L’article 209 B (enfin) compatibles avec les conventions fiscales internationales

Publié le 12/05/2025
L’article 209 B (enfin) compatibles avec les conventions fiscales internationales
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Le Conseil d’État vient de juger que l’article 209 du CGI dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2005, est conforme aux conventions fiscales bilatérales. Cet arrêt intervient plus de deux décennies après la jurisprudence Schneider Electric qui avait obligé les pouvoirs publics à amender le texte de l’article 209 B du CGI.

L’article 209 B du Code général des impôts (CGI) fait partie de l’arsenal des mesures anti-évasion fiscale internationale de l’administration française. Il pose une exception au principe de territorialité posé par l’article 209 I du CGI qui affirme que seuls sont imposables en France les bénéfices des entreprises qui y sont exploitées. Le Conseil d’État précise que l’article 209 B du CGI dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2005 n’est pas incompatible avec l’application des conventions fiscales internationales, en l’espèce, la convention Franco-Mauricienne (CE, 13 mars 2025, n° 488080, Sté Rubis).

Un dispositif anti-évasion fiscale

Dans l’arsenal des mesures anti-évasion fiscale internationale de l’administration française, l’article 209 B du CGI occupe une place prépondérante. Il permet à l’administration fiscale d’imposer en France au nom de la personne morale française, les bénéfices réalisés par l’entité étrangère au prorata des droits détenus directement ou indirectement par l’entreprise française. Avec ce mécanisme, des résultats réalisés à l’étranger peuvent donc se trouver imposés en France, alors même que la totalité des résultats a été mise en réserve, par exemple. Ils vont être taxés sous deux formes possibles. S’il s’agit d’une entreprise exploitée par la société française (filiale, établissement), les résultats sont taxés à l’impôt sur les sociétés comme bénéfices. S’il s’agit d’une entité juridique à l’étranger (filiale, fiducie, ou trust, par exemple), les bénéfices sont réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers de la personne morale établie en France dans la proportion de sa participation dans l’entité étrangère.

L’impact de l’arrêt Schneider

En 2002, le Conseil d’État a jugé l’article 209 B du Code général des impôts incompatible avec les stipulations de la convention franco-suisse (CE, 28 juin 2002, n° 236276, Schneider Electric). Le Conseil d’État a précisé qu’en présence d’une convention fiscale internationale, ce dispositif ne pouvait être mis en œuvre que si cette convention en prévoyait expressément l’application. L’article 104 de la loi de finances pour 2005 a réformé ce dispositif anti-abus en conséquence. Le législateur a modifié également l’article 238 A du CGI afin d’inclure dans ce texte une définition de la notion de régime fiscal privilégié. Aux termes du deuxième alinéa de l’article 238 A du CGI, dans cette nouvelle rédaction, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’État ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l’impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. Entrent dans le champ d’application des dispositions de l’article 209 B du CGI, avec la réforme de la loi de finances pour 2005, les personnes morales établies en France qui exploitent une entreprise ou détiennent, directement ou indirectement, une participation de plus de 50 % dans une entité établie hors de France, lorsque l’entreprise ou l’entité est soumise à un régime fiscal privilégié. L’article 209 B du CGI dispose désormais que les bénéfices ou revenus positifs réalisés par une entité soumise à un régime fiscal privilégié sont réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers de la personne morale établie en France. Au sein de l’Union européenne, le dispositif est applicable aux seuls montages artificiels dont le but est de contourner la législation fiscale française. Hors de l’Union européenne, l’application du dispositif est fonction des revenus provenant d’opérations sur actifs financiers ou incorporels ou de prestations internes à un groupe.

Application de la convention franco-mauricienne

Dans cette affaire, la société Rubis Énergie, membre d’un groupe fiscalement intégré dont la tête est la société Rubis, a souhaité acquérir auprès du groupe Shell en 2007 un lot de cinq sociétés dont la société Vitogaz Bulgaria, établie en Bulgarie. Elle a fait porter l’acquisition de cette dernière société par une fondation néerlandaise. En 2010, la fondation néerlandaise a cédé la société Vitogaz Bulgaria à la société Eccleston Co Ltd, holding établie à l’Île Maurice dont la société Rubis Énergie détient la totalité des parts, qui l’a revendue à la fin de la même année à un tiers en dégageant une plus-value de 3,1 millions d’euros. À l’issue d’une vérification de la comptabilité de la société Rubis Énergie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014 à l’issue de laquelle l’administration fiscale a estimé que son bénéfice devait, pour ces exercices, être rehaussé des revenus de capitaux mobiliers qu’elle était, en application de l’article 209 B du Code général des impôts, réputée avoir reçu de sa filiale mauricienne, la société Eccleston Co. L’administration fiscale a considéré les revenus réalisés au cours de ces exercices par la filiale mauricienne, incluant la plus-value précitée, comme des revenus de capitaux mobiliers réputés acquis par la société française, en application des dispositions de l’article 209 B du CGI. Pour le contribuable, l’application dans cette affaire de l’article 209 B du CGI n’est pas compatible avec l’application de la convention fiscale bilatérale France/Île Maurice. Par un jugement du 25 février 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Rubis, en sa qualité de société mère du groupe fiscalement intégré, tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés, de contribution exceptionnelle sur cet impôt et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, en conséquence de cette rectification. La société Rubis s’est pourvue en cassation contre l’arrêt du 7 juillet 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre ce jugement.

