L’Agrasc : quand le crime ne paie pas

Publié le 03/03/2025
L’Agrasc : quand le crime ne paie pas
Richard Villalon/AdobeStock

Le périmètre d’activité de l’Agrasc, une structure ayant pour mission d’aider les magistrats à lutter efficacement contre l’économie souterraine, s’étend.

« Nul ne doit profiter de son délit », c’est le credo de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), un établissement public qui a pour objectif d’intensifier efficacement la lutte contre l’économie souterraine. Cette agence est placée sous la tutelle conjointe du ministère de la Justice et du ministère des Comptes publics. La mise en place de la loi n° 2024-582 du 24 juin 2024, dite Warsmann, publiée au Journal officiel du 25 juin 2024, a entraîné une évolution des missions de l’agence, avec une extension significative de ses domaines de compétence.

Priver les délinquants du bénéfice de leur crime

L’Agrasc a été créée dans le cadre de la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010, avec pour objectif de faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale notamment en cas de fraude fiscale et douanière. Le fonctionnement de l’Agence a été précisé par le décret n° 2011-134 du 1er février 2011 et elle a commencé ses activités le 4 février 2011. Elle a été créée afin d’améliorer l’efficacité de la réponse pénale visant la criminalité organisée. L’objectif est de priver les délinquants du bénéfice de leur crime, conformément à la devise de l’Agrasc : « Nul ne doit profiter de son délit ». Tout type de bien peut être saisi, des biens immobiliers aux biens meubles tels que voitures, bateaux, avions, meubles, bijoux, vêtements, œuvres d’art, licences de taxi, comptes bancaires, produits financiers, bitcoin ou encore animaux, etc. L’Agence centralise de très nombreuses saisies et s’assure tant de la bonne gestion de ces biens que, une fois ces biens confisqués par une décision définitive, du versement du produit de leur vente au budget général de l’État. Cette structure interministérielle assiste les enquêteurs et les juridictions dans leurs missions de saisie et de recouvrement des avoirs criminels en France et à l’étranger et cède, pour le compte de l’État, les biens avant jugement ou définitivement confisqués. Depuis 2021, elle peut également procéder à des affectations sociales d’immeubles à des associations d’utilité publique et de biens meubles aux services d’enquêtes et judiciaires. Elle indemnise aussi les parties civiles sur l’assiette des biens confisqués et participe également aux instances internationales en matière de recouvrement des avoirs criminels. Concernant les biens mal acquis, leur confiscation est gérée par l’Agrasc depuis 2021. La loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales prévoit la restitution à la population d’un État étranger des biens mal acquis par ses dirigeants (recel, blanchiment, etc.). Un mécanisme de retour des sommes aux populations est prévu via l’Agence française au développement. Les recettes de tous les biens confisqués, cédés ou non, dont les comptes bancaires où sont hébergés des fonds mal acquis seront restituées au plus près des populations.

Huit antennes régionales

L’Agence compte 83 salariés, un secrétariat général de dix personnes, un agent comptable assisté de trois collaborateurs, une sous-direction opérationnelle composée de trois départements « métiers » avec 28 personnes dédiées à la gestion centralisée des biens meubles, immeubles, des actifs numériques, des dossiers internationaux, des restitutions et indemnisations des victimes. Depuis avril 2021 et sous l’impulsion des deux ministres de tutelle, l’Agrasc compte également désormais huit antennes régionales à Marseille, Lyon, Rennes, Lille, Bordeaux, Nancy, Paris et Fort-de-France. Les antennes ont un flux d’activité variable, en fonction de leur date de création. Leur première mission, couronnée de succès, consiste en une amélioration de l’identification des saisies et des scellés, puis une fluidité des circuits de transmission et l’exécution des décisions de justice, en agissant de manière proactive, au plus près des services d’enquête et des juridictions. Elles assurent également des missions d’assistance et de formation au plus près des acteurs territoriaux.

Une activité en constante augmentation

Les saisies et confiscations effectuées par l’Agrasc sont en augmentation constante depuis 2020 d’après les chiffres de son dernier bilan, dressé pour l’année 2023. Les saisies en 2023 ont atteint 1,4 milliard sur l’ensemble du territoire national. 731 immeubles ont été saisis. 650 biens immobiliers sont actuellement gérés par l’Agrasc. Le produit des confiscations versé aux services de l’État s’élève à 175,5 millions d’euros en 2023. Cinq affectations sociales d’immeubles ont eu lieu et cinq sont en cours. 4 828 biens mobiliers ont été vendus pour un total de 19 millions d’euros, notamment lors de ventes aux enchères exceptionnelles, comme la vente de montres de luxe (Rolex Patek Philippe, Audemars Piguet, A. Lange & Söhne, Jaeger-Lecoultre, Vacheron Constantin, Cartier, Breitling, Baume et Mercier, Omega, Chopard) réalisée en novembre 2023 à Besançon, berceau du savoir-faire horloger français, et diffusée en direct sur le site de Drouot pour permettre à tous les acheteurs, nationaux et internationaux, d’enchérir en ligne. L’année 2024 a vu se succéder les ventes d’exception : de bijoux à Fort-de-France, en mars ; d’or à Cayenne, en avril ; de grands crus, en 4 juillet à Bordeaux, ainsi qu’une grande vente en novembre à la Préfecture de police de Paris. 2 875 biens mobiliers (machines à café, matériel informatique, etc.) ont été affectés aux services d’enquête et judiciaires. Les sommes perçues ont été affectées au budget général de l’État à hauteur 109,9 millions d’euros, à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) concernant les produits issus des décisions de confiscation prononcées dans des dossiers de trafic de stupéfiants à hauteur de 50 millions d’euros, au fonds de lutte contre le proxénétisme pour 3,8 millions et aux parties civiles pour 96,9 millions d’euros. Les autorités étrangères dans le cadre de conventions de partage ont reçu 0,6 million d’euros et la Direction générale de la police nationale (DGPN) a bénéficié de  780 000 euros pour financer la protection des repentis et des collaborateurs de justice, avec un abondement exceptionnel supplémentaire de 200 000 euros en 2023 pour pallier l’augmentation du nombre de repentis.

