L’assurance emprunteur enfin plus flexible

Publié le 17/03/2023
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Le recours à l’assurance emprunteur pour les porteurs de projets immobiliers est assoupli. La loi Lemoine de février 2022 a rendu possible la résiliation, à tout moment, du contrat d’assurance emprunteur en vue de son changement. Bilan d’un marché en pleine mutation.

Avec la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite loi Lagarde, le législateur a supprimé la possibilité pour les banques d’imposer l’adhésion de leurs emprunteurs aux contrats groupe souscrits par elles. Depuis de nombreuses lois ont contribué à libéraliser le marché de l’assurance-emprunteur encore largement aux mains des établissements bancaires. C’est un enjeu d’autant plus décisif que le secteur de l’assurance emprunteur représente l’un des domaines les plus importants de l’assurance des personnes sur le marché français. En 2019, selon les chiffres du rapport du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) sur le bilan de l’assurance emprunteur, (Rapport bilan de l’assurance emprunteur, novembre 2020, CCSF :https://www.ccsfin.fr/sites/default/files/media/2020/11/11/2020_ccsf_rapport_bilan_assurance_emprunteur.pdf) ce secteur représentait 9,8 milliards d’euros, dont près de 7 milliards d’euros au titre de la couverture des prêts immobiliers. Le secteur de l’assurance pour les crédits immobiliers concerne environ 7 millions de Français. Et d’après les statistiques de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), l’organe de supervision français de la banque et de l’assurance, en 2017, 87,5 % des contrats d’assurance emprunteurs garantissant un crédit immobilier étaient portés par des banques-assureurs.

Une situation de quasi-monopole

Le marché de l’assurance-emprunteur reste donc encore largement aux mains des établissements bancaires. De fait, les banques se trouvent en situation de quasi-monopole sur le secteur assurantiel pour les crédits immobiliers en raison de la spécificité caractérisant le moment de la souscription du crédit. « Pressé de pouvoir honorer sa promesse d’achat signée devant notaire, qui impose un délai pour obtenir un crédit et devient caduque en cas de refus de prêt, l’emprunteur, au regard de ces délais contraints, ne se trouve pas véritablement en position de négocier ni de faire jouer la concurrence », analyse le rapport réalisé par la députée Patricia Lemoine au moment du vote de la loi éponyme (A.N. Rapport n° 4699, au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur, n° 4624, par Madame Patricia Lemoine, 8 novembre 2021 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b4699_rapport-fond). « La banque, auprès de laquelle l’emprunteur souscrit un crédit, fait valoir lors de la présentation de l’offre de crédit immobilier la nécessité de l’assurer avec une garantie élevée, à savoir, incapacité totale d’activité, perte de travail, alors que cette garantie ne correspond pas toujours aux besoins de l’assuré ni à l’offre concurrentielle immédiatement accessible », souligne ce rapport. En effet, la banque exige une garantie et la fournit en même temps, ce qui au-delà du temps contraint, peut décourager également certains acquéreurs de chercher une offre alternative, voire de comparer les offres. « Contrairement à l’assurance habitation ou à l’assurance automobile qui sont obligatoires, l’assurance pour un crédit immobilier, juridiquement, ne l’est pas, mais le devient dans les faits. La prise d’hypothèque sur le bien, par exemple, pourrait avantageusement se substituer à l’offre d’assurance, mais elle n’est jamais proposée sauf à rencontrer un client aguerri aux subtilités juridiques et avec une surface financière qui lui donne un fort pouvoir de négociation », conclut ce rapport.