Des mécanismes de sauvegarde

L’article 209 B dans sa version issue de la loi de finances pour 2025 prévoit un certain nombre de dispositifs de sauvegarde. Ses dispositions ne sont pas applicables si l’entreprise ou l’entité juridique est établie ou constituée dans un État de la Communauté européenne et si l’exploitation de l’entreprise ou la détention des actions, parts, droits financiers ou droits de vote de l’entité juridique par la personne morale passible de l’impôt sur les sociétés ne peut être regardée comme constitutive d’un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française. En outre, elles ne s’appliquent pas lorsque la personne morale établie en France démontre que les opérations de l’entreprise ou de l’entité juridique établie ou constituée hors de France ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un État ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié. Cette condition est réputée remplie notamment lorsque l’entreprise ou l’entité juridique établie ou constituée hors de France a principalement une activité industrielle ou commerciale effective exercée sur le territoire de l’État de son établissement ou de son siège.

Pas d’application d’une clause de sauvegarde

Pour la cour administrative d’appel de Paris la filiale mauricienne de la société Rubis, la société Eccleston Co, soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI, n’exerçait aucune activité industrielle ou commerciale effective à l’Île Maurice. Elle ne pouvait être considérée comme exerçant une activité d’animation de ses filiales. Aucun collaborateur de cette société ne demeurait ni n’exerçait à l’Île Maurice, les produits de cession de titres de filiales représentaient 80 % et 85,7 % de ses recettes au titre des exercices clos, respectivement, en 2011 et 2012 et ces produits avaient été exonérés à l’Île Maurice. Pour le juge de cassation, la cour administrative d’appel en jugeant, d’une part, sur la base de ces constatations, que la société mauricienne avait comme activité principale la réalisation de plus-values de cession de titres de sociétés, exonérées du fait de sa localisation à l’Île Maurice, et, d’autre part, que la société Rubis n’établissait pas que la localisation dans cet État de cette filiale de la société Rubis Énergie avait un objet et un effet autres que principalement fiscal, a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine non entachée de dénaturation. La société mauricienne ne pouvait donc se prévaloir de la clause de sauvegarde prévue au III de l’article 209 B du CGI.

Pas d’incompatibilité avec la convention fiscale bilatérale

Selon l’article 7 de la convention franco-mauricienne, les bénéfices d’une entreprise d’un État ne sont imposables que dans cet État. Aux termes de l’article 10 de cette convention, le terme de dividendes désigne les revenus provenant d’actions, actions ou bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateur ou autres parts bénéficiaires à l’exception des créances, ainsi que les revenus d’autre part sociales soumis au même régime fiscal que les revenus d’actions par la législation de l’État dont la société distributrice est un résident. Aux termes de l’article 22 de la même convention (clause balais), les éléments du revenu d’un résident d’un État, d’où qu’ils proviennent, qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente convention, ne sont imposables que dans cet État. Pour le Conseil d’État, ni l’article 7 de la convention franco-mauricienne relatif aux bénéfices des entreprises, ni l’article 10 relatif aux produits distribués en vertu d’une décision prise par l’assemblée générale des actionnaires, ne sont applicables aux revenus de capitaux mobiliers de la nature de ceux visés par l’article 209 B du CGI. Ces revenus relèvent des stipulations du 1 de l’article 22 de cette convention et, à ce titre, ne sont imposables que dans l’État de résidence du bénéficiaire, de sorte que leur imposition est attribuée à la France. Cette solution a une portée plus large que le seul raisonnement sur la convention franco-mauricienne. En l’absence de clause visant spécifiquement les bénéfices réputés distribués à une société française, ces derniers relèvent nécessairement de la clause balais de l’article 22. Or la très grande majorité des conventions signées par la France, prévoient pour l’état de résidence de la société bénéficiaire, donc la France, une compétence d’imposition exclusive. Seules exceptions notables à signaler, la convention franco-libanaise qui prévoit une imposition exclusive dans l’État de la source, donc le Liban, la convention franco-thaïlandaise qui prévoit une imposition partagée entre l’État bénéficiaire et l’État de la source, donc la France et la Thailande.

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