L’article 209 B du CGI et la libre circulation des capitaux

Publié le 09/12/2022
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La Conseil d’État apporte des précisions quant à la compatibilité d’un de ses dispositifs anti-abus, l’article 209 B du CGI avec les libertés communautaires invocables par des tiers à l’Union européenne.

Le Conseil d’État vient de juger que le dispositif de l’article 209 B du CGI ne peut être attaqué sur le terrain de la liberté de circulation des capitaux. Si cette solution a été rendue dans une affaire où la rédaction antérieure à la loi de finances rectificative pour 2012 de cet article était applicable, la même solution devrait prévaloir pour la rédaction de ce dispositif postérieure à la loi de finances rectificative pour 2012 (CE, 25 avril 2022, n° 439859, Rubis).

Une mesure anti-évasion fiscale

L’article 209 B du Code général des impôts (CGI) fait partie de l’arsenal des mesures anti-évasion fiscale internationale de l’administration française. En 2020, ce dispositif a été mis en œuvre 13 fois pour un montant de rectification de 82 M € en base. L’article 209 B du CGI pose une exception au principe de territorialité posé par l’article 209 I du CGI qui stipule que seuls sont imposables en France les bénéfices des entreprises qui y sont exploitées. Dans l’arsenal des mesures anti-évasion fiscale internationale de l’administration française, l’article 209 B du Code général des impôts (CGI) occupe une place prépondérante. Ce dispositif vise les personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés (IS) exploitant une entreprise à l’étranger ou propriétaire directement ou indirectement de 50 % au moins des droits sociaux d’une société étrangère, si ces entités situées à l’étranger y bénéficient d’un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI. Il permet à l’administration fiscale d’imposer en France au nom de la personne morale française, les bénéfices réalisés par l’entité étrangère au prorata des droits détenus directement ou indirectement par l’entreprise française. Avec ce mécanisme, des résultats réalisés à l’étranger peuvent donc se trouver imposés en France, alors même que la totalité des résultats a été mise en réserve, par exemple. Ils vont être taxés sous deux formes possibles. S’il s’agit d’une entreprise exploitée par la société française (filiale, établissement), les résultats sont taxés à l’impôt sur les sociétés comme bénéfices. S’il s’agit d’une entité juridique à l’étranger (filiale, fiducie, ou trust par exemple), les bénéfices sont réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers de la personne morale établie en France dans la proportion de sa participation dans l’entité étrangère. Le dispositif vise les régimes fiscaux privilégiés, lesquels se caractérisent par une différence de plus de 50 % entre l’impôt acquitté à l’étranger et celui dont l’entreprise ou l’entité aurait été redevable en France dans les conditions de droit commun. C’est à l’administration d’apporter la preuve que l’entreprise est effectivement soumise à un tel régime.

Des évolutions dans la rédaction de l’article 209 B

L’article 209 B du CGI, dans sa rédaction applicable dans l’affaire soumise au Conseil d’État, prévoyait que les sociétés détenant directement ou indirectement 25 % au moins des actions ou parts d’une société établie dans à l’étranger et soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI soient taxées sur les résultats bénéficiaires de cette entité étrangère dans la proportion des droits sociaux détenus. Désormais, l’article 209 B du CGI prévoit qu’une société établie en France est imposée en France à l’impôt sur les sociétés au titre des bénéfices réalisés par une entreprise qu’elle exploite hors de France ou par une entité établie ou constituée hors de France dont elle détient directement ou indirectement plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dès lors que cette entreprise ou entité est soumise à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu’en France. Des clauses de sauvegarde sont prévues, dont les conditions diffèrent quelque peu selon que l’entité étrangère est ou non établie dans un État membre de l’Union européenne. Pour les entreprises établies dans l’Union européenne, le dispositif anti-abus ne s’applique pas, dans la mesure où il n’existe pas un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française. En effet, si l’article 209 B dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2006 est en principe incompatible avec le principe communautaire de liberté d’établissement, la France garde la possibilité de l’appliquer à des entreprises qui doivent être regardées comme des montages purement artificiels destinés à éluder l’impôt normalement dû en France (CE, 4 juillet 2014, n° 357264, Sté Bolloré). En revanche, si l’entreprise est établie hors de l’Union européenne, il est possible de faire échec à l’application de l’article 209 B, en faisant la démonstration que les opérations de cette entité ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un État ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié. Précisons que lorsque l’entreprise étrangère a une activité industrielle ou commerciale effective exercée sur le territoire de l’État de son établissement ou de son siège, cette condition est réputée remplie.