Saisies et confiscations

La loi votée en juin 2024 sous l’impulsion du député, Jean-Luc Warsmann renforce le cadre juridique des saisies et confiscations des avoirs criminels. La saisie est un préalable à la confiscation. La saisie est une mesure temporaire qui permet de placer un bien sous main de justice, dans le cadre d’une procédure judiciaire. La confiscation est une mesure permanente qui entraîne la perte définitive du bien par son propriétaire. Les biens confisqués peuvent, quant à eux, être vendus ou utilisés à des fins publiques. La communication à l’Agrasc des décisions de confiscation et des décisions de saisies est désormais obligatoire. Ceci permet d’accélérer le traitement des dossiers et garantit la traçabilité des biens confiés en gestion à l’Agence. Pour l’Agence, « il est sain que les juridictions saisissent le plus largement possible pour donner l’assiette et la latitude la plus grande aux juridictions, au stade de la confiscation. La confiscation étant une peine, le juge devant apprécier sa nécessité, sa proportionnalité au regard de la gravité des faits et de la personnalité des auteurs d’infractions, il est logique qu’il ne confisque pas l’intégralité des biens qui ont été saisis ». « La vente avant jugement est devenue une réelle option pour de nombreuses juridictions qui sont de plus en plus convaincues de la nécessité de remettre des biens à l’Agrasc afin que ces derniers soient valorisés le temps de l’enquête ou de l’instruction. Elle permet d’éviter que de nombreux biens, une fois saisis, restent encore stockés sans qu’il ne soit statué sur leur sort avant la fin de la procédure », souligne le dernier rapport de l’Agrasc. La loi prévoit la confiscation obligatoire de certains biens saisis qui constituent l’objet, le produit ou l’instrument de l’infraction. La peine complémentaire de confiscation générale du patrimoine est étendue aux infractions de corruption ou de trafic d’influence passifs et actifs punies de 10 ans d’emprisonnement.

De nouveaux bénéficiaires d’affectation de biens mobiliers confisqués

Le dispositif des affectations des biens à titre gratuit remplit un double objectif. Il répond d’une part aux besoins de matériels diversifiés formulés par les services bénéficiaires et vise, d’autre part, à améliorer l’efficacité de leurs missions tout en participant à la rationalisation des frais de justice engagés par la conservation des scellés où à leur dynamisation s’agissant des biens confisqués et dévolus à l’État. En 2023, l’Agrasc a commencé des travaux pour mettre en place une plateforme des affectations, qui permet aux juridictions et aux services d’enquêtes d’avoir connaissance des biens destinés à être affecté. Cette plateforme est accessible depuis un espace sécurisé du site internet de l’Agence. La loi votée en juin 2024 sous l’impulsion du député Jean-Luc Warsmann étend les affectations à titre gratuit de biens saisis et confisqués. Le procureur de la République, au stade de l’enquête, ou le juge d’instruction pendant l’instruction peuvent confier gratuitement des biens mobiliers saisis, après appréciation de leur valeur aux services judiciaires, de police et de gendarmerie, à l’Office français de la biodiversité (OFB), et aux services du budget effectuant des missions de police judiciaire. La liste des bénéficiaires d’affectation de biens mobiliers confisqués comprend désormais les services déconcentrés de l’administration pénitentiaire, l’Agrasc, les parcs naturels nationaux et régionaux, les fondations ou associations d’utilité publique et fédérations sportives. Toutefois, l’affectation des biens confisqués se fera en priorité au profit des services judiciaires et d’enquêtes.

Les ventes avant jugement sont élargies

L’Agrasc peut vendre avant jugement les biens meubles saisis qui ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité et si les frais de conservation sont trop élevés par rapport à leur valeur économique ou si leur entretien nécessite des compétences spécifiques. Ces dispositions évitent la constitution de stocks générateurs de coûts. Les compétences de l’Agrasc en matière de gestion des biens non restitués et dévolus à l’État sont également renforcées. L’Agrasc devient compétente pour la gestion et la vente des biens non restitués et des biens dévolus à l’État. La loi harmonise en outre les possibilités de non-restitution en cas de classement sans suite, non-lieu, relaxe ou d’absence de prononcé de confiscation. La loi du 24 juin 2024 implique également de nouvelles pratiques pour les juridictions puisqu’elle prévoit en particulier la confiscation obligatoire de certains biens saisis afin de faciliter l’action des enquêteurs, des juges et de l’Agrasc. Le nouveau texte prévoit que la confiscation d’un bien immobilier vaut désormais expulsion de la personne condamnée. Le titre d’expulsion concernera aussi les occupants de son chef (sa famille, par exemple), mais ne sera pas applicable aux locataires de bonne foi qui ont conclu un bail avec le propriétaire condamné. Cette mesure permet de raccourcir les délais de vente des immeubles qui sont souvent prolongés en raison de procédures complexes. Cependant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2024, si les membres de la famille de la personne condamnée peuvent être expulsés, il appartient au juge qui prononce la peine de confiscation de prendre en compte, au regard des éléments dont il dispose, la situation personnelle et familiale de la personne condamnée. La loi prévoit en outre la confiscation automatique des biens saisis qui sont l’objet, le produit ou l’instrument de l’infraction. Cette peine complémentaire est désormais obligatoire alors qu’actuellement seuls 30 % des biens saisis sont effectivement confisqués.

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