Une décennie de libération du marché de l’assurance emprunteur

Depuis le vote de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, d’autres textes dont été votés afin d’assurer la mise en œuvre du libre choix de l’assurance-emprunteur. Ce principe de libre choix de la loi Lagarde prévoit qu’à garanties égales, le porteur de projet immobilier peut contracter une assurance-emprunteur auprès d’un autre établissement que celui où ou il contracte son emprunt ou bien préférer souscrire l’assurance groupe que lui propose l’établissement bancaire prêteur. Afin d’introduire davantage de concurrence dans le secteur de l’assurance-emprunteur, le législateur a assoupli les règles de résiliation des contrats pour en faciliter la renégociation. Depuis le vote de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon, il est possible de souscrire une nouvelle assurance chez un concurrent et de résilier son ancienne assurance-emprunteur sans frais ni pénalités dans les douze premiers mois suivant la signature de l’offre de prêt. Grâce à l’amendement dit « Bourquin », du nom de son auteur, le député Martial Bourquin, voté en 2017, cette possibilité de résiliation, a été étendue au-delà de la première année, puisqu’elle est désormais possible à chaque date anniversaire de la souscription du contrat d’assurance. Cette mesure s’est d’abord appliquée aux offres de prêts souscrites à partir du 22 février 2017. Depuis le 1er janvier 2018, elle s’est appliquée à tous les contrats d’assurance en cours d’exécution, y compris donc pour les contrats souscrits antérieurement au vote de la loi. « Or, comme certains contrats n’avaient pas véritablement de date d’échéance indiquée, de fait le dispositif s’est trouvé assez vite inopérant, souligne le rapport Lemoine. Ainsi, aucune de ces mesures législatives n’a, jusqu’à aujourd’hui, véritablement permis de libéraliser le marché de l’assurance-emprunteur qui reste en situation de quasi‑monopole au profit des banques ».

Des enjeux financiers importants

La libéralisation du marché de l’assurance emprunteur pour les crédits immobiliers permet de redonner aux consommateurs souhaitant acquérir un bien immobilier, un pouvoir d’achat non négligeable. D’après les calculs opérés par l’association UFC-Que Choisir, dans le cadre d’une enquête réalisée an août 2019, pour un crédit de 250 000 euros souscrit sur 20 ans, le gain estimé pour un changement d’assurance est de l’ordre de 6 500 euros pour les plus de 65 ans. Il peut aller jusqu’à plus de 15 000 euros pour la tranche d’âge 35-45 ans. Les marges opérées sur les contrats d’assurance-emprunteur sont extrêmement rentables, souligne le rapport Lemoine. Or l’enquête UFC-Que Choisir montre que la priorité des consommateurs consiste d’abord à obtenir un taux bas sans véritablement tenir compte du tarif de l’assurance, qui apparaît comme une question secondaire alors même qu’elle constitue un poste de dépense important pour l’assuré. Dans ce contexte, les emprunteurs ne choisissent une assurance hors banque ou ne changent d’assurance que pour des questions de prix, excepté les personnes présentant un risque aggravé de santé au départ, qui changent d’assurance, à la fois pour des questions de prix et de garanties. En outre, souligne le rapport Lemoine, il apparaît difficile pour les emprunteurs de « pouvoir mesurer le véritable taux et le véritable coût de l’assurance puisque la partie variable de celle-ci, pas toujours identifiée par l’assuré, est présente dans le taux annuel effectif global (TAEG), ce qui ne permet ni de mesurer véritablement le coût de l’assurance, ni le coût du crédit. (…) L’absence de concurrence dans le secteur de l’assurance-emprunteur rend les consommateurs captifs et ne leur permet pas de faire respecter leurs droits, sans compter que cela obère sérieusement leur pouvoir d’achat ». En effet, le principal inconvénient des services d’assurance proposés par un acteur bancaire est le prix : plus élevé en raison notamment du niveau de commissionnement des réseaux bancaires et du faible taux de marge sur les taux de crédits actuels. Le secteur assurantiel alternatif, notamment représenté par l’Association pour la promotion de la concurrence en assurance des emprunteurs (APCADE), ne possède que 12, 5 % du marché de l’assurance pour les contrats immobiliers, souligne le rapport Lemoine. Or dans la mesure où l’offre du secteur traditionnel est relativement standardisée, le niveau de garantie proposé n’est pas nécessairement adapté à l’emprunteur. C’est pourquoi, le secteur assurantiel alternatif est paradoxalement davantage présent dans les situations les plus complexes, notamment les risques aggravés de santé et les seniors dont le taux de délégation est croissant avec l’âge. Libéraliser le marché de l’assurance emprunteur constitue une mesure de pouvoir d’achat neutre pour les finances publiques et permet de redonner aux consommateurs souhaitant acquérir un bien immobilier, un pouvoir d’achat non négligeable, conclut le rapport Lemoine.