Une société établie dans un État tiers à l’Union européenne

Dans cette affaire, c’est une entreprise établie dans un État tiers à l’Union européenne qui était en cause. Or le principe communautaire de liberté de circulation des capitaux peut dans certains cas être invoqué dans des situations impliquant des résidents d’États tiers à l’Union européenne à la différence des autres libertés communautaires garanties par le droit de l’Union européenne. Dans cette espèce la société Rubis Énergie, a souhaité acquérir auprès du groupe Shell en 2007 un lot de cinq sociétés dont la société Vitogaz Bulgaria, établie en Bulgarie. Elle a fait porter l’acquisition de cette dernière société par une fondation néerlandaise. En 2010, la fondation néerlandaise a cédé la société Vitogaz Bulgaria à la société Eccleston Co Ltd, holding établie à l’Île Maurice dont la société Rubis Énergie détient la totalité des parts, qui l’a revendue à la fin de la même année à un tiers en dégageant une plus-value de 3,1 millions d’euros. À l’issue d’une vérification de la comptabilité de la société Rubis Énergie au titre des exercices clos les 31 décembre 2010 et 2011, l’administration fiscale a considéré les revenus réalisés au cours de ces deux exercices par sa filiale mauricienne, incluant la plus-value précitée, comme des revenus de capitaux mobiliers réputés acquis par la société française, en application des dispositions de l’article 209 B du Code général des impôts. Pour le contribuable, l’application dans cette affaire de l’article 209 B du CGI n’est pas compatible avec le principe de libre circulation des capitaux. En outre, son application en l’espèce ne conduit pas à éviter un montage artificiel, destiné à éluder l’impôt.

Les conditions pour invoquer la liberté de circulation des capitaux

Le Conseil d’État se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), notamment les points 96 à 99 de son arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation (aff. C-35/11 du 13 novembre 2012) pour faire l’examen des conditions d’invocabilité de la liberté de circulation des capitaux dans cette affaire. Conformément à cette jurisprudence, lorsqu’est en cause la participation d’une société résidente d’un État membre dans une société établie dans un pays tiers, l’examen de l’objet de la législation nationale suffit pour apprécier si cette participation relève des stipulations de l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatives à la libre circulation des capitaux. Ainsi, une législation nationale qui ne s’applique pas exclusivement aux situations dans lesquelles la société mère exerce une influence décisive sur la société établie dans le pays tiers doit être appréciée au regard de ces stipulations. Une société résidente d’un État membre peut alors, indépendamment de l’ampleur de la participation qu’elle détient dans la société distributrice de dividendes établie dans un pays tiers, se prévaloir de la liberté de circulation des capitaux afin de mettre en cause la légalité d’une telle réglementation. En revanche, lorsqu’il ressort de l’objet d’une législation nationale que celle-ci a seulement vocation à s’appliquer aux participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la société établie dans le pays tiers et d’en déterminer les activités, les stipulations de l’article 63 du traité ne peuvent être utilement invoquées. L’examen de l’article 209 B du Code général des impôts (CGI), éclairé par ses travaux préparatoires, montre que le législateur a eu pour objectif de dissuader les entreprises passibles en France de l’impôt sur les sociétés de localiser, pour des raisons principalement fiscales, une partie de leurs bénéfices au travers de filiales, créées par elles ou par une de leurs filiales, dans des pays ou territoires à régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI. Compte tenu de cet objet, l’article 209 B a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la filiale établie hors de France, notamment dans un pays tiers, et d’en déterminer les activités, quand bien même la société établie en France n’en détiendrait pas la majorité du capital ou des droits de vote. Une société ne peut donc pas utilement se prévaloir, dans le cadre d’un litige mettant en cause sa filiale établie dans un pays à régime fiscal privilégié, de l’incompatibilité de l’article 209 B du CGI avec le principe de libre circulation des capitaux. Dans cette espèce, le Conseil d’État confirme également que la clause de sauvegarde ne saurait s’appliquer.

Pas d’application possible de la clause de sauvegarde

Il confirme également la non-application de la clause de sauvegarde au cas d’espèce. L’entreprise contestait avoir bénéficié d’un régime favorable en matière de plus-values de cessions à l’Île Maurice, eu regard du régime des plus-values à long terme avec imposition de la seule quote-part de frais et charges de 5 % dont elle aurait pu bénéficier en France, conformément à la législation en vigueur au moment de l’opération. Le Conseil d’État ne retient pas cette analyse, puisque dans cette affaire, la durée de détention de deux ans conditionnant le bénéfice du régime du long terme n’était pas satisfaite, les titres ayant été acquis et revendus par la société installée à l’Île Maurice au cours de la même année.

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