise. L’un des signataires doit exercer une fonction de direction. Jusqu’à la fin de l’engagement unilatéral ou collectif de conservation, la direction doit être assurée par un associé signataire. Et à compter de la transmission et pendant trois ans, la direction doit être assurée par l’un des héritiers, légataires ou donataires qui a pris l’engagement individuel de conservation ou par un associé signataire de l’engagement collectif encore tenu au respect de cet engagement. À cet égard, la mission sénatoriale recommande de sanctuariser le dispositif du pacte Dutreil, de mieux le faire connaître aux entreprises. Elle recommande également de consolider et clarifier dans la loi la définition de la holding animatrice et son application dans le cadre du pacte Dutreil et de sécuriser, via un rescrit spécifique, l’appréciation administrative du caractère animateur de la holding.

Pérenniser la gouvernance

Une transmission ne peut réussir que si l’entreprise transmise continue de se développer après le changement de leaders. Le dirigeant doit donc structurer la gouvernance afin d’assurer l’avenir de l’entreprise après sa transmission. La pérennité de l’entreprise dépend en partie du nombre de générations présentes, de la dilution du capital, de l’entente entre actionnaires et de l’implication des différents membres de la famille dans la vie de l’entreprise. Source de conflits entre les différentes branches familiales, la désignation d’un repreneur ne doit rien laisser au hasard. Pour asseoir sa légitimité auprès de l’ensemble des associés, le dirigeant doit faire son choix sur des critères objectifs comme la compétence, le leadership, l’expérience, les valeurs. Le repreneur doit en outre être préparé à exercer ses futures fonctions. Il doit également être accompagné lors de ses premiers pas de dirigeant. Autre écueil, le financement de l’opération. Le dirigeant doit s’interroger sur les moyens financiers dont disposera le repreneur potentiel pour, le cas échéant, racheter l’entreprise ou désintéresser les héritiers non-repreneurs et le cas échéant sur la nécessité d’associer un partenaire financier à la reprise de l’entreprise. Enfin, il doit connaître ses besoins post-cession et ceux de son entourage. Il peut avoir besoin de conserver une partie de ses droits aux dividendes ou de céder une partie de son entreprise à titre onéreux pour dégager des liquidités utiles à financer son train de vie.

Comment sécuriser la transmission ?

Pour sécuriser la transmission de l’entreprise familiale, il est d’abord nécessaire de mettre en place un plan de transmission qui doit être préparé 5 à 10 ans avant la cession. Ce plan comprendra toutes les étapes à mettre en œuvre, avant la cession, pendant et après. Il peut en effet être nécessaire de changer la forme sociale de l’entreprise ou encore de procéder à des réorganisations en vue de sa valorisation. Le plan prévoira également un calendrier de la cession, avec le rétroplanning idoine. 93 % des entreprises se disent bien préparées à la transmission d’entreprise en termes de gouvernance (Observatoire Implid de l’entreprise familiale, 2022, https://www.implid.com/livre-blanc/observatoire-implid-des-entreprises-familiales-2022). À cet effet, il est possible de mettre en place un conseil de famille, un organe différent du conseil d’administration et de la direction opérationnelle, dédié à la gestion des problématiques familiales. Le conseil de famille doit faire le lien avec la gouvernance et le plan de développement de l’entreprise. Le conseil de famille s’occupe de la succession et de la sensibilisation au fonctionnement et au développement de l’entreprise auprès des descendants familiaux. La professionnalisation du conseil de famille est un atout pour l’entreprise. Elle nécessite de définir des rôles distincts à la fois au sein du conseil d’administration et de la direction opérationnelle. L’absence d’un rôle spécifique du conseil de famille ne permet pas une bonne lisibilité de la gouvernance malgré sa professionnalisation, analyse l’Observatoire Implid de l’entreprise familiale, 2022.

Penser à une charte de famille

Pour une gouvernance efficace, les membres de la famille au sein du conseil d’administration sont choisis pour leurs compétences. Et il peut être judicieux d’ouvrir le conseil d’administration à des administrateurs indépendant apportant leur savoir-faire au conseil d’administration. Cependant, seule une entreprise sur deux s’ouvre à des administrateurs indépendants, souligne l’Observatoire Implid de l’entreprise familiale. Autre instrument à mettre en place pour faciliter la transmission de l’entreprise familiale : une charte de famille. Peu d’entreprises sont sensibilisées à définir la ligne directrice (valeurs, mission, raison d’être) autour de laquelle elles doivent s’organiser. La charte familiale définit un cadre clair des rapports famille/entreprise en lien avec l’évolution de l’entreprise. C’est un facteur-clé dans une stratégie d’anticipation pour l’avenir de l’entreprise car elle peut faire converger le développement de l’entreprise et les orientations du conseil de famille. La charte de famille clarifie les valeurs, la raison d’être et la mission de l’entreprise. Elle permet à l’entreprise familiale d’éviter des dissensions et de maintenir une direction à long terme propre à lui offrir une meilleure résistance, le chef d’entreprise peut rédiger une charte familiale, sorte de pacte qui scelle les relations entre la famille et l’entreprise. De quoi envisager serein l’avenir et de projeter le futur de l’entreprise à travers les générations.

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