L’apport de la loi Lemoine en pratique

La loi n° 2022-270 du 28 février 2022 pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur, dite loi Lemoine, adoptée le 17 février 2022, ouvre la possibilité de résilier et de changer à tout moment d’assurance emprunteur, sans frais. Chaque année, les assureurs doivent informer leurs assurés de ce droit de résiliation. Ils doivent également communiquer le coût de l’assurance emprunteur pour huit ans. Cette loi s’applique depuis le 1er juin 2022 pour les nouvelles offres de prêt et depuis le 1er septembre 2022 pour les contrats en cours au moment du vote de la loi. La loi Lemoine a également réduit le délai du droit à l’oubli de dix ans à cinq ans pour toutes les personnes ayant eu un cancer, à partir de la fin de leur protocole thérapeutique ainsi que pour les personnes atteintes de l’hépatite C. Le texte a prévu aussi l’ouverture de nouvelles négociations entre les différents signataires de la convention AERAS pour élargir le bénéfice du droit à l’oubli à des maladies chroniques comme le diabète 1. À défaut un décret doit venir déterminer les maladies chroniques auxquelles pourrait être étendu le droit à l’oubli. Si aucun décret n’a encore été publié, les négociations avancent, notamment pour le VIH. Pour d’autres pathologies comme l’insuffisance rénale, l’hémophilie, des études sont en cours pour examiner la faisabilité d’un élargissement du droit à l’oubli. La loi Lemoine a également prévu la suppression du questionnaire de santé pour les prêts inférieurs à 200 000 euros par assuré et dont l’échéance de remboursement intervient avant les 60 ans de l’emprunteur.

Quel bilan ?

En novembre dernier, les députés Stéphane Vojetta et Philippe Naillet ont dressé un premier état des lieux de l’application de cette réforme. La mise en œuvre du droit de résiliation de l’assurance emprunteur n’a pas posé de difficultés aux différents acteurs du secteur constatent-ils. Les banques et les assureurs traditionnels ont, de manière quasi systématique et sans exception notable, correctement mis en place les procédures et adaptations technologiques nécessaires à l’application de la loi. Cependant la hausse des taux d’intérêt freine les mouvements de substitution en faveur des assureurs alternatifs, précisent les deux députés. La loi Lemoine a été votée dans un univers de taux bas ou l’accès au crédit immobilier était relativement aisé. Depuis la situation a changé. Au deuxième semestre 2022 et au début de l’année 2023, on assiste à une nette remontée des taux d’intérêt pour les emprunts immobiliers. Combinée avec la faiblesse des taux d’usure, cette remontée des taux constitue un frein pour le marché du crédit immobilier. D’après une étude publiée en novembre 2022 par le site de ventes immobilières Pap.fr, les refus de prêt augmentent. Désormais un dossier d’emprunt immobilier sur dix aboutit à un refus de prêt, soit un taux de refus de 9, 4 %, contre 1 % et 2 % ces dix dernières années. La production de crédit est en baisse. Chiffrée à 19,7 milliards d’euros au premier semestre 2022 d’après les derniers chiffres de la Banque de France, elle est descendue à 16,7 milliards d’euros au second semestre 2022. Autre élément nouveau, une hausse des tarifs pratiqués par les assureurs alternatifs liée à la suppression du questionnaire santé, dont ils ne peuvent contrairement aux grands groupes bancaires, mutualiser les effets. Au regard du changement économique rapide et de la récente entrée en vigueur de la loi, il apparaît cependant difficile de faire une analyse solide des conséquences de la loi sur le marché de l’assurance emprunteur, constatent les rapporteurs. Une nouvelle évaluation de la loi devrait être menée en 2025.

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